21.08.2016 - Vingt millions d’Américains au ban de la ville : le petit peuple des mobile homes

Aux États-Unis, même les pauvres peuvent devenir propriétaires : il leur suffit d’acheter un mobile home, pour un prix qui dépasse à peine celui d’une voiture, puis de lui trouver un terrain. C’est alors que les difficultés commencent…

Dans le minuscule jardin qui entoure sa maison, M. Francisco Guzman n’a pas le droit de laisser traîner des objets. Il ne peut pas non plus sortir la poubelle avant le jour du ramassage des ordures ni écouter de la musique. « Je peux avoir un animal de compagnie, mais il ne doit pas dépasser 40 centimètres de hauteur. Et si je veux héberger quelqu’un, même mon frère ou ma mère, je dois demander l’autorisation au gérant. C’est incroyable ; je suis quand même chez moi ! » Si M. Guzman et sa compagne possèdent bien leur logement, une maison de deux chambres fabriquée en usine, ils louent leur terrain dans un parc à mobile homes d’Aurora (Colorado).

Pour en occuper l’un des 440 emplacements, le jeune couple verse 500 dollars (460 euros) par mois. Il doit y ajouter 250 dollars pour rembourser l’emprunt sur huit ans contracté pour acheter son trois-pièces de 75 mètres carrés, à l’architecture typique des mobile homes des années 1970 : un toit plat, des parois extérieures en aluminium et une façade blanche jaunie par les années. « Le loyer comprend l’eau courante, le système d’égouts et le ramassage des ordures ; il y a même une petite piscine collective, précise le jeune homme. Je préférerais bien sûr avoir une vraie maison, avec un vrai jardin, ne pas avoir de voisin à cinq mètres de chez moi. Mais pour ce prix, à Aurora, c’est impossible. » Les Guzman disposent de revenus limités : entre un emploi dans une station-service pour lui et quelques remplacements dans une société de ménage pour elle, ils gagnent 2 000 dollars par mois.

C’est très peu pour vivre dans cette banlieue résidentielle sans charme ni intérêt, mais qui jouxte la dynamique capitale de l’État, Denver, où les prix de l’immobilier ont augmenté de 50 % depuis 2012. En octobre 2015, à Aurora, aucun logement n’était disponible à la location pour moins de 1 000 dollars, et la maison la moins chère, à retaper entièrement, coûtait 130 000 dollars. A la même date, un mobile home d’une surface équivalente construit en 1973 était mis en vente à 14 500 dollars, et les loyers dans les parcs oscillaient entre 400 et 600 dollars par mois. « Pour l’instant, tous les emplacements sont pris. Il faut s’inscrire sur liste d’attente. Mais il y a beaucoup de rotation, cela peut aller vite », nous indique le gérant de Friendly Village.

Aurora compte plus de 2 500 emplacements pour mobile homes regroupés dans neuf grands parcs, presque tous situés autour du boulevard Colfax, dans un quartier périphérique et peu engageant de la ville : Hillcrest Village, propriété d’Equity Lifestyle Properties, leader du secteur avec 140 000 parcelles dans le pays ; Green Acres, qui n’abrite que des personnes âgées ; Foxridge Farm, Cedar Village, Meadows, etc. Ni ces noms évocateurs d’un cadre champêtre (1) ni les efforts des habitants pour décorer leurs façades avec des drapeaux américains, des statues de la Vierge Marie ou des fleurs ne parviennent à masquer la monotonie de l’urbanisme.

Comme les quartiers de logements sociaux construits durant les « trente glorieuses », les parcs à mobile homes d’Aurora sont conçus en rupture avec la trame urbaine classique, séparés du reste de la ville, avec une voirie, une signalisation et un aménagement propres. De petites rues plus ou moins bien goudronnées desservent des parcelles rectangulaires disposées perpendiculairement à la route et séparées les unes des autres par une petite haie, une chaîne ou un simple trait sur le sol. Chaque habitation est identifiée par un numéro qui figure sur l’adresse des résidents, à côté du nom de leur parc. « Parfois, on aimerait bien ne pas dire qu’on vit dans un parc, mais dès que les gens voient notre adresse, ils savent, déplore M. Guzman. Et cela peut poser des problèmes. Certains peuvent se dire : “Lui, il vient d’un parc à caravanes [trailer park], je ne vais pas l’embaucher parce qu’il va me faire des histoires.” »


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