Réjean DeGaules
Autrefois, nous n'aurions pas entendu parler de l'affaire Morin-Nolin. Autrefois, ça aurait été résolu en privé, Madame Bon-merdier [1], dans sa chronique du jour [2], a beau voir un aspect criminel dans toute cette affaire, l'étrange morsure de fêtard relève du petit délit qui se règle à l'amiable.
Ce petit fait divers étrange semble avoir déclenché une vague de dénonciation. Bernard Adamus, et Yann Perreault sont les derniers en date à en subir les conséquences. Jusque-là, rien qui mérite plus d'attention que les nouvelles d'allopolice.
Toutefois, modernité oblige, la réaction est disproportionnée. La raison de cette disproportion mérite une attention. Les trois suspects dénoncés sur les médias sociaux ont été immédiatement abandonnés par la compagnie qui gérait leur carrière, sans même qu'il y ait de procès ou d'enquête pour connaître le fond de l'histoire. Les artistes, eux, semblent accepter leur sort, sans esclandre et sans rouspéter. Ce peu de réaction serait aussi digne d'intérêt, mais ce sera pour une autre fois.
Dire que les artistes sont des gens excessifs est un euphémisme. Être excessif a toujours fait partie de leur travail. Autrefois, tant que ça ne tombait pas sous le coup de la loi (et encore), ça ne causait pas de problème. Qu'est-ce qui a changé ? « Because we are in 2020 ! » Mauvaise réponse.
Des employés congédiés par le coronavirus ?
Dans la vie, de tous les jours, on aperçoit des phénomènes qui auraient été impensables avant l'avènement du coronavirus. Le supermarché fonctionne à des heures réduites. Plusieurs compagnies sont difficiles à joindre au téléphone, en raison, disent-ils, du coronavirus. Les déménageurs obligent à payer en argent, en raison du coronavirus. Les livreurs font le strict minimum en raison du coronavirus. Bref, le coronavirus a le dos large. Plusieurs services gouvernementaux ont cessé leurs activités (notamment la succursale de la société d'assurance automobile de mon coin de Montréal). À chaque fois, le prétexte coronavirus semble cacher celui de la crise économique. L'on peut déduire que les livreurs sont surchargés parce que la compagnie qui les engage fonctionne à personnel réduit. Les déménageurs réclament un paiement comptant parce qu'en ne déclarant pas leurs heures, ils peuvent réclamer la PCU. Le supermarché et les diverses compagnies difficiles à joindre au téléphone cherchent à compenser les pertes (ou le manque de personnel) des derniers mois. Le coronavirus est devenu un prétexte pour chaque ajustement d'affaires. Plutôt que de passer pour méchant en virant des employés comme des malpropres, on invente un prétexte. Pour quelle raison le monde des artistes fonctionnerait autrement ? Comme les revenus dans le monde culturel sont plutôt rares par les temps qui courent, des coupures sont certainement à envisager.
Le monde des artistes ne pouvant faire les choses comme tout le monde, il n'est pas surprenant que sa manière de s'adapter aux restructurations économiques soit différente. L'hypothèse de se servir des vices (souvent bien réels) des artistes pour opérer cette « adaptation » n'est pas à exclure. Vous vous dites que c'est vraiment cruel que de détruire une réputation pour ce genre de raison. Est-ce qu'une crise économique a déjà été douce ?
Ce qui est dérangeant c'est que l'hypocrisie est à un sommet inégalé dans l'histoire. Il serait bien de contrecarrer cette hypocrisie par un petit exercice que l'on devrait pratiquer tous les jours. Plutôt que de dire hypocritement que les quatre derniers mois ont été une période de crise du covid ou du coronavirus, nous devrions dire qu'il s'agissait d'une crise économique.
Allez tout le monde, répétez après moi, nous avons vécu quoi ?
"Une crise économique".
Et elle continuera. Le coronavirus continuera aussi longtemps que la crise économique ne sera pas réglée.
En admettant cette crise économique, soudainement, nous mettrions fin à ce besoin d'inventer des histoires pour justifier des mises à pied.
Qui est le responsable de cette crise économique ?
Pourvu que vous ne répondiez pas le Covid, le coronavirus ou la race des dominants, nul besoin de souffler la réponse, vous aurez démontré les signes de votre compréhension.
En répondant à cette question, vous comprendrez l'origine de toutes ces petites hypocrisies du quotidien.
[1] J'envoie tout de suite les honoraires pour les droits d'auteurs de cette boutade au groupe d'humoristes RBO, ils en ont bien besoin.