Réjean De Gaulle
Dans une chronique reprise par le Bonnet des Patriotes, Gilles Verrier nous incitait à revenir aux écrits d'Esdras Minville, François-Albert Angers, Lionel Groulx, afin de retrouver « des repères stables » et ainsi « retrouver notre boussole nationale ». Je suis aussi de ceux qui recommandent ces auteurs, avec toutefois un bémol : il ne faut pas omettre de replacer ces auteurs dans leur contexte. Ces auteurs de l'Action nationale vivaient dans une période infiniment libérale. Un ouvrage intitulé Duplessis : entre la grande noirceur et la société libérale le rappelle assez bien. Notons, par ailleurs, que certains de ces auteurs ont contribué à l'essor du parti politique dénommé Action libérale nationale. Ces intellectuels n'ont jamais totalement refusé le libéralisme. Malgré tout, dans un tel contexte, il est difficile de leur reprocher cette acceptation du libéralisme. L'Amérique n'a pas connu d'autre système. Le libéralisme s'est même accéléré.
Fin de la transmission héréditaire
La particularité du libéralisme est son absence de dynastie autant parmi les hommes de pouvoir que parmi les élites, les différents métiers, etc. Esdras Minville, François-Albert Angers ainsi que Lionel Groulx n'ont pas remplacé leur père en tant qu'intellectuels influents et ne se sont pas fait remplacer par leurs enfants en cette qualité d'intellectuels.
Ces derniers ne sont pas responsables de cette organisation de la société. Ils sont nés dans une société qui ne permettait pas la transmission héréditaire, ou du moins très peu. Que pouvaient-ils faire d'autre que ce qu'ils ont fait ? Leur pensée traditionaliste/libérale (drôle de mélange) s'explique par le fait que chacun d'entre eux vivait à sa manière les derniers moments de la transmission héréditaire organisée en tant que système. Leur romantisme s'explique par leur impuissance à empêcher ce renversement perpétuel de l'ordre établi. Pour bien vivre ils devaient s'adapter à leur époque, et ce, même si au fond d'eux-mêmes ils n'acceptaient pas ce changement de garde. Réaliser que le lien entre eux et leurs ancêtres se brisait devrait être crève-coeur. Le recueil de nouvelles, Les rapaillages de Lionel Groulx, est probablement la preuve de ce romantisme la plus touchante et la plus populaire (tiré à 60 000 exemplaires à une époque durant laquelle les gens ne savaient soi-disant pas lire)
La stabilité de l'identité québécoise
Angers, Minville, Groulx ont transmis un savoir à des individus et non à des fils. Les individus accordent de la légitimité davantage au maître qu'au père. Pourtant, le lien père/fils est beaucoup plus solide et stable que le lien maître/élève. Malgré tous les efforts et le respect que leur ont voué les gens qu'ils ont formés par la suite, les successeurs provenaient d'un milieu familial différent, d'un parcours différent, avaient des sensibilités différentes. Il était donc bien normal qu'un jour ou l'autre, les successeurs de Minville, Groulx, Angers et autres ne respectent pas intégralement leur oeuvre. Raison pour laquelle, dans une société libérale, il n'y a pas de stabilité possible.
Jean Rivard et Gendreau-le-plaideux
Dans une société libérale, nous allons de remplacement de population en remplacement de population. La démocratie, lorsque les élus représentaient encore quelque chose, ne faisaient qu'accélérer ces remplacements. Les populations rurales, pour qui la proximité entre les individus est synonyme de survie, ont toujours un peu refusé ces remplacements et placaient au pouvoir toujours les mêmes députés. Mais c'était une question de temps avant que la relative unanimité laisse place à la bisbille la plus complète. Déjà dans la série de romans Jean Rivard d'Antoine Gérin Lajoie, respectivement publiés en 1874, 1876 et 1877, le personnage de Gendreau-le-plaideux représente ce qui était et devint encore plus évident par la suite, c'est-à-dire, la plus fidèle représentation de tous ces Québécois qui refusaient l'absolu maintient de l'ordre établi, aussi méritoire fût-il. En Gendreau-le-plaideux, on voit sous une forme toute simple, l'inoculation du poison libérale dans les veines de la colonisation des villages québécois. Sous une forme d'abord assez inoffensive, on voit ce personnage comme la représentation des guerres de clochers qui sévirent au sein de bien des villages québécois, résultat d'une judiciarisation, à l'aide du Code civil, qui permettait aux gens de poursuivre leur voisin pour des peccadilles, un problème bien banal de zonage, etc. Bref, rien de bon pour l'efficacité du village. Le Palais de justice n'étant pas à la porte d'à côté, il n'était pas rare de voir un propriétaire perdre une indispensable journée de travail pour aller poursuivre son voisin en justice. C'était le genre de chicane entre voisins qui, sous le régime seigneurial français (aboli en 1854), se serait réglée au détriment de l'orgueil du citoyen, mais à l'avantage du village entier.
Si au sein de cette société libérale le remplacement de l'ordre établi se faisait tout de même entre Québécois, il est évident qu'en abaissant les frontières et en facilitant les déplacements des populations à travers le monde, ce remplacement de population cher au système libéral allait rendre les postes prestigieux du Québec, accessibles à la planète entière. Cette absence de transmission héréditaire, sa dévalorisation progressive, mais parfaitement cohérente avec le système dans lequel elle prend place, explique la raison pour laquelle, un immigrant qui vient à peine d'arriver au pays peut parfaitement prendre l'ascendant sur un descendant d'aristocrate français débarqué en Amérique au 17e siècle. Il va de soi qu'eux aussi ont perdu leur noblesse en immigrant. Mais qu'est-ce qu'on en a à faire de sa noblesse perdue, s'il est là pour prendre notre noblesse ? On me répondra que les paramètres de la société ne sont plus les mêmes, que s'il est plus compétent, il a bien davantage sa place au haut de la hiérarchie du Québec que n'importe qui de moins compétent. On aura raison de me répondre ainsi. Ce raisonnement sera parfaitement cohérent. Le renversement s'opérera sans qu'on ne puisse rien dire, car c'est comme ça qu'on nous a enseigné que la vie fonctionnait. La logique libérale fait en sorte que savoir vivre les particularités du Québec ou non importe peu. Ce raisonnement s'applique à ceux qui habitent le territoire depuis des centaines d'années. Ainsi, le train des continuels renversements de l'ordre établi ne s'arrêtera pas du jour au lendemain. Il s'arrêtera que si on le fait dérailler. Je salue les gens de Lac-Mégantic qui savent ce qu'implique un déraillement de train.
Dans un Québec progressivement avalé par le système libéral, il est difficile de parler de stabilité. Sur la planète entière, le respect d'un ordre héréditaire qui ne change pas parce que tout le monde a son rôle devient mal vu. Dans ce contexte, chérir les causes de ce malheur (chérir le libéralisme, la démocratie) est l'insulte qu'on ajoute à l'injure.
Commentaires
https://magnificat.ca/odm/fr/les-dix-commandements-de-dieu/
Le conservatisme anti-libéral canadiEn, sous la forme d'un nationalisme décomplexé, nous offre aujourd'hui
les arguments, la doctrine, qui peut renverser la dynamique du déclin qui frappe la nation. Voir ici pour plus de détails :https://gilles -verrier.blogsp ot.com/2018/09/ la-nation-selon -esdras-minvill e-et-le.html
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