mercredi, 15 octobre 2014 20:33

Prières à l'hotel de ville : Les arguments à la Cour Suprême

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Ray Y. Adamson

Le Bonnet des Patriotes a recueilli le témoignage d'un citoyen qui s'est rendu à Ottawa

pour participer à l'audience de la Cour suprême du Canada concernant la prière à l'hôtel de ville. La juridiction d’appel de dernier ressort du pays a entendu les arguments du Mouvement laïque québécois, et al. c. Ville de Saguenay, et al.[i] mardi le 14 octobre 2014.

CONTEXTE

En 2006 Alain Simoneau, citoyen de Saguenay, participe à une séance à l'hôtel de ville. Il dépose une plainte à la Commission des droits de la personne et demande que le maire Jean Tremblay cesse de réciter la prière au début des séances publiques du conseil municipal. Le Tribunal des droits de la personne lui donne raison en 2011[ii]. Le maire conteste cette décision à la Cour d'appel du Québec et gagne sa cause en 2013[iii]. Ensuite, le Mouvement laïque québécois (MLQ) transporte le dossier en Cour suprême.

Jean Tremblay est un catholique fervent. Dans son livre Croire ça change tout: Pourquoi la foi transforme-t-elle la vie? il parle de l’importance de la foi dans sa vie personnelle et politique mais également des raisons qui le porte à croire et à mener son combat pour la justice. Il prétend que la culture québécoise est largement fondée sur la religion catholique. Pour sa part, Alain Simoneau est non-croyant et a senti un préjudice lorsqu'il a entendu la prière lors de la séance du conseil municipal. Il a fait appel au MLQ parce que cet organisme a eu du succès dans une cause similaire à Laval[iv]. Selon le Régistraire des entreprises du Québec, le MLQ est une personne morale sans but lucratif, donc financée par les contribuables par le truchement des déductions d'impôt de leurs donateurs.

 

DÉROULEMENT

La salle était pleine et la session a commencé avec vingt minutes de retard. La Cour a appelé Me Luc Alarie, qui représentait le MLQ et a parlé en français pour 45 minutes. Ensuite deux autres avocats du coté du MLQ ont parlé pour 10 minutes chacun, en anglais. Après une courte pause, la session a repris avec Me Richard Bergeron, qui a parlé aussi pour 45 minutes en français, suivi de deux avocats parlant en anglais pendant dix minutes chacun.

 

ARGUMENTS DES APPELANTS

Me Alarie a voulu disqualifier le jugement de la Cour d'appel du Québec pour son manque de compétence ainsi que pour des raisons techniques. Il prétend que certains faits considérés par la Cour étaient erronés. Le juge Gagnon aurait disqualifié un des experts de la MLQ: monsieur Baril du MLQ n'avait pas été reconnu comme anthropologue. Selon Me Alarie, tous les témoins avaient reconnu que la prière et les symboles en question avaient un caractère religieux, ce qui était la position du plaignant Monsieur Simoneau. D'après Me Alarie, des experts auraient contesté la sincérité de Monsieur Simoneau sans raison. L'avocat a exprimé que ce n'est pas correct que la décision de la Cour d'appel du Québec fasse jurisprudence. Il a aussi parlé des préjudices subis par le plaignant, car lorsqu'il a demandé pourquoi il fallait faire une prière, la séance était télévisée, et il aurait eu des ennuis en ville après la séance. Finalement Me Alarie a rappelé que la Loi sur la liberté de culte date de 1851, donc avant la Constitution. Cette loi protège le droit de prier dans des lieux de cultes, mais l'hôtel de ville n'est pas un lieu de culte.

 

ARGUMENTS DES INTIMÉS

Me Bergeron prétend qu'il n'y a pas de coercition dans la pratique de la prière. Si le maire avait tenu l'assemblée en église, là il y aurait eu indication de l'imposition de l'idéologie religieuse. La présence d'une simple croix et d'un Sacré-Cœur ne feraient pas preuve de volonté de prosélytisme non plus. L'avocat de la défense a rappelé à la Cour que dans leurs témoignages initiaux, Monsieur Simoneau et al ne s'étaient pas plaints de ces symboles mais juste de la prière. Il a noté que suite à la première plainte, la prochaine réunion de la ville s'est déroulée dans l'absence du maire Tremblay, et que la prière a été récitée par le directeur du conseil, donc la prière n'est pas une affaire personnelle au maire. Me Bergeron a parlé de la neutralité de l'état et du sens de la laïcité au Québec, au Canada, en France et aux États-Unis d'Amérique, et a proposé qu'il y aurait quatre types de laïcité: une qui est intégral, une autre qui est très accommodant, et entre ces deux une laïcité qui donne des droits individuels et une dernière forme de laïcité qui donne des droits individuels ainsi que des droits collectifs. Il constate que même en France et aux É.-U. il y a une présence du religieux. Il suggère à la Cour qu'être neutre ne veut pas dire ne pas avoir de couleur; être neutre voudrait plutôt dire de ne pas encourager la religion et à la fois ne pas encourager l'incroyance.

Sur un autre ton, Me Bergeron a demandé ce que les appelants veulent - changer tout le pays? Il précise que la Charte canadienne des droits et libertés invoque la suprématie de Dieu. Il demande si mettre le nom de Dieu dans une prière serait quelque chose de mauvais, alors qu'il est dans notre Constitution. Il aurait demandé  « Allez-vous changer God save the Queen? ». Dans une culture où les gens disent « Oh mon Dieu » à longueur de journée, l'avocat Bergeron demande jusqu'où le MLQ voudrait bien aller. Ensuite il a demandé en quoi le nom de Dieu a porté préjudice à l'appelant Simoneau. Il a demandé comment définir Dieu, notant que différentes personnes ont différentes interprétations, et que la croyance d'une même personne peut changer avec le temps, bref que c'est trop difficile de mesurer ce concept. Me Bergeron a dit que la majorité de la population du Québec est de culture chrétienne, et il a parlé un peu du contexte québécois, faisant référence à la récente Charte des valeurs et la commission Bouchard-Taylor. Finalement il a dit que si on continue comme ça avec les principes de laïcité et que tout est interdit, il ne restera plus rien. On va juste avoir le multiculturalisme.

 

QUESTIONS DES JUGES

Certains juges ont posé des questions et émis des observations. Notre témoin a senti qu'ils n'ont pas laissé transpirer leurs opinions mais voulaient plutôt aller au fond des choses. Par exemple, ils ont demandé s'il y a une prière qui n'est pas religieuse, ou s'il est possible de prier sans invoquer le nom de Dieu. Un juge a suggéré que peut-être le signe de la croix après la prière lui confère un sens moins inclusif et qu'il faut étudier le contexte et pas seulement le texte de la prière. Un autre a demandé si l'interférence avec les droits d'un non-croyant est trivial ou si une notion de vivre-et-laisser-vivre devrait prévaloir.

Le jugement est en délibéré et la décision de la Cour est prévue en 2015.

 

Faits intéressants à propos des magistrats de la Cour suprême[v]:

1. La Très honorable Beverley McLachlin préside le plus haut tribunal du pays. L'albertaine de naissance est la première femme à accéder au poste de Juge en chef du Canada.

2. L'Honorable Louis LeBel a étudié au Collège des Jésuites de Québec. Son épouse Louise Poudrier est aussi avocate et docteure en droit; elle a été professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval jusqu’en 2000.

3. L'Honorable Morris J. Fish est né à Montréal. Lorsqu'il a prêté sa plume au quotidien The Montreal Star comme journaliste et éditorialiste (1959-1970) il a travaillé comme envoyé spécial notamment en Israël et en ex-U.R.S.S. Il a servi comme président du comité québécois de sélection des boursiers de la fondation Cecil Rhodes et a reçu un doctorat honorifique de McGill en 2001 et l'Université Yeshiva en 2009.

4. L’honorable Rosalie Silberman Abella a vu le jour dans un camp de personnes déplacées, à Stuttgart en Allemagne, le 1er juillet 1946. Cette récipiendaire du Human Relations Award du Canadian Council of Christians and Jews est la première femme d’origine juive à siéger à la Cour suprême.

5. L’honorable Marshall Rothstein est né le 25 décembre 1940 à Winnipeg, Manitoba. Il a fait ses études dans des écoles de Winnipeg et à l’Université du Manitoba où il obtient un B. Com. en 1962 et un LL. B. en 1966. La même année, il épouse Sheila Dorfman, de Montréal.

6. L’honorable Thomas Albert Cromwell obtient son B.C.L. de l’Université d’Oxford en 1977 après avoir fait des études à Kingston puis à l'Université Queens. Il était juge de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse.

7. L’honorable Michael J. Moldaver a grandi à Peterborough, en Ontario. Le Torontois est marié à Rivka (« Riky ») et il a deux filles, Shannon et Jessica.

8. L’honorable Andromache Karakatsanis a travaillé pendant 15 ans à la fonction publique de l’Ontario et a consacré beaucoup de son temps au YMCA du Grand Toronto à titre bénévole.

9.     L’honorable Richard Wagner est né à Montréal le 2 avril 1957. Il a étudié au Collège Jean-de-Brébeuf à Montréal. Selon sa fiche Wikipedia il serait catholique.

Commentaires   

 
0 #1 Bernard La Rivière 16-10-2014 11:27
j'y étais et ceci est un excellent compte-rendu, sans parti-pris si je ne m'abuse. Quant à moi, je prie hi hi pour que le Québec devienne laïque.
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