08.09.2016 - Le nouveau rôle de la Turquie: de chien servile de l’OTAN à Empire en émergence

La récente tentative de coup d’état en Turquie marque un tournant dans la guerre de l’OTAN contre la Syrie. Un empire émergent et un portail vers l’Orient, la Turquie a toujours joué un rôle crucial dans le « Drang Nach Östen » de l’OTAN – la volonté d’encercler la Russie, de détruire ses états-clients que sont la Syrie et l’Ukraine, et pour servir de rempart contre d’autres puissance émergentes telles que l’Iran. Mais il semble désormais que la Turquie ne puisse plus être à même de remplir le rôle qui lui avait été désigné.

Que les États-Unis soient derrière le putsch ne fait guère de doute, bien que certains analystes de premier plan comme Thierry Meyssan divergent sur la responsabilité des adeptes de Fethullah Gülen dans son orchestration. Il est connu que Gülen est proche de la CIA, et le mutisme US au cours du putsch était typique des procédures habituelles US pendant des opérations secrètes de changement de régime. Alors que Erdogan est indubitablement un criminel de guerre, responsable de la mort de centaines de milliers de personnes innocentes en Syrie et en Libye ainsi que d’une répression domestique sévère, néanmoins, comme dans le cas de l’ancien président irakien Saddam Hussein, le dirigeant turc semble être quelque peu tombé en disgrâce en Occident. Les médias ont déjà entamé le processus prévisible et stéréotypé de diabolisation, publiant des photos des palais opulents du dignitaire turc, etc. La Turquie a désespérément besoin d’un nouveau régime progressif, qui contribuerait à la paix au Moyen-Orient. Mais si les options se réduisent à choisir entre un monstre que la CIA veut voir partir et un autre qu’elle veut voir arriver, la première reste la meilleure car elle affaiblit l’impérialisme étasunien.

Les impératifs stratégiques de la Turquie

Le directeur de Stratfor George Friedman affirme que la Turquie est dorénavant une puissance mondiale dont les forces militaires sont supérieures à celles des Français ou des Britanniques. La stratégie US pour l’Europe était de forcer l’intégration de la Turquie dans l’Union Européenne – le plus récemment par le biais d’armes de migration massives. Cette politique était à l’avantage de la Turquie. Mais la décision britannique de quitter l’Union Européenne a modifié l’équilibre des puissances. Moscou a saisi l’opportunité pour étendre à nouveau la main de l’amitié dans la direction d’Ankara. Juste avant la tentative de coup d’état du 19 juillet, il y avait la rumeur d’une possible détente des relations entre la Turquie et la Syrie.

Bien qu’il ait à l’origine été proche du Parti pour le Développement et la Justice de Erdogan (AKP), le mouvement Hizmat (service) de Gülen est moins nationaliste que lui, et donc mieux disposé envers les intérêts US/Sionistes. Le réseau güléniste opère à l’intérieur de la Turquie comme une cinquième colonne, un état parallèle agissant dans plus hauts rangs des infrastructures militaires, des services de renseignements et judiciaires. Le média public russe RT m’avait demandé de commenter la destruction en vol d’un avion de ligne russe par les Turcs, en novembre 2015. Je leur avais alors dit que le gouvernement turc agissait contre son propre intérêt national. Depuis, il a transpiré que l’attentat avait été perpétré par du personnel militaire güléniste, et ils ont depuis été poursuivis en justice pour leurs crimes. Le Président Erdogan a récemment présenté ses excuses pour cet attentat au Président russe Vladimir Poutine. En fait, la Turquie avait indiqué le 13 juillet qu’elle avait l’intention de normaliser ses relations avec la Syrie, mettant ainsi fin à la guerre contre Bachar al-Assad. Les contacts entre Ankara et Damas sont allés croissant ces derniers mois et il semble désormais que la Russie et la Turquie ont peut-être commencé à réparer leurs relations. Southstream, le projet russe pour pomper du pétrole vers l’Europe à travers la Turquie, avait dû être abandonné l’année dernière du fait des pressions US à l’encontre d’Ankara. Il y a désormais la possibilité d’une renégociation se renouant entre Moscou et Ankara. De récents contacts turco-iraniens indiquent également que la question kurde est en train de contraindre Ankara à recalibrer sa politique étrangère.

Bien qu’il y ait eu des rapports de pourparlers secrets tenus entre Ankara et Damas, les deux pays demeurent en guerre en Syrie et il n’y a encore aucun changement dans la position officielle de l’un ou l’autre de ces états.

Les théories géopolitiques du turcologue grec Dmitiry Kitsikis ont eu une influence majeure sur la politique étrangère turque. Kitsikis est célèbre pour avoir promu la notion de la Turquie comme « état-civilisation » qui embrasse naturellement une région s’étendant depuis l’Afrique du Nord, passe à travers les Balkans et l’Europe de l’Est; Kitsikis y réfère comme à la « Région Intermédiaire ». La précédente politique de « bon voisin » de la Turquie semblait s’accorder avec la géopolitique selon Kitsikis, mais celle-ci a été sabotée par la collaboration traîtresse d’Ankara à la stratégie US de chaos au Moyen-Orient, depuis le « Printemps Arabe » fomenté par les USA en 2011.

La politique US vis-à-vis de la Turquie a toujours été de soutenir le régime en tant que puissance régionale forte pouvant servir contre la Russie, tout en soutenant dans le même temps les YPG kurdes (unités de défense du peuple) en Syrie. Le soutien US en faveur des Kurdes fait partie du remodelage géopolitique à long terme de la région – la création de ce que l’ancienne Secrétaire d’État US Condoleeza Rice décrivait, au début du « Printemps Arabe » en 2011, comme le « Nouveau Moyen-Orient ». Les USA et Israël veulent découper un Kurdistan dans la région, qui pourrait devenir un état-client d’Israël; fournissant ainsi au régime sioniste une réelle armée par procuration contre ses ennemis arabes – une fois que le génocide perpétré par Da’esh aurait créé suffisamment de Lebensraüm.

Les ambitions de Erdogan de renouveau de l’Empire Ottoman au Moyen-Orient menacent l’hégémonie US, en définitive. La United States Navy règne sur les océans. Les USA ne permettront pas à une autre puissance maritime majeure de menacer leur contrôle global. Une croissance économique rapide et le remboursement en 2013 de sa dette au FMI ont vu la Turquie émerger de plus en plus en tant que puissance régionale stratégique, dotée d’une indépendance et d’une assurance politique croissantes. Les investissements turcs en Afrique ont plus que décuplé depuis l’an 2000. Les Turcs ont ouvert des Ambassades à travers toute l’Afrique. Ankara vend en Afrique la notion de « pouvoir vertueux » avec des projets de développements d’infrastructures et des investissements conçus pour rivaliser avec la Chine et les États-Unis. L’implication turque en Somalie a fait de la nation est-africaine un véritable état-client de l’empire turc émergeant. En 2015 la Turquie a ouvert une base militaire en Somalie. La Turquie aura dorénavant une portée stratégique jusque dans le Golfe d’Aden, l’un des goulots du trafic maritime pétrolier les plus importants au monde. Ankara nourrit également des projets d’établissement de bases militaires en Azerbaïdjan, au Qatar et en Géorgie.

Le régime turc a tenté de bouter la présence du mouvement güléniste hors de nombreux pays africains, en proposant d’alimenter les caisses des états pour financer des programmes d’éducation. Une récente déclaration faite par un porte-parole du gouvernement turc faisait allusion au désir d’Ankara de contrer les intérêts « néo-coloniaux » occidentaux en Afrique. La déclaration indique clairement que la Turquie entend se joindre à la nouvelle « ruée vers l’Afrique » dans le cadre d’un impérialisme néo-ottoman.

 

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