vendredi, 29 mai 2020 08:31

Réponse à Frédéric Bastien : P. E. Trudeau n´a pas trahi ses promesses, c´est le PQ qui n´est pas allé au combat

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Gilles Verrier

René Lévesque et l'hostilité anglo-saxonne

Le projet de souveraineté-association élaboré par René Lévesque n'a jamais tenu debout. Charmeur, René Lévesque était un homme populaire et convainquant. Il fera vite progresser son projet, entraînant avec lui une cohorte bigarrée de partisans. Même le Rassemblement pour l'indépendance nationale de Pierre Bourgault, qui poursuivait d'autres objectifs, se fera harakiri pour être du nombre. Mais le plan de René Lévesque était plombé. Son optimisme faisait très peu de cas de la volonté anglo-saxonne de perpétuer sa domination, de son hostilité générale à ce qu'une nation française en Amérique prenne son envol. Cet a priori, doublé d'une ambivalence identitaire qui lui faisait craindre (comme Trudeau !) toute ferveur patriotique, faisaient du PQ une sorte de géant aux pieds d'argile. Au référendum de 1980, l'exacerbation des contradictions fera voler en éclats sa fragilité doctrinale. Le 14 mai, six jours avant le vote, Pierre Elliott Trudeau sera sans merci. Si son discours du Centre Paul-Sauvé recourait à une démagogie catastrophiste inadmissible, c'est la déculottée qu'il fit subir au Parti québécois qui, sans surprise, retiendra l'attention des médias. S'attardant sur le libellé de la question référendaire, Trudeau s'amusera à mettre en évidence les incohérences. On attendit en vain une riposte, une réplique, un redressement, un souffle... Il semble bien que Trudeau avait fait mouche. Le PQ sera reporté au pouvoir en 1981, nous verrons bien ce que cela changera... et les promesses de Trudeau?

Lévesque voulait rallier le Canada à son projet

Dans un texte précédent [1], j'ai plaidé que Daniel Johnson (père) s'était donné une position de négociation crédible – un plan B – qui faisait de l'indépendance la conséquence naturelle de négociations infructueuses.


Daniel Johnson père, avec à gauche, Claude Morin, l'homme à la pipe.

 

Dans Option Québec, publié pour lancer son projet, Lévesque élabore une refonte constitutionnelle qui mise essentiellement sur un ralliement graduel du reste du Canada à ses idées. Après une période de mûrissement, croyait-il, la souveraineté-association trouverait preneur non seulement au Québec, mais aussi au Canada anglais. Pour mousser l'idée, il comparera le Canada à une "maison de fous" caractérisée par "le gaspillage d'énergie", "la sclérose des structures", "les chevauchements de législation", "le dédoublement des champs de compétence", le vieillissement de la confédération, etc. Peu retiendront (ou voudront retenir) que le projet de Lévesque visait d'abord une rationalisation de la superstructure étatique Québec-Canada. Suffisante pour certains, cette priorité laissait toutefois loin derrière la dimension existentielle et patriotique du projet. L'exercice du pouvoir le prouvera amplement et fera pâlir les quelques passages nationalistes d'Option Québec. D'ailleurs, tous savaient que la ferveur nationaliste d'une partie des membres ne faisait que l'agacer. Du reste, la seule fois qu'il mettra sa tête en jeu ce sera pour les faire taire.


Le livre qui propose la quadrature du cercle de la "souveraineté-association" et qui servira à la "déconfliction"de la question nationale.


La suite des événements prouva également que la pensée de Lévesque se trouve la mieux exprimée dans Option Québec. Dans ce remodelage du Québec avec l'assentiment d'Ottawa, qui devait y trouver  son compte, Lévesque était dans son élément. En bonus, la souveraineté-association pouvait servir de soupape de « déconfliction » de la question nationale aussi longtemps que le mirage souverainiste opérait. C'est donc sans surprise qu'aucune page d'Option Québec ne prévoit un "plan B" en cas d'échec. De cette posture doctrinale irréaliste, qui ne retenait que les vertus intrinsèques de la souveraineté-association pour amadouer Ottawa, s'ensuivra un état apparemment irrépressible de sidération dès qu'une situation réclamait qu'on réponde à Ottawa du tac au tac. Jamais de deuxième manche, jamais de match revanche. 

Frédéric Bastien a-t-il raison d'accuser Trudeau d'avoir trahi ses promesses ?

Pour les fidèles du péquisme il semble très difficile, voire impossible de sortir du dogme selon lequel tous les revers du mouvement souverainiste sont attribuables aux "méchants fédéralistes".


Frédéric Bastien, candidat à la chefferie du Parti québécois, se lie les mains en ménageant son parti.


On peut regretter que Frédéric Bastien ne fasse pas exception. Dans un texte récent, [2] on veut bien se joindre à lui pour clouer au pilori Pierre Elliott Trudeau, mais encore faut-il le faire correctement. La partisanerie mène à l'analyse unilatérale, tronquée et incomplète. On ne peut donc souscrire à la silencieuse complaisance de Bastien avec le comportement du Parti québécois dans la période qui suivit le discours de Trudeau mentionné plus haut. [3] Bastien reproche à Trudeau d'avoir trahi ses promesses. Mais est-ce bien vrai? 

Il écrit : « la déclaration [de Trudeau] a été entendue par presque tout le monde comme une ouverture à ce qu’on a appelé les demandes traditionnelles du Québec, c’est-à-dire des revendications exigeant plus de pouvoirs et une reconnaissance du peuple québécois en tant que nation. »

Comprendre ce qu'a dit Trudeau comme une « ouverture … aux demandes traditionnelles du Québec, etc. » peut aussi apparaître d'une naïveté désarmante. Or, s'il y a quelqu'un qui a été clair et constant contre le nationalisme canadien-français depuis, au moins «La nouvelle trahison des clercs », parue en 1962, c'était bien Pierre Elliott Trudeau. Il faut donc s'interroger car, si « presque tout le monde » avait compris ce que prétend Bastien, on le trouve nulle part dans le texte. Si « presque tout le monde » a cru déceler une « ouverture » de cet ordre, le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle n'était pas claire. Dans les circonstances, avouons que la « promesse » en question ne pouvait engager que ceux qui voulaient bien y croire. 

Le front commun des provinces, une stratégie improvisée

Avant de poursuivre, un bref rappel des faits sera utile pour rafraîchir les mémoires. Au lendemain du référendum, Trudeau reprend immédiatement l'initiative constitutionnelle.


Pierre Elliott Trudeau pourfend le nationalisme canadien-français


Le caractère unilatéral qu'il entend donner à sa démarche suscite la formation d'un front commun des provinces dans lequel le Québec joue un rôle de premier plan. À partir de l'été 1980, Claude Morin fait la navette entre les capitales provinciales, un rôle qui lui sied à merveille. On retiendra que tout ceci se passe après que le PQ vient d'essuyer un non à des négociations constitutionnelles et avant une nouvelle élection. Il s'engage donc dans cet activisme sans politique et sans mandat constitutionnels. Mais Lévesque, qui jongle un moment avec des élections, les repousse finalement en avril 1981, onze mois après le référendum. Esquivant les questions de Claude Ryan, son opposant libéral à l'élection, il reste évasif sur l'orientation constitutionnelle qu'il entend prendre. Pendant ce temps, Claude Morin voyage. Mais laissons là ces considérations de contexte pour revenir à l'essentiel.

Pourquoi Lévesque n'a pas exigé que Trudeau clarifie ses promesses ?

Au lendemain des élections gagnées par le PQ, qui récolte une majorité historique, le temps est propice pour revoir la stratégie constitutionnelle improvisée, engagée sans réflexion. Martine Tremblay écrira :

« Idéalement, il n'eut certes pas été mauvais, pour René Lévesque et les siens, de prendre un peu de recul et de ré-examiner la stratégie suivie jusque-là. » [4]

Et comment !

Effectivement, n'était-ce pas le moment tout désigné pour un gouvernement fraîchement élu de « Prendre un peu de recul » au lieu de continuer de foncer comme une bourrique avec un front commun provincial, dont Lévesque avait jugé peu avant qu'il « est illusoire de compter sur une action concertée des provinces. [5] »  N'était-il pas dans l'obligation du nouveau gouvernement de « ré-examiner sa stratégie » ? Frédéric Bastien n'en parle pas. Comme si Trudeau était seul en scène. Comme si le Québec n'existait pas ou n'avait aucune carte à jouer. Peut-on croire que Québec ne pouvait pas aller au bâton à son tour ? 

Si Trudeau avait gagné une manche avec son discours de la veille référendaire, n'était-ce pas le temps pour Lévesque d'exiger de Trudeau qu'il précise le sens de ses promesses ? D'autant que, à tort ou à raison, plusieurs pensaient qu'il s'agissait d'une ouverture allant dans le sens des revendications du Québec. Il pressait donc clarifier tout ça publiquement. Le Québec devait savoir à quoi s'en tenir afin de pouvoir légitimement considérer ses options avant, surtout, de s'enfoncer davantage avec sa stratégie improvisée. Et, quant aux options de rechange, il y en avait plusieurs si le gouvernement voulait bien se mettre au travail pour en trouver, sans exclure de s'adresser directement à Londres et, au-delà, à une instance internationale. Mais Québec, avec sa grosse majorité péquiste ne fera absolument rien. 

Au lecteur sceptique qui ne verrait dans ce qui précède que les affabulations d'un gérant d'estrade, j'ai trouvé deux personnalités de notoriété publique irréprochable pour venir à ma rescousse. Voici d'abord ce qu'en pense Martine Tremblay, présente pendant des années dans le cercle rapproché de René Lévesque :

« En réalité, la fameuse « Nuit des longs couteaux » du 5 novembre 1981, devenue le symbole pathétique de l'affaiblissement du Québec et de l'humiliation personnelle de René Lévesque, n'est que l'épisode ultime, et beaucoup moins inattendu qu'on le croit, d'une démarche engagée depuis plusieurs mois et dont l'étape la plus cruciale se situe précisément le 16 avril, trois jours seulement après l'élection québécoise. » [6]

Le politologue Guy Laforest n'est pas en reste quand il écrit à son tour : 

« Le 16 avril 1981, trois jours après la victoire électorale de René Lévesque, [...] le gouvernement du Québec a accepté, dans un document qui consolidait un front commun de provinces opposées aux projets de M. Trudeau, une formule d'amendement qui substituait le principe d'un retrait avec compensation financière au droit de veto du Québec. Cette décision fut entièrement improvisée. » [7]

Point d'orgue

Pour être sûr que le clou est bien enfoncé. Fort d'une victoire électorale sans précédent, René Lévesque, Claude Morin et son gouvernement ont trahi les intérêts du Québec par négligence, bêtise et opportunisme politique, le tout chapeauté par une doctrine bancale. Ils sont les premiers responsables de la Nuit des longs couteaux. Par leur inconscience, leur improvisation et l'absence d'une stratégie crédible, ils sont tombés dans tous les pièges. Ce sont eux qui ont facilité grandement l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. 

Qu'ont à répondre Frédéric Bastien et les autres candidats à la chefferie ? Pourquoi gardent-ils le silence? Quelle est leur interprétation de ces événements et pourquoi continuent-ils de se revendiquer du Parti québécois ? Les candidats à la chefferie qui gardent le silence sur ce scandale cautionnent-ils l'action de leur parti à cette époque ? Sont-ils prêts à continuer de la même façon ?

Comme les pères canadiens-français de la Confédération s'étaient laissés duper en 1865 par des promesses rassurantes et des allégations, les Canadiens-Français (remplacez Canadiens-Français par la périphrase de votre choix si vous voulez !) se laisseront prendre de nouveau par les « promesses » de PET en 1980. Et encore par celles de Jean Chrétien en 1995. Dans les trois cas on s'abstiendra de rebondir pour demander des comptes. Certes, les petites nations doivent se garder de ressasser indéfiniment leurs défaites si elles veulent conserver leur foi dans l'avenir. Mais notre premier problème relève peut-être bien davantage d'un déni de réalité. Au lecteur sceptique, je n'ai rien fait d'autre que de relier les pointillés pour faire apparaître un portrait plus véridique. 

 

Notes

1-http://www.lebonnetdespatriotes.net/lbdp/index.php/chroniques/item/23038

2- https://www.journaldequebec.com/2020/05/14/il-y-a-40-ans-la-promesse-qui-devint-trahison

3- https://www.collectionscanada.gc.ca/primeministers/h4-4083-f.html
4- Tremblay, Martine; Derrière les portes closes, Québec-Amérique, 2006, p. 262
5- ibid. p. 261 CDPQ, Mémoire des délibérations du Conseil des ministres, séance du 27 août 1980, cité par l'auteur
6- Ibid. p. 262
7- https://gilles-verrier.blogspot.com/2018/01/le-perdant-extraits-du-livre-de-martin.html

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