27.08.2016 - Les petits scandales libéraux, en attendant les gros

Jus d’orange à 16 $, balade en limousine à 1700 $, photographe à 6600 $: le Canadien a l’indignation facile!

Cette semaine, pendant que le Québec travaillait fort à résister aux hordes de burkinis venues islamiser la province à grand coup de wet suits ostentatoires, Ottawa s’enflammait pour les dépenses de deux ministres libérales.

Vous n’en avez peut-être pas entendu parler, les protestations des partis d’opposition étant couverts par les cris de frayeurs des Québécois confrontés à des femmes trop habillées pour se baigner. Laissez-moi vous résumer.

Tout d’abord, il y a la ministre de la Santé Jane Philpott, qui aurait payé trop cher des services de limousine à plusieurs reprises. Et parce que dépenser 1700 dollars pour une seule journée de déplacement, ça ne paraît pas assez mal, l’entreprise de limousine appartient à un militant libéral. Beau doublé.

Pour 1200 dollars, on peut faire un aller-retour Montréal-Kuala Lumpur. Pour 1700 dollars, Jane Philpott s’est contentée de se promener dans la région de Toronto. Je suis presque plus fâché par le manque d’envergure et d’ambition que par la facture.

Finalement, la ministre a promis de rembourser 3700 dollars des dépenses de limousine (car il y en a eu d’autres), ainsi que les 520 dollars d’un abonnement annuel aux salles d’attente privées d’Air Canada. Parce que le Canadien tient à ce que ses ministres voyagent dans les conditions les plus misérables possible. Comment peuvent-ils représenter le peuple s’ils n’ont pas eux aussi envie de mourir en attendant leur avion, je vous le demande.

Puis, on a appris qu’une autre ministre, Catherine McKenna, à l’Environnement, a payé un photographe 6632 dollars pour qu’il immortalise son passage à la COP 21, à Paris, l’automne dernier. Ces photos ont ensuite été déposées sur le compte Flickr de la ministre, où elles ont cumulé à peu près autant de visionnements qu’il y a de femmes en burkini sur les plages de la Montérégie.

En réaction à la nouvelle, le premier ministre s’est inscrit au concours de l’euphémisme de la semaine en déclarant que ce n’était « peut-être pas la meilleure utilisation de fonds publics ». Peut-être pas, non. Peut-être pas.

Mais, en même temps… ce n’est pas grand-chose. 6600 dollars et 3700 dollars, c’est une demie de la moitié d’un pour cent d’une fraction d’une miette du budget annuel fédéral où l’on dépense 289 milliards. Si une dizaine de hauts fonctionnaires prenaient le temps de lire ce billet de blogue sur leurs heures de travail, on perdrait probablement autant en salaire versé dans le vide.

Et pourtant, ces broutilles génèrent bien plus de colère populaire que, par exemple, une histoire de dépassement de coûts de quelques millions sur un chantier naval.

Qu’est-ce que c’est, un million et demi de dollars ?

On sait que le chiffre existe. On sait qu’on aimerait posséder un million et demi de dollars. On a vu dans Breaking Bad qu’il est possible d’empiler ce genre de somme dans une petite remise. Mais… à quel point est-ce révoltant quand on parle d’un gros projet hors de notre expertise ? Tout ça devient rapidement très abstrait. Difficile de rester fâché contre une abstraction.

Mais si on parle d’une ministre qui paye 16 dollars pour un verre de jus d’orange  ? Oh, ÇA, je sais à quoi ça ressemble. J’en achète toutes les semaines à l’épicerie et je sais qu’à 16 dollars le verre, t’es mieux de pouvoir garder le verre après.

Ce genre de petit scandale revient à intervalle régulier en politique, comme si personne n’apprenait jamais. Il se trouve toujours un député ou un sénateur pour croire que le citoyen moyen va applaudir le 4500 dollars qu’il vient de dépenser pour un ananas dans lequel on a sculpté le visage du premier ministre.

Est-ce l’air d’Ottawa ? Est-ce un effet secondaire de l’important salaire, un étourdissement constamment renouvelé chaque fois qu’on regarde le solde de son compte ? Mystère.

C’est fâchant, et on ne s’en prive pas : on se fâche… pour des broutilles. Ça ne veut pas dire que l’on ne devrait pas se fâcher, par contre. Au contraire.

Mais il faut que ces colères soient un tapis roulant du pas content, sur lequel on s’entraîne pour un marathon de l’indignation. Il faut voir ces petits scandales comme des tricycles de la colère, qui nous préparent au vélo sur lequel on fera le tour de France d’un vrai scandale.

 

Source : L'actualité

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