vendredi, 28 juin 2019 10:43

La classe de Richard

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Réjean DeGaule

Richard Martineau qui parle de lutte de classe... Comment y croire ? [i]

Dans la classe de Richard, l'enseignant est Denys Arcand.

Denys Arcand, dans le confort de l'indifférence, « dépeints les gens du peuple comme des gros quétaines incultes qui s’intéressaient plus au « tapis shag » de leur Winnebago qu’à l’avenir de la nation québécoise », interprète Martineau avec son habituel coup de crayon gros comme une immense plume-feutre.

Ce regard condescendant des élites serait responsable du clivage entre la population et les élites. De mon point de vue, Arcand était plutôt la voie de la conscience des intellectuelles de sa génération. Il a montré assez tôt où le libertinage des élites allait les mener.

Richard aime beaucoup son enseignant. On ne compte plus les éloges qu'il a fait de ses films. Avec le temps, on pourrait dire que Denys est devenu un mentor pour Richard. Néanmoins, Richard fait porter une partie du fardeau de ce clivage sur la tournure d'esprit de la génération de son mentor. Est-ce pour éviter de se poser la question de sa responsabilité et celle de ses camarades de classe ?

Arcand n'a jamais donné ses cours dans le but unique de recevoir l'approbation. C'est pour cette raison qu'il est arrivé parfois à dire des vérités. C'est pour ces vérités que Richard l'admire tant.

Le sacerdoce étudiant

Les enseignants d'aujourd'hui n'ont pas le choix de recevoir l'approbation des étudiants. Les étudiants sont devenus les curés des écoles. Et celui qui défie le clergé de son temps nuit à sa carrière. Si autrefois Denys arrivait à recevoir un salaire en confrontant sa classe, aujourd'hui, le salaire ne se gagne qu'en donnant raison à la classe. Autrement dit, c'est la classe qui dicte la spiritualité de la classe. Le salaire, autrement dit, le temporel, vient du gouvernement du Québec. Mais comme la spiritualité influence la sphère temporelle, d'une manière indirecte, le salaire est décidé par la satisfaction de la classe.

Devenu enseignant, Richard ne fait pas exception à cette règle de l'étudiant-roi. Ses articles ont pour but de donner raison à sa classe. Pour quelle raison agirait-il autrement ? La qualité de ces articles est jugée en fonction du nombre de commentaires qu'ils suscitent.

La classe de Richard a toujours raison. Elle a raison d'être frustrée. Elle a raison de chialer contre Richard...

Ses articles du Journal de Montréal ne sont pas si différents de ceux qu'il écrivait pour le journal culturel ultra-bobo Voir.

Certains étudiants n'aiment pas cette unanimité.

Laissez-moi vous parler d'une des étudiantes de Richard. Elle s'appelle Judith. Lussier. Petite rebelle dans l'âme, Judith aime malgré tout son professeur Richard. Tout comme Richard, Judith veut écrire des chroniques d'humeur. Richard, en bon libéral qui idolâtre l'individu et toute la liberté d'expression qui lui est due, lui laisse écrire ce qu'elle veut.

Judith voit des privilégiés partout. Le plongeur québécois du restaurant chez qui elle va dîner régulièrement est un privilégié. Le conducteur québécois de semi-remorque qui conduit des heures qu'il ne compte plus pour livrer les vêtements et accessoires de la classe de Judith est un privilégié. Tous ces Québécois qui la servent n'ont, pour elle, jamais essuyé de refus quant à leur volonté de faire partie d'un pays indépendant, qui ne serait pas asservi à des intérêts coloniaux, de marchands anglais, de loges maçonniques quelconques.

À l'opposé, les étudiants de Richard ne se voient pas comme des privilégiés. L'entrepreneur qui travaille 70 heures semaines, perdant au passage sa femme et ses enfants en raison de sa fixation sur le service qu'il doit rendre aux clients ou tout simplement sur le profit de l'entreprise, n'a pas trop de quoi y croire, surtout lorsqu'il aperçoit les classes supérieures avec qui il lui arrive de négocier des contrats.

Richard leur donne toujours raison. Vous n'êtes pas des privilégiés, dit-il. Votre seul privilège est de vous être émancipé de la religion. Le message passe sans trop que Richard ait à insister. Tout pour exaspérer Judith. Judith voudrait un Richard ferme. Judith voudrait que Richard montre qu'ils ne sont pas des victimes. Judith voudrait que Richard montre à quel point sa classe exploite les minorités. Judith voudrait que Richard montre que l'entrepreneur qui travaille 70 heures semaines gagne un très bon salaire et est donc privilégié de travailler ainsi. Judith voudrait que Richard soit le Denys Arcand de sa génération. Celui qui met sa classe devant ses contradictions.

Judith voudrait que Richard fasse comprendre à cet entrepreneur que : « L’empathie, l’écoute et l’humilité » à l'endroit des minorités « sont des attitudes extrêmement gratifiantes ». Ce sont les mots de sa dernière chronique. Est-ce que Judith, elle-même fait part d'empathie pour tous ces entrepreneurs. Les a-t-elle déjà écoutés ? Et puis l'humilité ? L'a-t-on déjà vu admettre une erreur ? Pour se faire, il faudrait que Judith se soit déjà remise en question, mais Judith n'a jamais eu de Denys Arcand pour la confronter avec les contradictions de sa classe. Judith n'a eu que Richard pour vaguement lui donner raison, même quand elle avait tort. Judith n'a appris que le refrain liberté, égalité, contester, va te faire niquer, etc., le genre de libéralité si contradictoire avec l'obéissance aveugle qu'exige le monde adulte, celui de l'hypothèque, de l'impôt en avril et des huissiers.

Bien que Judith ne se fasse pas d'illusion sur les véritables idées de Richard et sa classe, elle aimerait tellement que Richard laisse la liberté à sa classe d'être des « alliés de la diversité sexuelle et de genre, plutôt que de protéger jalousement ses privilèges. En somme: faire preuve de maturité. » Ce sont encore une fois les mots de sa dernière chronique [ii].

Demander à cet entrepreneur de la maturité en acceptant de mettre un second genou au sol pour des minorités post nationales, apatrides, etc. Imaginez juste la réaction de l'entrepreneur qui travaille 70 heures semaine au point de perdre sa femme et ses enfants et son profit en pension alimentaire si Richard lui tenait ce genre de discours... Imaginez toute la violence que Richard recevrait ou mériterait de recevoir. Il se peut bien que l'acte de violence soit sous-traité à des minorités qui n'ont rien à perdre et envers qui le système judiciaire est parfois plus clément parce qu'ils font pitié. Mais le résultat resterait le même. Richard risquerait gros.

Bien que ses demandes auprès de Richard soient absurdes, Judith ne modifiera pas ses exigences puisqu'elle ne voit aucun privilège accordé à ceux qui défendent la diversité sexuelle et de genre. Judith n'est pas consciente des privilèges qu'accorde la charte des droits et libertés. Et encore, est-ce un privilège de se définir par sa différence ? Se sentir intégré au groupe malgré sa différence serait mieux, non ? En se définissant par sa différence on empêche l'intégration, on confine toute minorité à n'être qu'une marchandise d'un groupe d'intérêt ou d'un lobby. Au mieux la minorité est confinée à ne fréquenter que ses semblables. Dans bien des cas, il n'y a pas de semblable.

Dans une autre vie, Judith serait une fidèle d'une secte protestante pour qui le péché originel est la responsabilité intégrale d'Adam. Enfer et damnation à celui qui mort dans la pomme à l'origine de toute vie humaine. Bénis soient le serpent et Ève qui ont fait en sorte de lui faire croquer. Par contre, quoi que l'homme dise, quoi que l'homme fasse, l'enfer est sa destinée. Tant qu'à être puni en enfer aussi bien, en attendant la vie après la mort, en profiter pour martyriser des minorités, se disent de bonne foi les soi-disant privilégiés. Et tant qu'à faire, pour quelle raison ne pas lui retirer le privilège qu'elle a d'écrire pour un journal qui touche un aussi large public.

Qui voudra sauver Judith de cette impasse au sein de sa classe ?

Liberté d'expression est la ligne directrice de la classe de Richard. Richard laisse Judith écrire ce qu'elle veut. Ce n'est, d'ailleurs, pas lui qui décide. Dans cette classe, les maîtres à penser n'ont aucune influence. Sous l'influence des étudiants, seul celui qui accorde le salaire décide. Richard n'est évidemment pas responsable du salaire de Judith. Donc, bien que Judith reprenne les enseignements de la chronique d'humeur que Richard lui a montrée, ce dernier n'aurait eu aucune influence sur ce qu'elle écrit. Judith se veut indépendante et sa classe n'aurait aucune influence sur elle. Comme dans tout bon système libéral, l'individu est maître. Il pense ce qu'il veut (ironiquement, il ne fait pas ce qu'il veut, son assujettissement au capital apatride est souverain). Néanmoins, en laissant Judith s'exprimer comme elle l'entend, la classe est divisée. La classe est surtout bien en colère contre Richard. Pour quelle raison aurait-elle le droit d'écrire le contraire de ce qui a toujours été enseigné ? En réaction à un pareil revirement de veste, plus aucun étudiant ne veut lui obéir. Au final, si Richard continue à donner raison à sa classe, Judith pourrait se sentir exclue de la classe, pourrait crier à la discrimination et même porter plainte au directeur de l'établissement.

Sentez-vous l'affrontement monter au sein de cette classe ? Judith et le directeur de l'établissement vs Richard et le reste de la classe. J'ai plutôt l'impression que Richard se rangera du côté de Judith et du directeur de l'établissement, mais bon, je peux me tromper.

Où est passé le vénérable Denys Arcand quand on a besoin d'une sage parole qui ne donne pas systématiquement raison à tout le monde dans la classe ?

Denys a compris que pour continuer à produire des films, il fallait qu'il donne raison à Judith. C'est pour cette raison qu'il a produit son dernier film « la chute de l'empire américain », un film qui flatte le bobo dans le sens du poil de Judith. Dans ce film, le mâle blanc de 50 ans et + joué par Pierre Curzi, malgré sa fortune colossale et un accès à un réseau international de banquier, se fait trahir par sa fidèle escorte de luxe, et se fait arrêter pour évasion fiscale. Le héros de cette histoire, celui qui part avec la fille et l'argent à la fin, finit par vivre une vie heureuse et égalitaire avec sa copine l'ex-escorte de luxe tout en donnant sa fortune aux pauvres des soupes populaires. Qui eût cru que ce héros qui se veut un intellectuel qui pourrait être membre de Québec solidaire sortirait vainqueur du capital lui-même... Aussi bien croire au conte pour enfant tant qu'à y être.

Soudainement, on s'ennuie bien du temps où il y avait un maître dans la classe. Son dernier film apparaît bien plus condescendant envers le petit peuple que sa soi-disant condescendance des films précédents. Cette condescendance est un problème bien léger en comparaison de l'enculage de mouche quotidien au sein de la classe de Richard. La classe de Richard est aujourd'hui affaiblie au point de devoir appuyer la CAQ, malgré toute l'immigration qu'elle promet à une population qui l'accepterait et la traiterait si bien si elle n'était pas si nombreuse et dévouée à ce qui n'est pas le Québec. Est-ce que le 63% de la population qui refuse l'augmentation de l'immigration proposée par la CAQ votera pour un autre parti ? Bien sûr que non.

Voilà où mène la pensée libérale généralisée.

Les païens se permettent vraiment tout.

Avez-vous remarqué que le journal de Montréal a réussi à parler pendant un semaine presque complète du piètre état des routes au Québec sans faire allusion une seule fois au mot corruption ? Pauvreté maudite ! N'est-ce pas Mario Dumont !? [iii]

Le culte païen crée des merveilles...

[i] https://www.journaldemontreal.com/2019/06/17/la-nouvelle-guerre-des-classes

[ii] https://journalmetro.com/opinions/2335319/un-peu­de-maturite-svp/

[iii] https://www.journaldemontreal.com/2019/06/19/des-routes­de-pauvres

Commentaires   

 
+1 #1 Louis-Philippe 28-06-2019 17:06
Un texte très intéressant. Le passage sur la diversité sexuelle m'a directement interpellé. Je défend la même position que l'auteur sur l'intégration en lieu en place du communautarisme basé sur l'identité. Mais je prêche souvent dans le désert et mon point de vue est généralement incompris parmi les LGBT.
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