15.10.2016 - Un poignard judiciaire dans la Loi 101

La Cour d'appel du Québec vient de fracturer le principe même d'un article primordial de la Loi 101 (celui du français, langue de travail) et la nouvelle - sans doute parce l'affaire ne se déroule pas à Montréal - ne semble pas intéresser grand monde… Cela devrait, ce matin, trôner en manchette de tous les médias de langue française au Québec…

La nouvelle, fort bien expliquée par Stéphanie Marin, journaliste de la Presse canadienne, a été jusqu'à maintenant diffusée sur les sites Web du quotidien Le Droit et de Radio-Canada (région Ottawa-Gatineau). Le Droit a aussi publié un résumé incomplet dans son édition papier. Était-ce un premier jet de Mme Marin ou un charcutage maison? Sais pas, mais cela s'ajoute aux erreurs de présentation du quotidien en août 2015, dans une manche précédente de la même guerre judiciaire (voir plus bas).

Alors qu'en est-il, au juste? Au départ il s'agit de savoir si la connaissance de l'anglais est requise pour un pauvre petit poste de commis aux finances à la ville de Gatineau. Le syndicat dit non. La ville dit oui. Un grief est déposé et l'arbitre est saisi de l'affaire. En cause, l'article 46 de la Charte de la langue française, qui stipule: «Il est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.»

L'arbitre René Turcotte donne raison au syndicat, et son jugement s'appuie carrément sur le sens de cette notion de nécessité ou pas de l'anglais (ou de toute autre langue que le français) au travail. «La nécessité ne doit pas être confondue avec l'utilité, l'opportunité, la qualité du service offert par un employeur», écrivait-il. La ville de Gatineau a porté le jugement arbitral en appel à la Cour supérieure, qui a maintenu la décision de première instance. Cette décision est celle qui a donné lieu (en août 2015) aux titres pour le moins fantaisistes en pages une et trois du Droit, ainsi que sur son site Web.

La ville, voulant à tout prix un candidat bilingue pour son poste de commis aux finances, a investi d'autres fonds publics pour attaquer deux décisions, arbitrale et judiciaire, en sachant fort bien qu'elle attaquait aussi la portée de la Loi 101 dans une région où le français est déjà fragilisé. Or, voilà, qu'elle vient de gagner cette troisième manche (et non la première comme l'indique le titre) et que, ce faisant, elle vient d'ébranler un pan entier de la protection judiciaire du français comme langue de travail.

Car le juge Yves-Marie Morrissette, de la Cour d'appel, vient carrément de dire, dans son jugement, que la notion de nécessité (de l'anglais ou de toute autre langue) est beaucoup plus élastique que l'on croyait… Au fond, les législateurs ont écrit le mot «nécessaire» mais ce n'est pas vraiment dans un sens restrictif… Et ce juge, se substituant à l'Assemblée nationale, vient inclure d'autres facteurs pour arriver à un niveau «souhaitable» (plutôt que nécessaire) de connaissances linguistiques, ce niveau pouvant varier de façon plus ou moins floue selon les lieux de travail ou même selon la réalité linguistiques des différentes régions du Québec…

À moins que j'aie mal compris le sens de ce jugement et le texte de Mme Marin, c'est un coup de poignard judiciaire en plein cœur d'un article clé de ce qui reste de la Loi 101… Un grand pas en avant vers le bilinguisme à volonté au travail… Allô, y a quelqu'un à l'écoute dans les médias?

 

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