15.10.2016 - « Ecologistes, tendance ultra droite » : plongée dans l’Amérique profonde qui vote Donald Trump

Pourquoi les États américains les plus pollués sont ceux qui votent pour les Républicains ? Pourquoi les citoyens directement confrontés à des désastres écologiques vont-ils voter Donald Trump, le candidat qui veut supprimer les régulations environnementales ? La sociologue Arlie Hochschild a mené l’enquête pendant cinq ans, sur les terres de Louisiane, un des États les plus pauvres et les plus conservateurs des États-Unis. Son ouvrage, Étrangers dans leur propre pays : Colère et deuil au sein de la droite américaine, est une plongée dans le monde des électeurs de Trump. Rencontre avec un « écologiste version Tea Party » : sa fierté blessée, ses contradictions, sa vision du monde et ses convictions antagonistes.

Parfois, il faut aller loin, très loin de chez soi pour découvrir des vérités qui vous touchent de très près. Ces cinq dernières années, c’est exactement ce que j’ai fait. J’ai quitté mon domicile à Berkeley, en Californie, ville symbole du libéralisme américain, pour parcourir les bayous de Louisiane acquis au Tea Party et y découvrir une autre Amérique – une Amérique qui, comme la candidature de Donald Trump le démontre amplement, ne pourrait pas être plus proche de nous tous. Voici une parabole véridique, issue de ces voyages, à propos d’un homme que j’ai fini par admirer et qui incarne à merveille les contradictions de notre monde si « trumpien ».

Accompagnez moi donc alors que je vire à droite dans Gumbo Street, puis à gauche vers Jambalaya, que je dépasse Sauce Piquant Lane et, dispersant un groupe de chats sauvages, je gare mon véhicule sur Crawfish Street, en face d’une maison en bois jaune, au bord d’un cours d’eau donnant dans Bayou Corne, en Louisiane. La rue est déserte, les pelouses n’ont pas été tondues depuis longtemps, et les branches de mandarinier et de pamplemoussier penchent sous le poids des fruits non cueillis. Mike Schaff, un homme grand et costaud, atteint d’un début de calvitie, portant un T-shirt rayé orange et rouge, des jeans et des baskets, s’approche de moi. Il porte des lunettes à monture brune et me salue chaleureusement.

« Pardon pour l’herbe, me dit-il alors que nous entrons chez lui. Je ne m’en occupe pas suffisamment. » Sur la table de la salle à manger, il a préparé du café, du lait, du sucre, et un bocal de pêches de son jardin pour que je les ramène chez moi. Le long des murs du séjour et de la salle à manger sont entassées des cartons à moitié remplis. Le tapis du séjour est roulé dans un coin, révélant une mince fissure irrégulière. Mike ouvre la porte de la cuisine donnant sur son garage. « Mon compteur de gaz est ici, explique-t-il. L’entreprise a foré un trou dans mon garage pour voir s’il y avait du gaz en dessous, et il y en a. 20% de plus que la normale. Je me réveille la nuit pour vérifier. » Alors que nous nous asseyons pour prendre le café sur la table basse du séjour, Mike ajoute « Cela va faire sept mois ce lundi, et les cinq derniers mois ont été les plus longs de ma vie. »

« Si quelqu’un frottait une allumette, la maison pourrait exploser »

Lorsque le désastre a frappé, en août 2012, le gouverneur de Louisiane, Bobby Jindal, a décrété un ordre d’évacuation d’urgence pour l’ensemble des 350 résidents de la communauté de Bayou Corne – un assemblement de maisons faisant face à un canal s’écoulant dans un bayou magnifique [Les bayous sont des étendues d’eau formées par les anciens méandres du Mississippi, typiques de la Louisiane, ndlr]. Un bayou peuplé d’aigrettes blanches, d’ibis et de spatules planant au-dessus de l’eau. Lors de ma première visite en mars 2013, Mike vivait encore dans sa maison en ruine.

« Je venais de commencer ma vie avec ma nouvelle épouse, mais avec les émissions de méthane tout autour de nous maintenant, les lieux ne sont plus sûrs. Donc ma femme a déménagé à Alexandria, à 200 kilomètres au nord, et revient tous les jours en voiture de là-bas pour travailler. Je la vois les week-ends. Les petits-enfants ne viennent pas non plus : si quelqu’un frottait une allumette, la maison pourrait exploser… Je reste ici pour garder la maison contre les cambrioleurs et pour tenir compagnie aux autres résistants », explique-t-il, ajoutant, après une longue pause : « En fait, je ne veux pas partir. »

J’étais venu rendre visite à Mike Schaff parce qu’il me semblait incarner à la perfection le paradoxe de plus en plus éclatant qui m’avait conduit dans ce bastion de la droite américaine. Que se passerait-il, me demandais-je, si un homme qui voyait l’interventionnisme gouvernemental comme le principal ennemi de sa communauté, viscéralement opposé aux régulations publiques et partisan fervent du marché libre, était soudain confronté à la perspective de la ruine de sa communauté à cause d’une entreprise privée ? Et si, sans l’ombre d’un doute, cette destruction aurait pu être empêchée par des régulations gouvernementales plus rigoureuses ?

Or, en août 2012, c’est exactement ce qui est arrivé à Mike et à ses voisins.

L’archétype de l’État républicain

Comme la plupart des habitants du coin, des Cajuns conservateurs, blancs et catholiques, Mike était un Républicain convaincu et un partisan enthousiaste du Tea Party. Il voulait réduire le gouvernement fédéral au strict minimum. Dans le monde dont il rêve, les Départements de l’Intérieur, de l’Éducation, de la Santé et des Services humains, la Sécurité sociale, et la plus grande partie de l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA) n’existeraient plus ; de même que la plupart des subventions fédérales aux États. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral fournit 44% du budget de l’État de la Louisiane – 2 400 dollars par personne et par an – en partie pour le soutien face aux ouragans, que Mike approuve, mais aussi en partie pour Medicaid, dont, selon lui, « la plupart des bénéficiaires pourraient travailler s’ils le voulaient et, honnêtement, ils s’en tireraient mieux. »

 

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