14.07.2016 - Bruxelles et industriels rêvent de « frontières intelligentes » capables de contrôler automatiquement les individus

Ce ne sont plus seulement des murs et des grillages qu’on édifie aux frontières de l’Europe. La Commission européenne et les industriels de la sécurité rêvent de « frontières intelligentes » – les Smart borders : une multitude de fichiers et d’appareils de contrôles automatisés et interconnectés, capables de suivre chaque individu. L’objectif ? La lutte anti-terroriste et le refoulement des migrants. Mais ces dispositifs dont l’efficacité reste à prouver risquent de gréver les finances publiques, tout en menaçant les libertés et la vie privée si, demain, certains États décident de passer du contrôle de chacun à la surveillance de tous. Enquête.

En matière de politique sécuritaire, le moins qu’on puisse dire est que l’Union européenne et ses États membres ne manquent pas d’idées. Les frontières de l’UE sont régies par pléthore de dispositifs et autant d’obscures acronymes. Le SIS, système d’information Schengen, réunit les données des individus recherchés ou disparus. Le VIS, système d’information sur les demandes de visa, ou encore, Eurodac, pour la gestion administrative des demandes d’asile...

Le 14 avril 2016, le Parlement européen a décidé d’allonger cette liste, en adoptant le Passenger name record, ou PNR. Son but ? Collecter auprès des compagnies aériennes 19 types d’informations différentes sur les voyageurs, du prix du billet au numéro du siège. La Commission européenne n’est pas en reste : elle a de son côté sorti du chapeau une nouvelle version des Smart borders (« frontières intelligentes »), un projet qui lui tient à cœur depuis 2013, mais qui avait été laissé sur la touche par le Parlement. Le dispositif permettra d’enregistrer les entrées et sorties des ressortissants de pays tiers admis pour un séjour de courte durée dans l’espace Schengen — 90 jours maximum sur une période de 180 jours — et sera doublé d’une automatisation des frontières pour lutter contre la fraude à l’identité.

« Projets mégalomaniaques »

Une fois interconnectés, ces systèmes d’information constitueront autant de mailles d’un même filet de contrôle et de surveillance des individus. Un filet, en lieu et place de murs, qui cherche pourtant à remplir la même fonction : remédier aux difficultés européennes face à deux crises majeures : la menace terroriste et la crise migratoire. « Le partage des informations relie les deux. Nos garde-frontières, autorités douanières, policiers et autorités judiciaires doivent avoir accès aux informations nécessaires », a ainsi précisé Dimitris Avramopoulos, commissaire européen pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté, lorsqu’il a dévoilé le texte sur les Smart borders en avril dernier.

La Commission ne cesse de promouvoir cette idée de « frontières intelligentes », malgré la réticence de certains parlementaires. « Nous avons déjà voté non une première fois contre le PNR et les Smart Borders car nous étions sceptiques face à des projets mégalomaniaques tant sur le plan budgétaire que sur celui d’une collecte massive des données, réagit Sophie In’t Veld, la vice-présidente néerlandaise de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe. Pourtant, ces textes reviennent sur la table, avec une pression de certains États membres pour les faire voter. »

Les industriels dans les starting-blocks

La France n’est pas la dernière à jouer des coudes pour faire aboutir ce dossier. En témoigne la venue de Manuel Valls à Strasbourg lors du vote sur le PNR. Non seulement l’État français a lui-même été victime du terrorisme, mais il soutient aussi ses fleurons industriels, Safran notamment, en première ligne pour remporter les appels d’offres et mettre en place les fichiers de passagers aériens en Europe. Morpho, sa filiale sécurité, gère déjà deux marchés : ceux de la France et l’Estonie. Des PNR nationaux existent en effet dans 14 pays. Pour financer ces dispositifs, avant même que le PNR européen ne soit voté, la Commission a déjà investi 50 millions d’euros.

Derrière les Smart borders, les sommes en jeu et les intérêts des industriels sont encore plus discutés, car ces nouvelles frontières nécessiteraient la mise en place de kiosques spéciaux dotés d’outils biométriques, les e-gates, dont tous les États inclus dans l’espace de libre circulation devront s’équiper. En France, 133 points de frontière Schengen pourront être concernés, soit 86 aéroports, 37 ports, et 10 gares. Sachant que le coût d’une porte est estimé entre 40 000 et 150 000 euros, l’investissement n’est pas négligeable !

Collusions public-privé

La première proposition de Smart Borders chiffrait le projet à 1,1 milliard d’euros. Elle avait provoqué un tollé au sein du Parlement européen en 2013. Depuis, pour apaiser cette ire, la Commission a réalisé un tour de passe-passe : selon son nouveau calcul, le coût pourrait finalement être ramené 480 millions d’euros… Sauf que dans le même temps, la Commission a provisionné 791 millions d’euros dans son budget cadre 2014-2020, avant même que la directive ne soit votée ! « En réalité, pour savoir combien cela va nous coûter, il faudra attendre les réponses des industriels aux appels d’offres et surtout conclure les contrats », note Krum Garkov, le directeur de l’agence Eu-Lisa créée pour mettre en place les Smart borders.

 

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