mercredi, 19 septembre 2018 11:50

L'anglais aseptisé

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Réjean DeGaule

Il est parfaitement compréhensible qu'une partie de la population veuille que les politiciens qui les représentent parlent parfaitement anglais.

Parmi mes clients, nombreux sont ceux qui sont parfaitement bilingues.

Le coiffeur, l'escorte, le vendeur d'automobile, etc, tous sont bilingues, alors pour quelle raison le politicien, censé être leur supérieur hiérachique, ne le serait pas lui aussi ?

Essayer d'expliquer à l'escorte, au coiffeur, au vendeur d'automobiles que la langue anglaise qu'il parle sans accent est un anglais aseptisé, un anglais batard, un anglais qui permet peut-être de servir à merveille et faire de l'argent, mais pas de donner des ordres... Bonne chance. Ils sont bilingues sans accent, ils maitrisent parfaitement l'anglais et gare à celui qui penserait le contraire. On défend avec plus de ferveur sa capacité de parler un anglais aseptisé qu'un français au vocabulaire abondant.

L'anglais aseptisé est souvent une manière de ne rien laisser paraître de l'accent tiré de la langue maternelle. Cette langue devient ainsi une langue d'une simplicité déconcertante.

Les lacunes langagières sont sauvées par une confiance innébranlable en soi, voire même une attitude arrogante. Simuler un accent qui force la contorsion de la bouche et ne jamais douter de la prononciation d'un mot ou questionner l'interlocuteur sur le bon mot à utiliser donne l'impression que vous avez tout compris, que vous parlez un anglais irréprochable.

Cette anglais-là, les montréalais le maitrisent bien, car peuple de serviteur depuis des temps immémoriaux. L'anglais décomplexé du francophone, c'est-à-dire celui qui comporte un gros accent bien québécois et pour lequel on ne fait aucun effort pour le cacher apparaît surtout chez les gens qui n'ont aucun intérêt commerciaux direct, c'est-à-dire, les artistes subventionnés, les travailleurs du milieu des services en français, etc. Aussi bien dire qu'ils sont rares à Montréal.

Pendant ce temps, l'anglais shakespearien, plus un Anglais ne le maitrise, comme plus un Québécois ne maitrise véritablement le latin qui fut la langue commune de nos élites.

Parmi même les anglais de Montréal, surtout les jeunes (je le constate parmi mes clients) on entend de plus en plus cette anglais aseptisé. Serait-ce que les jeunes Anglais ont fait de la servitude leur mode de vie ? L'anglais aseptisé est une forme de novlangue. Le novlangue, dans le roman 1984 de George Orwell, est une réduction du lexique langagier dans le but d'éviter toute forme de subversion et ainsi satisfaire les visées de l'angsoc (socialisme anglais).

À l'exception des clients juifs (qui eux ont la prétention de parler français, mais n'en parlent pas un mot et ont étudié à Dawson et ensuite Mcgill dans des domaines qui ne demandent pas de comprendre le français), la majorité des jeunes anglophones aimeraient bien s'abaisser à parler français. Non sans un peu d'hypocrisie, ils diront qu'ils envient le bilinguisme des Montréalais. C'est en effet avec cette langue châtiée qu'on arrive à heurter ni l'un ni l'autre et ainsi satisfaire tout le monde. Bien qu'on y perde son âme, on achète ainsi la paix.

Doit-on en vouloir aux politiciens de ne pas parler cette langue aseptisée de serviteur, à mi-chemin du novlangue du roman d'Orwell ? Pour une fois, on peut dire à raison que l'ignorance c'est la force.

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