11.10.2014 - L’OMC en crise. Les BRICS maîtres du jeu ?

Le fait que les tractations relatives au TiSA (Trade in Services Agreement) ou au traité transatlantique (TTIP) sont, aujourd’hui, organisées en dehors de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) est révélateur de l’ornière dans laquelle cette dernière est embourbée. Dans un premier temps, cette analyse fera le point sur l’histoire de l’OMC afin de statuer sur la situation de crise que traverse, aujourd’hui, cette organisation internationale.

Plus précisément, ce texte reviendra sur les enjeux que pose cette crise en ce qui concerne la montée en puissance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). A cet égard, la thèse manichéenne présentant un front unitaire des BRICS face à l’Occident nous semble devoir être nuancée. Nous développerons nos arguments à ce sujet dans la dernière partie de ce texte.

De round en round…

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le commerce mondial a fait l’objet de mesures progressives de libéralisation. En 1947, vingt-trois pays1 réunis à Genève concluent le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade)2. Objectif : relancer le commerce international par le biais d’un allègement des barrières tarifaires. Sous l’ombrelle du Gatt, l’agriculture n’a pas été placée en dehors du champ des négociations mais a fait l’objet de dérogations aux règles du droit commercial multilatéral3. En y regardant, d’ailleurs, d’un peu plus près, il serait, cependant, parfaitement erroné de ne pas mentionner l’agriculture4 comme faisant partie intégrante des pourparlers dans le cadre du Gatt. C’est ainsi que lors du Kennedy Round de 1963, le secteur des céréales est inclus dans les négociations. « Face à la menace de fermeture du Marché commun consécutive à l’adoption des principes et des premiers règlements de la politique agricole commune (PAC), les États-Unis voulaient obtenir soit un maintien des échanges existants, soit une garantie d’accès à un niveau négocié »5. Un compromis a minima voit le jour. Il « concerne l’aide alimentaire, prévue sur trois ans et financée par les grands pays industrialisés (en dépit des réticences japonaises) et dont le bénéfice va aux farmers américains, mais aussi aux céréaliers de la Communauté, au premier rang desquels les Français  »6.

Cinq rounds de négociation sont organisés de1947 à 1973 et portent exclusivement sur les droits de douane. La question du dumping sera intégrée lors du Kennedy Round qui a duré de 1964 à 1967. Pour mémoire, le dumping consiste en l’exportation d’un produit à un prix inférieur à celui pratiqué sur le marché intérieur d’origine7. En 1973, lors du Tokyo Round8, les barrières non-tarifaires sont intégrées dans les pourparlers. A l’occasion du Tokyo Round (1973-1979), les discussions changent de nature. En effet, c’est à cette occasion que la pratique des accords-cadres voit le jour. Alors que jusque-là, les discussions s’étaient limitées à des questions techniques, elles comportent, à partir de cette époque, de véritables points politiques puisqu’elles ont pour fonction d’énoncer des principes (soit le contenu d’une ligne politique). Et bien que le Gatt ne jouisse pas du statut d’organisation internationale, on pointera, au passage, une autonomisation certaine par rapport aux gouvernements. « Les Accords du Tokyo Round de 1979 vont progressivement mettre en place un « nouveau GATT ». Il ne s’agit pas seulement d’une réforme des principes et des règles du GATT, mais d’une véritable refonte du système commercial multilatéral (…). Cette refonte sans précédent du système commercial multilatéral s’est opérée sans que soient utilisées les procédures normales de révision de l’Accord général  »9.

Concomitamment, on note une mise sur le banc de touche du politique pour le plus grand bénéfice des experts. C’est ainsi que dans la foulée du Tokyo Round, le Trade Act de 1975 donne au président des États-Unis un pouvoir de négociation des accords commerciaux sans véritable contrôle et sans droit d’amendement par le Congrès. Et au passage, ce même Trade Act a rendu possible la création d’un comité de supervision comprenant des représentants de l’industrie.

On observe une évolution similaire du côté européen. A cette époque, sur le Vieux Continent, c’est la Commission européenne qui se profile comme institution faisant office de pied-de-biche en faveur du libre-échangisme. Jusque dans les années septante, les États membres étaient souverains pour ce qui est de la coordination de leurs relations commerciales avec l’extérieur. Ce principe général va évoluer à l’époque du Tokyo Round dont la Commission européenne initiera le processus de négociation10. Cette initiative n’aurait peut-être pas vu le jour sans la création, à la même époque, de la Commission trilatérale. La Commission trilatérale fut fondée en juillet 1973 à l’initiative David Rockefeller. « La Commission entend alors devenir un organe privé de concertation et d’orientation de la politique internationale des pays de la triade (États-Unis, Europe, Japon) »11. Un des partisans de la Commission trilatérale, le sénateur US Barry Goldwater12y voyait « un effort habile et coordonné pour prendre le contrôle et consolider les 4 centres de pouvoir : politique, économique, intellectuel et ecclésiastique [à travers] la création d’un pouvoir économique mondial supérieur aux gouvernements nationaux impliqués  »13. On notera la participation d’Edmund Peter Wellenstein, Directeur Général, à l’époque du Tokyo Round, des relations extérieures à la Commission européenne (1973-1976), à la conférence plénière de la Commission trilatérale de Tokyo en 1985. Il laissa, pour la postérité, une contribution aux actes de cette conférence dans laquelle il déclarait que « les pays de la trilatérale constituent les piliers de l’ordre économique mondial (…). Cet ordre peut sembler bancal ou incomplet mais il n’y en a pas d’autre (…) »14. La globalisation néolibérale était en marche dès le milieu des années soixante-dix.

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Commentaires   

 
0 #1 Sénéchal 13-10-2014 05:58
Très bel article. Et cette citation d'Orwell, quelle preuve de bon goût!!!
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