mercredi, 21 novembre 2018 15:09

La croyance du frère Landry

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Réjean DeGaule

Monsieur Landry est mort. La bienséance impose généralement de laisser refroidir le cadavre avant de commenter ouvertement son oeuvre. Maintenant qu'il fait bien froid dehors, que ce froid a dû se rendre dans le tombeau de monsieur Landry, je décrète que l'on peut en parler...

Vulgaire de précocité vous dites ?...

Je rivalise de vulgarité avec les commentaires qu'ont tenu Biz et le commentateur sportif Jean-Charles Lajoie en hommage à monsieur Landry, lors de l'émission Jean-Charles en liberté du 9 novembre dernier.

Parmi plusieurs propos intéressants de leur part, voici le propos qui agaçait : « Monsieur Landry avait compris que le premier motif pour faire l'indépendance c'était l'économie », avant de louanger Landry d'avoir été un ardent défenseur de l'ALENA (accord de libre échange nord-américain) [i].

L'idée était de rendre de bonne foi un hommage. En grand ami du frère Landry, Biz ne pouvait qu'agir ainsi. Les informations de ce passage sont tout à fait juste. Monsieur Landry préchait une économie libérale, une économie avec moins de frontière. Ça a l'avantage d'être clair et honnête. Toutefois, tout indépendantiste aurait dû être découragé que ce propos soit juste. Tout indépendantiste cohérent aurait dû dire quelque chose comme : « Malheureusement, monsieur Landry défendait avec ardeur le libre échange. »

Bien que les capacités oratoires de ces deux joyeux lurons (Biz et Jean-Charles Lajoie) soient enviables, les dogmes et les idéologies qu'ils utilisent pour se faire une idée le sont beaucoup moins. Comment peut-on associer l'Accord de libre échange nord-américain et l'indépendance du Québec ? Comment peut-on glorifier « l'internationalisme » de Landry à la manière de Biz quand l'on est indépendantiste ? D'où vient cette étrange et contradictoire façon de pensée ? Vous me direz que ce n'est qu'une émission de sport, que leur opinion n'est pas à prendre au sérieux. Je ne crois pas que Jean-Charles Lajoie se prenne au sérieux. Biz se prend au sérieux. Et, surtout, la population les écoute et les prend au sérieux. Lorsqu'ils s'expriment sur la politique, ils ont donc une grande responsabilité, bien que l'émission ne sera jamais une référence en matière de politique. Un peu comme Stan Lee [ii], auteur juif de contenu culturel très judéo-centré (voir image ci-dessous), ces amuseurs publics ont beaucoup plus d'impact sur l'esprit des gens que les références qui produisent du contenu dit sérieux. Si ce n'est pas tout le monde qui les apprécie, la réflexion sera quand même réalisée en fonction de ce qu'ils ont affirmé.

 

 

Raisons pour lesquels le libéralisme et le nationalisme devrait être imcompatible

Pour démontrer à quel point, par cette affirmation voulant que le motif de l'indépendance soit l'économie, nous nageons en pleine ignorance de ce qu'est l'économie, je me permets de reprendre les paroles d'un enseignant de cégep qui expliquait, il y a bien 12 ans de cela, que l'économie était une affaire de croyance et de confiance. Pour lui, une monnaie avait une valeur x uniquement parce tout le monde y « croyait ». On accorde une valeur à un produit que si les gens, les institutions, sont prêtes à accorder cette valeur à ce produit. On spécule à la hausse sur la valeur d'un object que si l'on croit l'avenir prospère. Bien sûr, pour justifier cette valeur, certains calculs sont de mises et on laisse les institutions dites compétentes en la matière les réaliser à notre place. La responsabilité de la valeur n'imcombe donc pas à une croyance personnelle et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, cela n'a rien de rationnel, cela ne repose pas sur une démarche scientifique. L'origine et la direction de cette valeur partent plutôt d'une croyance commune, autrement dit, d'une concertation sur ce que la croyance doit être. La minute qu'une majorité des financiers cessent de concert de croire à ce qui donne la valeur à l'argent ou ne veulent plus investir parce qu'ils n'ont plus confiance en l'avenir, cette monnaie fluctue et, ultimement, l'économie peut s'effondrer. Donc, qui parle d'économie, parle de religion parce qu'on parle de concertation de croyance.

La pensée rationnelle qui mène au doute et à l'incertitude est la pire ennemie d'une économie libérale stable. À noter qu'une économie libérale stable (au sens où il n'y a pas de chaos) ne peut qu'être croissante. C'est bien ce qui cause problème : une économie ne peut pas croître en permanence. Pour garder une stabilité par la croissance, il faut étendre le marché toujours plus loin. Le moyen employé pour étendre le marché toujours plus loin est de faire en sorte que tout devienne marchandise. Pourquoi pas, l'air qu'on respire, les idées, les religions, les bras des travailleurs, les migrants, la drogue, vos enfants, votre vulve, vos bras, vos organes etc... Pour garder une stabilité, autrement dit, une croissance, tous les prétextes sont bons. Si rien n'empêche cette logique, tout devient marchandise ! Je dis bien tout ! Comme les besoins humains ne peuvent augmenter sans cesse, il est difficile, voire pratiquement impossible, d'étendre le marché à perpétuité. En attendant d'atteindre l'extrême limite du « tout est object de consommation», si l'on ne veut pas de récession, de chaos, tout le monde doit croire aux bienfaits de l'extension du marché dans toutes les sphères de la société. La croyance a beau être absurde, elle est le seul moyen pour que la roue libérale continue de tourner et qu'il n'y est pas de gigantesque crise. En ce sens, monsieur Landry, cet indécrotable croyant, est un grand homme.

Toutefois, la marche vers l'indépendance réelle d'un pays contraint les gens à douter de l'extension du marché. Poser des frontières - et c'est bien ça, rendre indépendant un pays - empêche l'extension du marché dans toutes les sphères de la société. L'idéale d'une économie libérale est une planète sans frontière. Cela permet la fuite en avant, en repoussant la prochaine crise ou récession toujours plus tard. Donc, pour quelle raison faire dévier la trajectoire de notre croyance (ce qui arrive quand on milite pour l'indépendance), quand le moindre doute, le moindre manque de croyance peut faire stagner, voire déstabiliser l'économie déjà en place ? Continuons de croire, car le doute pourrait nous causer des problèmes, se disent les gens, sans trop pouvoir le vulgariser.

Si le motif de l'indépendance du Québec est l'économie, j'espère qu'on ne parle pas de cette économie libérale qui interdit le doute.

La religion de monsieur Landry

Madame Durocher, chroniqueuse du Journal de Montréal qui a étudié à l'Université Columbia (université décrite par Jack Kerouac comme composé de « 96 % de juifs et pour la plupart très riches »[iii] s'extasiait devant un Lucien Bouchard qui citait « Plutarque, Churchill, Papineau, Clémanceau » [iv] lors de son discours aux funérailles de monsieur Landry. Madame Durocher s'arrête à la forme du discours de monsieur Bouchard. Sophie Durocher écrit : « Ces hommes et ces femmes […d'un autre temps. Ceux qui ont fait leur étude classique] n’avaient pas honte de lire des livres, de citer des auteurs dans le texte, de vouer un culte à la connaissance, aux phrases bien tournées, aux réparties bien envoyées. » Madame Durocher se laisse bercer. Elle ne se pose jamais la question quant à la provenance de ces citations. Pour quelle raison choisir « Plutarque, Churchill, Papineau, Clémanceau » ? Quelle est la tournure d'esprit de ces hommes ? Si l'on ne prend pas en considération leur tournure d'esprit, aussi bien les placer sur un pied d'égalité avec les stars d'hollywood, non ? Ne prenons pas Monsieur Bouchard pour un impit. Bien sûr, monsieur Bouchard, contrairement à Parizeau et Landry n'arrivait pas à croire avec autant de ferveur au mécanisme de la divine économie libérale. Quand Standards and Poor's menaçait de décoter l'État québécois sur les marchés financiers, Monsieur Bouchard a tout de suite paniqué en pourchassant naïvement le fameux déficit zéro [v]. À se demander d'ailleurs comment, Bernard Landry, son ministre des finances, a pu laisser Lucien Bouchard paniquer à ce point ? Tout le monde qui croit dur comme fer à l'économie libérale sait qu'il ne sert à rien de rembourser les déficits et qu'il vaut mieux continuer d'investir sans considération pour l'énormité du déficit, car cette attitude permet aux entrepreneurs de continuer de croire et donc d'investir. Cela permet d'éviter le chaos. Non, Monsieur Bouchard est un bien meilleur croyant que ça. Il a cru les agences de notation, « l'insécurité financière des Québécois (ces mauvais croyants) » a exalté sa croyance, il s'est agenouillé devant les saintes agences de notation, il a fait son signe de croix, sa prière. Bénit soit Churchill, Saint-Papineau plein de grâce, que la volonté de George Clémanceau soit faite sur la terre comme au ciel. Avant de supplier le seigneur de garder la cote de crédit telle qu'elle était à ce moment. Il faut dire, Monsieur Bouchard connait très bien la religion des Churchill, Papineau, Clémanceau et Landry...

Certains loueraient cette religion d'avoir permis une certaine stabilité économique pendant un temps. Or, comme pour bien des croyances édifiées en système artificiellement viable, la crédulité de la population a ses limites. La fuite en avant édifiée en système économique apparaît aujourd'hui absurde. L'état de nos infrastructure le démontre assez bien. Les doctrines déployées par les hommes politiques de l'ère Landry, comme ce qu'elles ont permis de construire, ne survivront pas à l'épreuve du temps. Ainsi, en se remémorant la vie publique du plus acadien des premiers ministres Québécois, il est possible de revoir les limites de cette religion qui, par une croyance innébranlable, empêchait artificiellement la réalisation de la pensée : après-moi, le déluge... Mais, bien sûr, à trop reporter artificiellement le déluge à plus tard, on peut se dire que lorsqu'il y aura déluge, même Noé n'y survivra pas. Les animaux à bord de l'arche « libéral » sans frontière non plus.

P.S. : quand Biz chantait « libérez-nous des libéraux », il fallait comprendre « libérez-nous des libéraux c'est-à-dire, moi-même et monsieur Landry.

P.S. 2 : Le départ de Jean-Charles Lajoie de la radio sportive syntonisée au 91.9 vers TVA sport, m'apparait une mauvaise nouvelle pour quiconque aime que le sport soit commenté dans un bon français. Les quelques anglicismes empruntés à ses collaborateurs, souvent à Vince Cauchon (que j'adore malgré ses crist d'anglicismes ! ), n'enlevaient rien à sa poésie du quotidien que seul un Québécois (qui n'a pas totalement coupé ses racines) pouvait apprécier à sa juste valeur. Il serait étonnant que Lajoie arrive à reproduire cette poésie langagière devant la caméra. Ce n'est pas une question de personnalité, mais bien de média. À Québécor, il ne pourra se spécialiser à la radio comme il faisait au 91.9. La radio lui allait pourtant à ravir. Mais, sait-on jamais. Québécor m'écoutera peut-être et nous aurons un Jean-Charles en liberté à temps plein sur les ondes de leur nouvelle radio web. C'est ce que je souhaite.

 

[i] https://gateway.rncm.ca/audios/extraits/cklx/generated/jean-charles-en-liberte_2018-11-09.mp Passage à écouter 2 h 55 à 3 h 09.

[ii] https://fr.timesofisrael.com/stan-lee-le-pere-juif-de-spider-man-et-des-x-men-est-mort-a-95-ans/

[iii] Page 40 et 41, Kerouac, Jack, Vanité de Duluoz, Christian Bourgeois éditeur, 1979, traduit de «l'américain» par Brice Matthieussent et pour donner du poids à ce que dit Kerouac, regardez ce qu'en dit, encore aujourd'hui, l'institute for Israël and jewish studies : https://www.iijs.columbia.edu/jewish-life-on-campus/

[iv] https://www.journaldemontreal.com/2018/11/14/la-chanson-du-pays-de-bernard-landry

[v] https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/283503/les-sueurs-de-lucien

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