mardi, 30 avril 2019 14:02

Aucune constituante bi-nationale sans états généraux préalables

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Gilles Verrier

LA NATION A LE DROIT DE DÉLIBÉRER SUR SON AVENIR EN TOUTE INDÉPENDANCE,  SANS LA PRÉSENCE  DE SON CHAPERON HISTORIQUE
La question nationale se fonde sur l'existence d'une nation sociologique, historique, culturelle. C'est une communauté de conscience, un fait de civilisation. C'est ainsi qu'elle a été
comprise chez-nous par Fernand Dumont, Maurice Séguin, Lionel Groulx, Esdras Minville, François-Albert Angers, etc. Ailleurs dans le monde, Thomas Delos, Ernest Blondel, Ernest Renan, Albert Memmi, voyaient aussi la nation comme une réalité sociologique et historique. À l'autre bout du spectre politique, des personnages du XXè siècle, comme Staline et autres figures controversées campés à gauche, avaient eux aussi défini la nation en des termes ethniques, historiques et culturels identiques. La tradition européenne s'entend donc globalement sur la nation.

La vision anglo-saxonne, prompte à confondre pays et nation en diffère. Sous l'influence de cette dernière, on a cru - ou fait croire - qu'une nation pouvait naître de la simple volonté étatique. Si c'était le cas, la Suisse n'aurait pas besoin de ses cantons découpées sur ses réalités socio-linguistiques, la république de Russie ne reconnaîtrait pas une centaine de nations internes, la Chine et l'Inde et tant d'autres pays n'auraient pas accordé un statut d'autonomie variable, non à des provinces découpées arbitrairement, mais aux minorités nationales installées sur un territoire reconnu et protégé. On pourrait arguer que ces quelques exemples sont marquées ici ou là par des insuffisances, il n'en reste pas moins que tous les pays qui ont reconnu leurs minorités nationales explicitement et ont accordé à leurs droits un statut constitutionnel dépassent d'une tête le Canada. Le Canada, qui aime se présenter comme un parangon de la vertu, fait figure du mauvais élève qui se distingue par le déni de sa propre réalité. Prétentieusement post-national, il ne reconnaît aucune nation, pas même sa nation fondatrice issue de la Nouvelle-France. Ne nous trompons pas. La prétention hypocrite du Canada sert à nier les droits politiques de la nation fondatrice tout en assurant une hégémonie perpétuelle à la nation anglo-saxonne. Cette phrase résume l'histoire du Canada depuis la conquête de 1760.

Marqué par son caractère anglo-saxon, le Canada est voué à la défense absolue des valeurs libérales. Essentiellement, il ne reconnaît que des droits individuels. Par conséquent, les individus de la nation la plus nombreuse l'emportent à tout coup. Mais au-delà de cette arnaque, où les nations ne comptent que pour autant d'individus "égaux", ce qui est plus grave c'est que les idées libérales ont fait leur chemin pour corrompre et rendre inopérant le logiciel de la souveraineté. Le néo-nationalisme québécois qui a tout raté depuis cinquante ans, continue de se reproduire comme la mauvaise herbe. Il porte avec lui un lourd bilan de déconstruction et de dénationalisation. Jusqu'ici il ne s'en est guère ému. Mais son bilan est imparable. Il a encouragé la destruction de l'amour d'une nation réelle pour proposer un patriotisme de remplacement, fondé sur une province du Canada et une nation synthétique : la nation québécoise. Nous baignons désormais dans un nationalisme issu d'une ingénierie sociale volontariste, axée sur un double déni. Celui d'un Canada qui se prétend post-national et celui du Québec bi-national qui prétend former une nation unitaire avec son État. Les deux s'écartant gravement du pays réel. 

Pour le néo-nationalisme québécois, qu'on désigne aussi comme la québécitude, la nation est formée de tous ceux qui ont qualité de contribuables, elle est aussi inclusive que des portes tournantes. Elle se plie à la vision anglo-saxonne libérale pour qui la nation est formée des ressortissants d'un État. Elle rejette l'idée que la nation est une réalité humaine formée dans le creuset de l'histoire. Précisons que pour l'idéologie libérale, toute référence à une réalité humaine autre que l'individu est déjà suspecte. La nations, comme le bien commun d'ailleurs, sont des abstractions qui n'existent pour les libéraux qui nous gouvernent. 

Une « majorité francophone » qui co-existe avec une «communauté [anglophone] aux droits consacrés», tel qu'on le précise dans les considérants de la loi 99 (2000), est un énoncé qui divise d'emblée les citoyens en deux classes, sans qu'on admette qu'il s'agisse de deux nations. Mais les faits sont têtus. Comment expliquer le fait que deux populations ne votent jamais du même bord ? Comment expliquer qu'elles ne bénéficient pas d'un traitement égal de la part de l'État, notamment en matière d'éducation et de santé comme le démontrent toutes les études ? Comment expliquer que des revendications d'ordre constitutionnel n'apparaissent avec récurrence que chez les francophones ? Ces derniers ne constituent-ils pas la seule nation demanderesse ? Une fois mises de coté les lunettes roses de la québécitude, le Québec apparaît divisé entre deux nations qui ne furent jamais enclines à partager dans une harmonie minimale les mêmes institutions. Quoi d'étonnant que la loi 99 ne soit faite que de déclarations pompeuses qui ne changent rien à une réalité que l'on ne veut pas toucher ! Elle reflète la répugnance des législateurs à parler des enjeux nationaux internes au Québec. La loi reste propre et distante. Elle se projette sur les différends au niveau de la structure étatique, elle reste dans le cadre des champs de compétence et prérogatives à défendre contre Ottawa, prenant le chemin qui ne mène nulle part, ouvert et balisé par Claude Morin cinquante ans passés. On ne fera pas de vagues. On ne rappellera pas que le Québec et son État sont déjà des possessions d'Ottawa, notamment par la superpuissance de l'inattaquable nation canadienne-anglaise au Québec qui, dit-on, n'existe pas. En fait, les scènes successives des membres de la québécitude au sein de l'État nous renseignent surtout sur leur peur d'appeler les choses par leur nom, leur trouille d'identifier les injustices nationales telles quelles sont. Notre nation demeure profondément colonisée. Nos élus, restent de grands parleurs et de petits faiseurs qui n'osent pas secouer le joug de leur soumission politique. Le seul geste authentiquement libérateur aura été l'adoption de la loi 101. Depuis, plus rien.  

Notre nation "organique" prend racine dans la Nouvelle-France, elle a subi la conquête et y a survécu. Elle continue d'être différente de la nation canadiAn. L'État du Québec, infecté d'un virus néo-nationaliste mortifère, s'emploie plus que jamais à gommer les différences nationales. Il défend un patriotisme de pacotille qui abuse des bonnes volontés depuis trop longtemps. La québécitude prône un patriotisme décharné, chevillé à l'idéologie du progrès et au libéralisme, qui se donne la belle vocation d'unir deux nations opposées au sein d'une illusoire nation québécoise. Ce n'est pas un patriotisme mais une façon de faire accepter en douce la poursuite de notre effacement.

 
 
LES NATIONS AU CANADA
En plus des peuples autochtones qui pourraient former une ou des nations, sous réserve d'effectifs suffisants pour assurer leur autonomie institutionnelle, le Canada compte deux nations. À l'identique, le Québec compte deux nations dont il est lui-même le berceau  : la nation fondatrice canadienne (française) et la nation canadienne-anglaise, cette dernière fondée sur la négation de l'existence et des droits de la première. Insistons un moment. Ces nations ont toutes deux pris naissance dans la vallée du Saint-Laurent à un siècle et demi d'intervalle. Elles n'ont jamais été égales en droits politiques, ni au Canada pris dans son ensemble, ni au sein du Québec en particulier. Il faut renvoyer aux douches les plumes et les rhéteurs aux lunettes roses, les rentiers de l'indépendance, qui monopolisent le mouvement néo-nationaliste depuis cinquante ans aux seules fins de cacher que le gouvernement du Québec n'a jamais incarné la nation canadienne française (QF, si vous voulez). Le rôle du gouvernement du Québec a toujours été de se constituer en arbitre de l'équilibre entre les deux nations. Il a cherché à maintenir par son activité et son inactivité la trajectoire de la continuité. Une trajectoire qui ne remet rien en cause, qui garde la paix nationale à peu de frais, et qui conduit aussi assurément que deux et deux font quatre à la disparition graduelle de la nation canadienne-française (Ou QF). Il le fait en gardant le silence sur la survivance des privilèges hérités du colonialisme. Il le fait en refusant de demander le rappel des privilèges qui forment le coeur économique de l'injustice nationale. Ce sont ces privilèges reconduits depuis la conquête qui favorisent puissamment la nation canadiAn au Québec et qui en assurent la prépondérance. En refusant de monter au créneau pour que l'État serve la majorité nationale, le personnel politique a toujours renoncé à l'indépendance. 
 
DROIT DE LA NATION À DISPOSER D'ELLE-MÊME 
L'application du principe de la démocratie en matière nationale  n'a de sens que dans le cadre du droit d'une nation à disposer d'elle-même. Toute décision sur l'avenir de la nation canadienne-française minoritaire et toujours victime de l'injustice ne peut être prise que dans un cadre national. Il faut vigoureusement rejeter toute prétention de la nation canadienne-anglaise à s'ingérer et encore moins à statuer sur le sort de la nation canadienne-française. 

Les états-généraux du Canada français ont constitué en 1967-1969 une formule inédite d'action politique autonome. Tout éventuel « référendum » ou « constituante » ne peut occulter cette expérience qui était celle d'un "agir dans l'indépendance", d'un "agir pour soi". On ne peut en faire l'économie. Il est impératif de maintenir les prochaines initiatives en vue de l'égalité politique dans un cadre national, avant de transporter les délibérations dans un cadre bi-national ou plurinational plus étendu. Ne pas procéder de cette façon constituerait un déni d'existence de la nation fondatrice du Canada, un parti pris pour un melting pot québécois dominé par l'esprit libéral anglo-saxon. Ce serait la fin de notre histoire. 

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes rend légitime le recours à tous les moyens pacifiques pour obtenir une pleine reconnaissance politique et l'égalité de droits. Le peuple fondateur, une perpétuelle minorité au sens de la constitution canadienne, doit ré-affirmer son droit de tenir des réunions dans un cadre national sans la présence de son chaperon historique. Sans la présence de ceux qui le bâillonnent et lui imposent un veto soft depuis toujours. Ne laissons pas passer une assemblée constituante des deux nations !

Source : gilles-verrier.blogspot.com

Commentaires   

 
0 #1 Louis-Philippe 12-05-2019 17:54
Un texte fort intéressant mais espérons qu'il ne soit pas trop tard pour sauver le Québec.
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