19.07.2016 - Le camion blanc

A 3 h 52 du matin, le 15 juillet, le président de la République française publiait via son compte Twitter un message prévisible, mais à tout prendre stupéfiant :

« Nous allons intensifier nos frappes en Syrie et en Irak. Nous continuerons de frapper ceux qui nous menacent. » #Nice (15.07.16 03:52)

Que signifie cette prise de position ?

1) Que l’Élysée, quelques heures à peine après l’attentat, sait déjà tout — ou prétend déjà tout savoir — des mobiles, des soutiens et des réseaux de l’homme qui a commis l’attentat de Nice (identifié comme un Tunisien résidant en France).

2) Que l’Élysée établit un lien direct entre cette tragédie et l’État islamique (puisque c’est officiellement l’EI que visent les « frappes » de l’aviation française en Irak et en Syrie).

3) Que l’Élysée pense (ou semble implicitement penser) qu’en « intensifiant les frappes » contre l’EI on pourra remédier au problème des tueries de masses en France, assimilées à du terrorisme islamique lié au courant salafiste.

Ce simple tweet véhicule une telle charge de contradiction, d’ineptie et de scandale qu’on se prend à trembler pour peu qu’on réfléchisse à ses implications.

Mais où est passé Padamalgam ?

Comment peut-on savoir d’emblée qu’un tueur de masse est un agent de l’Etat islamique, alors qu’il n’était même pas fiché « S » par les renseignements et qu’aucun élément connu de sa vie antérieure ne parlait en faveur d’un tel ralliement ?

Où est passée la prudence scrupuleuse que les pouvoirs politiques et médiatiques imposent à leurs opposants et à la population sous le slogan Padamalgam ? Au nom de quoi la Présidence française a-t-elle évacué a priori l’hypothèse du fait divers violent mais apolitique ? Après tout, n’a-t-on pas relevé, dans les premiers commentaires, que Mohammed Laouej Bouhlel était un voyou violent et qu’il avait des problèmes familiaux ? Après une telle prise de position du sommet de l’Etat, quel juge, quel policier, quel profiler oserait affirmer que le geste de Bouhlel n’était pas motivé par le fanatisme islamique ? Et si d’aventure il l’affirmait, comment les médias traiteraient-ils cette voix dissonante ?

Mais soit : admettons que l’Élysée ait raison, que cet homme ait effectivement agi pour le compte de l’Etat islamique. Quel rapport y aurait-il alors entre les frappes contre l’EI au Moyen-Orient et un geste comme le sien ? Les revers subis récemment par l’EI seraient plutôt de nature à favoriser un déplacement de la guerre sur le terrain de l’adversaire, autrement dit sur le territoire des pays qui le combattent.

Auquel cas, pourquoi la France est-elle la principale, pour ne pas dire la seule cible des terroristes de l’EI ? La contribution de la France aux opérations de la coalition occidentale dans la région est symbolique. D’ailleurs, cette coalition a nettement moins endommagé l’EI que l’alliance de l’aviation russe avec l’armée syrienne. Pourquoi l’EI n’a-t-il pas envoyé un camion blanc rouler sur des civils russes ?

En admettant même que la France soit un sérieux adversaire pour l’EI (ce qu’elle n’est évidemment pas), comment pourrait-elle à la fois combattre l’EI sur le terrain et poursuivre une idylle ostentatoire avec les créateurs et les sponsors de cette créature monstrueuse, à savoir les pétromonarchies du Golfe, les néocons américains et les stratèges de l’Etat d’Israël, qui admettent explicitement (Voir Antipresse 30) favoriser l’EI, lequel en contrepartie ne s’en est jamais pris aux intérêts israéliens ? La France n’a-t-elle pas été ces dernières années l’adversaire le plus acharné de Bashar el-Assad, allant jusqu’à souhaiter sa mort, et le protecteur explicite des islamistes (prétendument « modérés ») en Syrie ?

Voici donc réunis en 140 caractères le scandale (via l’amalgame établi dans les premières heures suivant l’attentat entre l’origine arabe du tueur et le terrorisme islamique), la contradiction (entre les gesticulations et la réalité du terrain) et l’ineptie (consistant à penser que des bombardiers envoyés au Moyen-Orient pourraient empêcher les camions blancs d’écraser le public du Quatorze-Juillet à Nice).

 

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