mercredi, 23 octobre 2019 09:56

Le vote stratégique...

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Réjean DeGaules

Vous avez observé les résultats de l'élection.

Vous êtes déçu.

À quoi vous attendiez-vous ?

Un miracle ?

Vous ne croyez pas aux miracles.

Ce qui compte c'est le tangible, la stratégie.

Voilà bien les aspirations d'athées. Voilà bien des aspirations conditionnées par les intellectuels de la fin du Xxe du siècle.

Je taquine un peu. Il y a un peu de théâtre dans ce que j'écris ici.

C'est bien triste à dire, mais les électeurs croient encore que les politiciens ont un pouvoir autonome et, rejetant toute autre forme de croyance, ont cru qu'en masquant leur pensé devant un bulletin de vote ils réalisaient tout de même leur devoir de citoyen et que ce devoir de citoyen améliore le vivre ensemble. Tout indique pourtant que croire aux pouvoirs du vote confine à la déception et donc à une baisse de la croyance en la mission du peuple canadien-français en Amérique. La démocratie n'a rien à voir avec la mission du peuple qui a fondé ce pays, mais il est difficile de nier qu'au sein du peuple canadien-français, l'on ne fasse du sort de la démocratie celui de la continuité de la mission franco-canadienne en Amérique.

Pour vous réconforter, j'ai retranscrit cet extrait d'un auteur français un peu sceptique vis-à-vis des religions, qui donne une bonne réponse aux échecs français, mais aussi ceux québécois.

Extrait de « Allons aux faits, croyances historiques, réalités religieuses » de Régis Debray

« Le péché originel de l'intellectualisme est de confondre le vivifiant et le vérifiable. Il y a un très beau livre de Saint-Augustin, pas très connu, qui s'intitule De l'utilité de croire, où, de façon tout à fait empirique et pragmatique, il nous dit : « Vous savez, on nous accuse de proposer un objet de croyance un peu mythique, la résurrection de Jésus Christ, ça vous semble un peu absurde, mais réfléchissez bien. Si vous ne croyez en rien, vous ne pouvez pas vivre, vous ne pourrez même pas prendre femme. Vous pourriez même avoir des rapports difficiles en famille, avec vos enfants parce que au fond si vous avez de bons rapports avec vos enfants c'est parce que ce sont vos enfants, c'est un acte de croyance ; vous n'allez pas surveiller votre femme tous les jours et toutes les nuits. Êtes-vous vraiment sûr que ce sont vos enfants ? » Le croyant est pragmatique. Il fait aller. Cela suffit.

Ce qu'on peut regretter, cela dit, c'est, comme le remarque Ernst Jünger, « qu'on ne peut pas trouver ce que l'on croit, et on ne peut pas non plus croire en ce que l'on prouve ». Cet hiatus est embêtant. Il condamne au grand écart. Le démontrable n'est pas le vitaminé, et le vitaminé n'est pas démontrable. D'où sort régulièrement un dilemme cornélien, un conflit d'intérêts entre notre désir de savoir, qui va nous démoraliser, et l'envie d'y croire encore, qui regonfle, entre l'objectif et l'alléchant et l'allant. Croire c'est croître. La justification biologique manque peut-être de panache, mais contre la fossilisation, n'est-on pas en droit de faire feu de tout bois ?

Sous cet angle de vue, l'envie de vivre, il est incontestable qu'une forte croyance offre un net avantage évolutif aux individus, dût-elle se payer d'une entorse au bien penser. On peut regretter qu'il nous faille parfois choisir entre Le discours de la méthode et l'instinct de conservation, mais reconnaissons que croire, cela avive, cela réveille, cela irrigue. Cela fait des enfants et des familles nombreuses – le taux de natalité est plus élevé chez les croyants, juifs, cathos, musulmans, que chez les gens revenus de tout. La foi pousse à la reproduction, ce dont peut dissuader une plus sobre vue de l'état du monde. Ça donne en tout cas de la flamme, synonyme de force nerveuse, et du feu, synonyme de chaleur vitale.

Certaines études médicales ont montré que les grands croyants, comme les grands sportifs, ont moins d'infarctus et de maladies cardiaques que les autres, et que le paroissien a une meilleure espérance de vie que le j'm'en-foutiste. Il y aurait là de quoi conseiller au troisième âge de faire du sport, d'aller à la messe le dimanche ou à Nuit debout, place de la République, pour se maintenir en forme. Car le vieux physiquement décroît, et, comme par hasard, il n'y croit plus trop, moralement, à ses lubies de jeunesse. Aussi la vieillesse n'est-elle jamais loin du naufrage. Et je me souviens de certaines compagnies de jeunes gens, les compagnons du Devoir en l'occurrence, dont le plus vieux, me suis-je entendu dire, « est encore dans l'âge où l'on croit à quelque chose ». Mauvais signe, peut-être, pour le discernement, bon signe pour la carrière future de cet apprenti compagnon. »

À écouter Régis Debray disserter, on en vient à croire qu'il y a bien plus motivant que de croire aux avancements possibles de la démocratie. Mais chut il faut être stratégique... 

Source : Debray, Régis, Allons aux faits, croyances historiques, réalités religieuses, Gallimard France Culture 2016 

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