31.07.2016 - Le Monde : journal en guerre

Le journal Le Monde a énoncé une contre-vérité ce matin dans son éditorial: l’idée selon laquelle Daech aurait, le premier, attaqué la France. S’agit il d’une erreur ou d’un mensonge? Le propos est, en tout cas, politiquement irresponsable.

J’ai été pris par un sentiment de stupeur à la lecture de l’éditorial du Monde de ce mercredi 27 juillet. Jérôme Fénoglio, le directeur du journal, a écrit : « Nous ne sommes pas frappés pour notre appartenance à la coalition qui combat l’EI en Irak et en Syrie : la France ne l’a rejointe qu’après avoir été attaquée ». Sommes-nous revenus aux pires heures du journalisme de guerre, à cette époque où les grands médias français appelaient « pacification » la guerre que la France menait en Algérie? On se situe en réalité au-delà de ce langage orwellien. Cette phrase – « La France n’a rejoint la coalition internationale contre Daech qu’après avoir été attaquée » – n’est pas une distorsion sémantique. Elle constitue un énoncé factuellement faux et politiquement irresponsable.

Est-il encore besoin de le rappeler ? Ce n’est pas Daech mais la France qui a commencé cette guerre. En septembre 2014, le président Hollande a décidé d’associer les forces françaises à la coalition internationale contre l’État Islamique initiée par les États-Unis un mois plus tôt. A ce moment-là, la France n’avait jamais fait l’objet de la moindre attaque de la part de cette organisation. Entre août 2014 et janvier 2015, la coalition internationale a réalisé 2117 frappes sur Raqqa et d’autres villes contrôlées par l’État Islamique. Ce dernier a riposté en janvier 2015. Nous nous trouvons, depuis, dans un phénomène classique d’escalade de la violence. Au total, 350 civils occidentaux sont morts en France, en Belgique, en Allemagne et aux États-Unis suite aux attentats revendiqués par l’État Islamique. D’après les estimations les plus basses (celle de l’ONG Every Casualty), 1513 civils irakiens et syriens sont morts sous les 14 111 bombes larguées par les avions de la coalition internationale dont la France est, depuis septembre 2014, le second pourvoyeur.

Cette phrase – « La France n’a rejoint la coalition internationale contre Daech qu’après avoir été attaquée » – n’est pas un acte isolé. Un éditorial n’est pas un article comme les autres. Il fait l’objet de nombreuses relectures au sein de la rédaction. je suis par ailleurs allé voir les dizaines de commentaires postés par les lecteurs. A l’heure où j’écris ces lignes, pas un lecteur du Monde n’a relevé la tromperie/erreur. D’une manière plus générale, l’idée selon laquelle la France serait engagée dans une guerre « défensive » est complètement naturalisée. J’ai constaté ce fait à de multiples reprises lors des interventions publiques où j’invite mon auditoire à réfléchir sur l’opportunité de la stratégie guerrière. La première réaction est toujours la même : « nous n’avons pas le choix. Nous avons été attaqués ».

Outre le fait que ce raisonnement s’adosse à une chronologie fausse, il convient de le redire : la guerre n’est pas la seule réponse possible aux attentats terroristes. Du point de vue de l’histoire de la lutte anti-terroriste, la guerre apparaît plutôt comme un choix curieux. En effet, les attentats perpétrés à New York, Londres, Madrid, Boston, Nice ou encore Saint-Étienne du Rouvray s’inscrivent dans une histoire longue. Si l’on s’en tient au XXe siècle français, on constate que cette technique d’action violente fut utilisée par des groupes aussi différents que les anarchistes au début du siècle, l’OAS dans les années 1960, le groupe d’extrême gauche « Action directe » dans les années 1970 et 1980, ou encore certains indépendantistes basques, corses et bretons. Dans tous les cas (sauf celui de l’OAS dans les « départements algériens »), les autorités françaises ont résolu ces problèmes en utilisant des instruments de sécurité intérieure tels que le renseignement, la police ou la justice.

On m’objecte parfois que la situation est différente et que ce « terrorisme » nous vient de l’extérieur. Outre le fait que cette affirmation est très discutable au regard des passeports et des parcours de vie de la plupart des auteurs des attentats, elle néglige un fait que Le Monde et les autres journaux en guerre s’efforcent de masquer : d’autres pays occidentaux touchés par le « terrorisme » ont opté pour des instruments anti-terroristes non-guerriers. L’exemple le plus éloquent est celui de l’Espagne. Ce pays avait participé à l’invasion américano-britannique de l’Irak en 2003. Il avait ensuite subi, comme la France aujourd’hui, une violence en retour. Les attentats de Madrid du 11 mars 2004 avaient fait 191 morts. Quelques jours plus tard, le gouvernement espagnol décidait de renoncer à l’instrument guerrier pour renforcer ses services de police et de renseignement anti-terroriste. L’Espagne n’a plus fait l’objet d’attaque terroriste depuis cette date.

A l’inverse, que peut-on dire de l’option choisie par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, de lutter contre le terrorisme au moyen de guerres offensives (qualifiées plus généralement de « préventives »). Barbara Delcourt, Julien Pomarède et Christophe Wasinskiont publié un billet remarquable, il y a quelques semaines, dans Mediapart à ce propos. Ils relevaient que les guerres anti-terroristes ne sont pas seulement désastreuses du point de vue humanitaire. Outre le fait qu’elles ont généré des dizaines de milliers de morts civils en Afghanistan, en Irak ou encore en Syrie, elles n’ont jamais fait preuve de leur efficacité du point de vue de l’objectif affiché : mettre un terme aux attentats sur le territoire européen ou nord-américain. Dans de nombreux cas, les interventions occidentales ont plutôt jeté de l’huile sur le feu. Daech est par exemple une conséquence directe de la destruction de la société politique irakienne en 2003. Le bilan est sans appel : la stratégie guerrière ne fonctionne pas.

 

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