mercredi, 26 septembre 2018 11:35

La démocratie n'aime pas les minorités francophones

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Réjean DeGaule

Le résultat de l'élection néo-brunswickoise est sorti le 24 septembre au soir.

Le couperet est tombé : premier gouvernement minoritaire pour le Nouveau-Brunswick.

Avant cette élection, vous pouviez presque compter sur les doigts d'une main les députés élus en dehors des deux principaux partis : le Parti libéral ainsi que le Parti progressiste conservateur.

D'un point de vu Acadien, l'empire du Bien (parti vert) [i] a fait élire trois candidats et l'empire du mal (l'Alliance des gens du Nouveau-Brunswick), trois autres candidats.

Le Parti libéral a fait élire 21 candidats et le Parti progressiste-conservateur 22. Le jeux des alliances sera intéressant. Le chef du parti progressiste conservateur est un unilingue anglophone, idem pour le chef de l'alliance des gens du Nouveau-Brunswick. Le chef du Parti vert parle un français d'anglais. Seul le chef du Parti libéral Brian Gallant parle un français avec lequel la majorité des Acadiens peut se sentir à l'aise.

Ce gouvernement minoritaire était si peu attendu. Si on retourne dans l'histoire « nationale » de notre province voisine, on ne peut pas dire que le NPD ou même le Confederation of region party (deux tierces partis qui ont fait élire quelques candidats dans l'histoire) aient pesé lourd dans la politique du Nouveau-Brunswick, encore moins pour ce qui touche les Acadiens. En ce qui a trait aux convictions politiques purement acadiennes, la formation d'alliance avec la majorité anglophone est de mise. Même le Parti acadien, parti soit en faveur d'une province acadienne autonome, soit en faveur d'une indépendance complète de l'Acadie, n'est jamais arrivé à faire élire un député. En 1975, le Parti Acadien allait suggérer d'abandonner l'idée d'une province acadienne autonome. Le Parti Acadien a réalisé le meilleur résultat de son histoire en 1978. 1982 est la dernière année au cour de laquelle le Parti acadien prit part à l'élection qui s'y déroulait. Si ce parti n'a jamais pu faire de percée, c'est que les francophones forment seulement 33% de la population néo-brunswickoise. Les électeurs étant conscient que le Parti acadien n'allait jamais recevoir l'appui d'un seul anglais, ce parti allait forcément demeuré minoritaire. D'un parti qui n'a aucune chance de former la majorité au parlement on ne reçoit jamais rien. Donc, logiquement, le Parti acadien, bien que totalement acadien, probablement bien plus que le Parti québécois n'aura jamais été québécois, ne pouvait pas durer bien longtemps.

Portrait de l'Acadie

Parmi les provinces canadiennes, seul l'état Québécois a tendu vers l'autonomie, au point de refuser des subventions du fédéral et de percevoir un impôt provincial. Les autres provinces acceptent généralement leur sort de province bénéficiaire du fédéral assez bien. Une majorité des revenus de l'état néo-brunswickois vient des transferts en provenance du gouvernement fédéral ou de la péréquation. Le gouvernement provincial joue donc un rôle bien moins important dans les affaires publiques que celui du Québec. C'est ainsi que la soi-disant Trudeau-mania seconde mouture, très peu ressenti au Québec, particulièrement chez les francophones, se faisait sentir bien davantage chez les francophones du Nouveau-Brunswick. À Ottawa, les Acadiens sont un peu comme des juifs (fortune en moins au sein de l'élite) : il représente une population infiniment minoritaire dans le Canada, mais sont biens représentés et savent faire entendre leurs doléances, notamment le fait qu'ils aient tellement soufferts leur du grand dérangement de 1755. L'esprit individualiste n'a encore ravagé l'intégralité de leur esprit. Ne devient pas Acadien qui le veut bien. Avoir lu Cap Blomidon de Lionel Groulx ne suffit pas. Être descendant de déporté facilite la solidarité. Et j'attends toujours d'apercevoir un mur des lamentations à Grand-Pré où on forcerait les anglais à venir larmoyer en échange d'un service.

Je précise que cette blague n'a pas été approuvé par la SNA ou la SANB, deux redoutables organismes communautaires acadiens.

Dans cette seule province officiellement bilingue, les anglais, qui pennent à apprendre le français et à se créer un réseau parmi ces Acadiens tissés serrés, n'ont pas accès à certains postes biens rénumérés réservés aux bilingues qui ont généralement comme langue maternelle le français. Il est donc normal qu'il y ait quelques tensions entres anglophones et francophones. D'ailleurs, malgré que certains Acadiens soient très à l'aise en français (principalement dans le Nord ouest de la province), en quittant le Nouveau-Brunswick, ils vont très souvent étudiés soit à l'Université d'Ottawa, soit dans une université anglaise où ils se sentent plus acceptés qu'au Québec. De leur point de vu, les Québécois sont généralement arrogants. De mon point de vu, les Acadiens sont complexés et méritent qu'on les dégêne, mais ils ne voient pas les choses ainsi, et qui suis-je pour me mêler de ce qui ne me regarde pas ? Parfois gêné, l'Acadien apparaît pourtant être un infatiguable voyageur. La diaspora acadienne, un peu comme celle arménienne, est probablement plus nombreuse à vivre à l'extérieur du territoire non officiel Acadien qu'à l'intérieur. Malgré la distance qui les sépare de leur terre natale, ils sont souvent bien plus soudés que ne le sont les Québécois entres-eux.

Preuve que la politique politicienne ne fait pas foi de tout, les Acadiens, malgré leur impuissance à se faire entendre par le vote et malgré que Radio-Canada et les autres médias de la métropole francophone qu'est Montréal ne parlent presque pas d'eux (les Acadiens ne cessent de demander qu'on parle davantage d'eux), ne sont pas des laissés-pour-compte. Enfin... si... un peu, du point de vu de la démocratie. Mais si les Acadiens ont réussi à maintenir une communauté dynamique là où personne n'aurait cru qu'un francophone ne fût en mesure de survivre, ça n'a jamais été en raison de leur respect scrupuleux des principes fondamentaux de la démocratie qui voudraient que les plus nombreux gagnent.

À bon entendeur québécois pour qui l'Acadie à beaucoup à lui apprendre.

 

[i] https://www.youtube.com/watch?v=ZQlJHit60tM Extrait révélateur du livre l'empire du mal de Philippe Muray.

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