05.07.2016 - Entre les cousins Rothschild, la guerre est (vraiment) déclarée

Entre les deux branches de cette dynastie financière, on se parle désormais par avocat interposé. Un actif inestimable est en jeu : son patronyme. Décryptage.

Une bombe. Le groupe Edmond de Rothschild va assigner en justice la branche parisienne, celle de David de Rothschild, accusée de "préempter" le célèbre patronyme familial.

C’est le premier coup d’éclat d’Ariane de Rothschild, devenue présidente du comité exécutif du groupe Edmond de Rothschild le 31 janvier. Une reprise en main familiale après le départ d’un manager extérieur, Christophe de Backer. Et la toute première fois qu’une femme dirige une banque de la dynastie.

L’épouse de Benjamin de Rothschild, fils d’Edmond, pilote son groupe depuis les rives du lac Léman, le centre névralgique depuis trois générations. Loin de l’avenue de Messine, siège parisien de Rothschild & Cie, que dirige le cousin David de Rothschild et dont le holding coté, Paris Orléans, se définit dorénavant dans sa présentation financière comme "maison mère du Groupe Rothschild". La goutte d’eau en trop.

Dépréciation mal perçue

Un premier incident, a priori anodin, avait révélé la tension qui -régnait entre les maisons. Il faut d’abord savoir que les deux groupes ont une participation croisée de 8% ; souvenir du coup de pouce donné par Edmond de Rothschild au jeune David lorsqu’il remonta une banque à Paris, après la nationalisation de 1982. Depuis, chaque année, les règles comptables obligent à évaluer ces participations. Une simple formalité.

Mais fin 2013, tout Paris se met à bruisser de la dépréciation de 22 millions d’euros passée par David à cause des mauvaises affaires de son cousin Benjamin et de son manager Christophe de Backer. Ce dernier brise alors le silence. Dans les colonnes du Monde, il parle de "coup bas". Ce qui fera grand bruit. Un an plus tard, des deux côtés, on minimise. Et l’on souligne la "distance courtoise" entre les établissements. Chacun chez soi.

"Concordia, Integritas, Industria" : Benjamin et David de Rothschild défendent leur devise commune. Pour faire du bon business, il faut bien sûr être honnête ; mais surtout ne pas ébrécher la concorde familiale. Les deux hommes sont de toute façon trop différents pour s’affronter. Mis à part des aïeux communs et quelques traits caractéristiques de la famille– élégance, œil bleu, penchant pour la philanthropie –, ils partagent peu de chose.

A 72 ans, David de Rothschild règne avec courtoisie sur les fusions-acquisitions. De sa "boutique" des années 1980, il a fait un empire européen du conseil financier. Benjamin de Rothschild, 51 ans, pèse au moins dix fois plus que son cousin avec une fortune évaluée par Challenges à 2,9 milliards d’euros. Milliardaire hors norme, il se joue des codes et peut lâcher à ses collaborateurs réunis au dernier pot de Noël que "tous ceux qui ont quitté le groupe sont des enc...".

Chacun son caractère et chacun son territoire. La banque privée côté Suisse, la banque d’affaires côté français. Mais au fil des années, les deux groupes ont toutefois fait quelques incursions dans le pré carré de l’autre. Rothschild & Cie a développé des activités de gestion, tandis qu’Edmond de Rothschild entretient une petite équipe de fusions-acquisitions et s’est installé à la City, terre de conquête de David de Rothschild. Ce dernier a de son côté tenté une aventure en Israël, chasse gardée de Benjamin.

Vieilles rancœurs

Signe de la dégradation des relations, Rothschild & Cie n’a plus d’administrateur chez Benjamin de Rothschild ; qui, lui, n’a pas réussi à obtenir un siège chez David. Car un contentieux sourd divise les deux groupes. Off the record, on balance. De vieilles jalousies ?

Comme dans toutes les familles, les Rothschild trimballent des rancœurs. La branche cadette, dont est issu Benjamin, nourrirait un vieux complexe à l’égard de la branche aînée, celle de David. Et les mariages n’auraient rien arrangé. David de Rothschild a épousé une parfaite aristocrate italienne, tandis qu’Edmond et son fils Benjamin épousaient des roturières.

Mais un proche des deux hommes balaie cette analyse : "David et Benjamin sont bien au-dessus de cela. Les enjeux sont ailleurs."

Ailleurs ? Il faut donc chercher du côté de l’actif le plus inestimable de la dynastie : son patronyme. A Paris, David de Rothschild a bataillé pour récupérer son nom après la nationalisation de la banque familiale. Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir d’Edouard Balladur pour qu’il puisse gagner le droit d’utiliser cette raison sociale magique. Il a aussi fallu se mettre d’accord avec la branche cadette.

Echec de la médiation

Par contrat, chaque banque peut s’appeler Rothschild, à condition de ne pas porter le nom seul. Précédé du prénom Edmond (porté par son père et son arrière-grand-père) chez Benjamin de Rothschild, il est suivi, dans l’établissement fondé par David, de la mention "& Cie". Trente ans plus tard, les discussions entre les deux familles sur l’usage de la marque ont été rouvertes.

Mais la médiation a échoué. L’un des objectifs de Christophe de Backer, ancien d’HSBC, était de rationaliser l’enseigne de sa banque afin de faciliter son déploiement à l’international. Mais David a préempté Rothschild Group, qui sonnait pourtant bien. La bataille en cours est menée par la reine de cœur de cette partie d’échecs : Ariane de Rothschild, secondée par son secrétaire général, Olivier Colom, un ancien diplomate.

Animée par le devoir de transmettre à ses quatre filles un groupe sain et pérenne, l’épouse de Benjamin veut des garanties. De quel type ? "La clé de tout cela, c’est la transmission. La grande crainte d’Ariane, c’est que les héritiers de David soient un jour tentés de vendre", décode un avocat.

Jeu d’ombres capitalistique

Dans un entretien accordé en mai 2014 avec sa femme au Point, Benjamin s’était d’ailleurs lâché : "On voudrait surtout éviter qu’ils vendent un jour leur entreprise avec le nom Rothschild." Une jolie pierre dans le jardin des cousins, "qui n’ont pas le droit de monopoliser le nom". Et le fils d’Edmond de relativiser les bisbilles en cours : "Cela fait trois générations qu’il y a des frictions entre les différentes branches de la famille."

Certes, mais rarement à ce point. L’inquiétude des Rothschild de Genève repose sur un fait : la situation capitalistique du groupe Edmond de Rothschild est plus simple que celle de la banque cousine. Benjamin est l’unique héritier d’une lignée qui a eu le bon goût d’engendrer, à chaque génération, un fils unique. Il est riche et maître chez lui.

Du côté de David, la situation est plus collégiale. En 2008, le banquier a réussi à réunifier, deux cents ans après leur séparation, les branches anglaise et française. Un coup de maître.

Mais son fils Alexandre, appelé à lui succéder, ne détiendra qu’une part du capital, aux côtés d’Eric de Rothschild, son cousin, et des héritiers de la branche anglaise, les fils d’Evelyn. L’héritier devra également compter avec les appétits des associés-gérants qui amènent le business. 

Un jeu d’ombres qui fait la joie d’un dirigeant du concurrent historique, Lazard : "La crise aiguë de succession dont nous sommes enfin sortis après de longues années se profile chez Rothschild..." Des propos "insanes" juge-t-on du côté de Rothschild & Cie.

Source : challenges.fr

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