12.09.2016 - Plus importante que les élections américaines : la mort d’Islam Karimov

On ne parle guère de l’Ouzbékistan dans les grands médias, bien que ce pays occupe une position-clé en Asie centrale, de par sa démographie et sa géographie. Mais les observateurs sérieux des événements en Asie centrale gardent constamment les yeux fixés sur l’Ouzbékistan. Cela, à cause de la récente «résurgence» de l’Islam radical dans la région. Les nouvelles sur les activités terroristes en Asie centrale deviennent plus fréquentes. Si la situation en Ouzbékistan devait se détériorer, le pays pourrait devenir un détonateur pour toute la région et État islamique pourrait contaminer les pays voisins, y compris la Russie et la Chine.

Jusqu’à présent, c’était le Président du pays, Islam Karimov, qui était le garant de la stabilité de l’Ouzbékistan. C’est lui le fondateur de l’État ouzbek. Le 26 août 2016, la fille cadette d’Islam Karimov, ambassadrice à l’UNESCO, Lola Karimova-Tilyaeva, confirmait que son père avait subi un accident vasculaire cérébral. Cinq jours plus tard, on annonçait que le Président de l’Ouzbékistan était décédé. Islam Abdouganiévitch Karimov a été enterré le 3 septembre 2016 au cimetière historique de Shahi-Zinda, à Samarcande, la ville où il était né. Tout le monde s’est rendu à ses funérailles, sauf sa fille aînée, Gulnara, qui est en résidence surveillée. Personne n’avait été enterré à Shahi-Zinda ces vingt dernières années. Islam Karimov a été l’exception. Shahi-Zinda signifie «un tsar vivant».

D’un point de vue géopolitique, l’Ouzbékistan est unique. Pour gagner les rives de l’océan mondial depuis le territoire ouzbek, on doit traverser, au minimum, les deux frontières d’État de deux pays. Au milieu des années 1970, la Bulgarie et l’Ouzbékistan avaient le même nombre de citoyens. Mais aujourd’hui, l’Ouzbékistan possède l’armée la plus puissante et les services de sécurité les plus solides de toute la région, et a une population de 30 millions d’habitants. Sur le plan historique, les cités de Samarcande, de Boukhaa et de Tachkent ont été les foyers historiques de la culture et de la science en Asie centrale. Presque toutes les familles nobles de la région ont des racines ouzbèkes. C’est pourquoi les Ouzbeks regardent les Kazakhs, les Tadjiks et les Kirghizes avec condescendance. Ceux-ci étaient habituellement les serviteurs des nobles familles ouzbèkes.

Il y a une diaspora ouzbèke considérable dans tous les pays entourant l’Ouzbékistan. En Afghanistan, un citoyen sur dix est Ouzbek. Aujourd’hui comme autrefois, l’ethnie ouzbèke est à l’avant-garde de l’Asie centrale. Samarcande résume à elle seule toute l’histoire prestigieuse de la région. En 1369, cette cité devint la capitale de l’Empire central asiatique d’alors, dirigé par Tamerlan. La cité connut un siècle fastueux et devint la perle architecturale de l’Asie centrale, avec ses palais, ses observatoires astronomiques et ses universités islamiques, construits par Tamerlan et ses successeurs. Aujourd’hui, un habitant de Samarcande sur cinq est étudiant. De même que les meilleures écoles littéraires et culturelles de Samarcande, les universités techniques bénéficient d’un prestige immense dans toute l’Asie.

Du temps de Staline, les scientifiques et les ingénieurs dissidents de l’URSS furent exilés pour la plupart en Ouzbékistan. D’où, entre autres raisons, la relocalisation des industries aéronautiques soviétiques à Tachkent durant la Seconde Guerre mondiale. L’Ouzbékistan dispose d’un personnel technique local hautement qualifié. Le pays a ses propres écoles d’ingénieurs. Il a une industrie automobile bien développée, qui exporte des véhicules dans les pays voisins. Islam Karimov a essayé de conserver une industrie aéronautique nationale, sans y parvenir. Mais l’Ouzbékistan garde un grand nombre d’industries high-tech. Il a son propre complexe militaro-industriel. Cela peut paraître surprenant, mais l’Ouzbékistan est loin d’être «un despotisme agraire avec une population pauvre». Dans les années 1990, les Ouzbeks ont réussi à éviter le vandalisme de masse, la famine et la pauvreté, si répandus dans la majeure partie de l’espace post-soviétique. Du temps d’Islam Karimov, la population ouzbèke a toujours eu du pain et du pilaf à table.

Du temps de l’URSS, le russe était la principale langue de communication en Ouzbékistan. Islam Karimov n’a appris à parler couramment l’ouzbek qu’à l’âge adulte. Comme pour tous les autres dirigeants importants de l’URSS, le début de sa biographie n’est pas clair. On ne sait rien de précis sur la nationalité d’Islam Karimov : était-il ouzbek, tadjik, persan ou juif ? Dans sa biographie officielle, on le décrit comme un étudiant actif et brillant. La rumeur locale le dépeint plutôt comme un voyou incontrôlable et un médiocre étudiant. Enfant, il a vécu dans un orphelinat. L’expérience professionnelle d’Islam Abdouganiévitch, elle, est bien connue. Avant 30 ans, il était ingénieur en mécanique, avant de se spécialiser en économie. Il a défendu sa thèse de doctorat et a commencé à diriger le ministère des Finances de la RSS d’Ouzbékistan, avant de superviser le Gosplan (Département d’État à la Planification). En 1989, Islam Karimov devint le Premier Secrétaire du Comité central de l’Ouzbékistan.

A partir de ce moment, sa personnalité double monte en scène. Parler de «dualisme» est trop théorique et philosophique. Dire «hypocrisie» est trop vulgaire et incorrect. Dans les années de turbulences qui ont suivi la chute de l’URSS, Islam Karimov a gardé solidement le pouvoir en Ouzbékistan et a réussi à diriger le pays en lui évitant au maximum d’être touché par les événements tumultueux de la région. C’est le dirigeant le plus complexe de l’espace post-soviétique. Il n’y en a pas d’autre comme lui. Islam Abdouganiévitch est un dictateur démocrate, un sauveur brutal, un moderniste conservateur, un islamiste laïc.


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