19.09.2016 - La terrible vérité derrière les taux d’intérêt négatifs

La crise financière que nous subissons depuis près d’une décennie est née d’un excès de dettes. Ceux qui ont trop prêté doivent accepter de prendre leurs pertes. Ou d’être prélevés sur leur épargne, ce qui revient au même.

Mais pourquoi donc cette étrange folie ? Après les banques centrales et les États, les entreprises se mettent aux taux d'intérêt négatifs. La française Saint-Gobain et l'allemande Henkel ont levé des centaines de millions en faisant miroiter un taux négatif de 0,05% par an. Un peu comme si elles attrapaient des mouches avec du vinaigre. Ce n'est pas fini car la Banque centrale européenne (BCE) achète des obligations à tour de bras, à tel point que cette matière première de la finance se raréfie. Les prix vont donc encore monter, et les taux d'intérêt encore baisser. La Banque du Japon est sur la même tendance. Et même si la Réserve fédérale des États-Unis semble pour l'instant regarder plutôt vers la hausse des taux, les Américains s'inquiètent de ce qui se passera lors de la prochaine récession. En décortiquant les propos tenus par Janet Yellen, la présidente de la Fed, lors de l'université d'été des banquiers centraux à Jackson Hole, certains experts ont trouvé dans une note de bas de page l'indice que la Fed pourrait alors baisser son taux directeur jusqu'à... -9%.

Les banquiers centraux ont d'excellentes raisons de pratiquer l'inondation. Il faut relancer l'investissement trop faible, pénaliser l'épargne trop forte, redonner le goût du risque aux investisseurs. Tant pis si les banquiers souffrent, peinant à prendre une marge sur un produit de base au prix négatif ! Mais les grands argentiers visent en réalité une autre cible : les épargnants. Même s'ils ne l'avoueront jamais.

Pour comprendre pourquoi les épargnants sont visés, il faut remonter le fil d'une décennie de crise. Comme toutes les grandes tempêtes financières, celle de 2007-2008 est venue d'un excès de crédit. Trois économistes qui scrutent cet excès depuis des années, Oscar Jorda, Moritz Schularick et Alan Taylor, décrivent dans leur dernier article académique un mouvement en forme de « crosse de hockey ». Dans les dix-sept pays étudiés, le crédit bancaire au secteur privé a par exemple bondi de 80% du PIB en 2000 à 120% en 2009. « Jamais dans l'histoire du monde industriel le levier n'avait été plus grand ». Les emprunteurs ont trop emprunté. Le pendant de l'histoire est souvent oublié : si des emprunteurs ont trop emprunté, cela signifie fatalement... que des prêteurs ont trop prêté.

Le problème, c'est que les prêteurs sont des épargnants. Ils ont le défaut d'être beaucoup plus nombreux que lors de la dernière dépression, celle des années 1930. Ils sont aussi souvent âgés, ce qui veut dire qu'ils votent beaucoup. Pas question de les froisser et encore moins de les effaroucher, ce qui pourrait les amener à vider leur compte en banque. « Je n'accepterai pas qu'un seul déposant perde un seul euro parce qu'un établissement financier se révélerait dans l'incapacité de faire face à ses engagements », avait ainsi déclaré à Toulon Nicolas Sarkozy quand il était président de la République, dix jours après la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008.

Mais si les prêteurs ne perdent rien, cela implique que les emprunteurs ont trop à rembourser. On a perdu le mode d'emploi des deux seuls leviers qui permettent d'échapper à cette loi d'airain : la croissance (qui accroît l'argent disponible pour rembourser) et l'inflation (qui diminue le montant réellement remboursé). C'est tout le drame de la Grèce. Sauf que le même Nicolas Sarkozy, encore président de la République, avait fait une déclaration très différente le 19 octobre 2010 à Deauville, avec son amie Angela Merkel. Les deux dirigeants avaient estimé que les futurs sauvetages d’États via le nouveau Mécanisme européen de stabilité devraient forcément se traduire par des pertes pour les créanciers privés. Autrement dit, les épargnants devront perdre. Et pas seulement un euro.

Le Sarkozy de Toulon avait été loué pour sa vision, celui de Deauville vilipendé pour son inconscience. Pour nombre d'observateurs, la petite phrase de Deauville est le déclencheur de la crise européenne, qui a culminé en 2011-2012 avec les attaques spéculatives contre l'Espagne et l'Italie, seulement enrayées par la promesse de Mario Draghi, président de la BCE, de faire « ce qu'il faudra » pour sauver la monnaie unique. Mais c'est le Sarkozy de Deauville qui avait raison.

Pour sortir de la crise, ceux qui ont trop prêté devront prendre leurs pertes. C'est ce qui s'est passé lors de la crise de la dette latino-américaine des années 1980, même s'il a fallu perdre une décennie pour en arriver là. C'est ce qui s'est passé aux États-Unis à partir de 2009. En cinq ans, 465 banques ont fermé leurs portes. Les autres ont essuyé des centaines de milliards de dollars de pertes sur leurs prêts immobiliers. Les futurs retraités vont découvrir peu à peu que leurs fonds de pension rapporteront beaucoup moins que ce qu'ils espéraient (le célèbre fonds Calpers annonce encore un rendement de 6,5% alors que ses placements lui ont rapporté dix fois moins l'an dernier). C'est ce qui ne s'est pas encore passé en Europe et au Japon, ou trop peu. Les actionnaires français ont certes l'impression d'avoir été tondus (-25 % pour l'indice CAC40 depuis le pic de 2008) , mais ce n'est pas le cas des Britanniques (le FT100 est étal) ou des Allemands (+30 % pour le Dax30). L'idée avancée par le FMI en 2013 d'une taxe de 10% sur les patrimoines pour solder la crise avait amusé la galerie. La taxation des dépôts au-delà de 100.000 euros dans les banques chypriotes la même année avait été regardée avec commisération. Mais quand une banque bavaroise applique depuis le 1er septembre 2016 un taux négatif de 0,5% sur les dépôts des particuliers au-delà de 100.000 euros, elle prend exactement la même mesure, en l'étalant dans le temps. Voilà pourquoi les taux d'intérêt négatifs sont là pour longtemps : c'est le moyen rampant de faire payer la facture de la crise à ceux qui l'ont jusqu'à présent évitée.

 

Source : Les Échos

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