03.06.2016 - Natalia Poklonskaya, procureure de Crimée : « Dans l’âme, je suis la Russie »

Quand les nationalistes ukrainiens du Secteur droit prennent le contrôle du bâtiment du Parquet général à Kiev, la procureure Natalia Poklonskaya démissionne sur-le-champ. Elle retourne dans sa Crimée natale, où elle devient l’une des figures de proue du mouvement pour le rattachement de la péninsule à la Russie. Elle est aujourd’hui procureure générale de Crimée, et aussi l’une des femmes les plus populaires de Russie. Elle s’explique sur ses motivations et ses objectifs dans un entretien pour la revue Rousski Reporter.

Propos recueillis par Marina Akhmedova

Rousski Reporter : En allant remettre votre lettre de démission au Parquet de Kiev, vous avez enfilé le ruban de Saint-Georges à la boutonnière, c’est bien ça ? [Le ruban orange et noir de Saint-Georges est le symbole de la victoire soviétique dans la Seconde Guerre mondiale, et aujourd’hui un signe d’attachement à la Russie. C’est le symbole qu’ont adopté les séparatistes ukrainiens du Sud-Est, ndt].

Natalia Poklonskaya : Oui.

R.R. : C’est tellement naïf.

N.P. : Pourquoi ? Ce n’est pas naïf. Savez-vous que quand le mouvement de Maïdan a commencé, au Parquet, nous n’avions même pas le temps de rédiger des rapports sur les gens morts sur la place ? Je me souviens de tous ces masques, de la prise d’assaut du bâtiment du Parquet, des pneus incendiés, de ces roulements de tambour en permanence, des boucliers de policiers jetés sur l’asphalte. Et cette voix dans le mégaphone… je n’oublierai jamais la voix de Parouby [commandant des activistes dans les manifestations de Maïdan, ndlr] et ses défauts de prononciation. Il donnait directement les ordres pour envoyer telle ou telle brigade tirer ici ou là. Tirer ! Tirer sur des êtres vivants.

R.R. : Vous étiez sur place ?

N.P. : Oui. Je revenais justement de l’église pour le Baptême du Christ, un 19 janvier. J’avais le sentiment que le monde s’inversait, que toutes nos valeurs étaient en train de disparaître pour laisser place au chaos et à l’obscurantisme. Et ces brassards rouge et noir à leurs bras [le rouge et le noir sont les couleurs de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, qui s’est battue au cours de la Seconde Guerre mondiale contre l’Armée rouge, la Wehrmacht et l’Armia Krajowa. L’AIU est tristement célèbre pour de nombreux massacres de masse, dont le plus connu est celui des Polonais en Volhynie, entre 1942 et 1944, qui a fait plus de 80 000 victimes civiles. Les couleurs de l’AIU ont été reprises par les nationalistes ukrainiens d’aujourd’hui, ndt]. C’est tout cela qui était en train de l’emporter : les hommes du Secteur droit avec leurs brassards rouge et noir, avec leurs matraques et leurs fusils. Ils sont entrés au Parquet général de Kiev et en ont chassé nos soldats des forces intérieures, qui gardaient le bâtiment, et ils ont pris leur place. Et moi, je suis allée travailler – avec mon ruban de Saint-Georges à la boutonnière.

R.R. : Et le Secteur droit ?

N.P. : Le Secteur droit a estimé que je n’étais pas adéquate. Je m’attendais à ce qu’ils réagissent, d’une façon ou d’une autre, et je me disais : « Mais je leur répondrai ! Qu’ils essaient simplement de me dire quelque chose ! » Peut-être y avait-il effectivement une certaine naïveté dans mon attitude… Mais vous savez, c’était tellement humiliant. Tellement nauséabond. Je travaillais là-bas, j’étais une collaboratrice du Parquet. Et ces espèces de criminels, qui se prenaient pour des héros de la Révolution, allaient me dire quoi faire ?! Qu’ils essaient seulement ! Mais ils m’ont regardée et ils n’ont rien dit. Je savais que j’avançais pour la mémoire des miens… Les combattants, ce sont tous les nôtres. Tous ces hommes qui sont tombés au front de la Seconde Guerre mondiale sont morts pour nous. Et ils nous regardent. Je pense qu’en Ukraine, les gens en ce moment sont probablement un peu malades.

R.R. : Beaucoup de ceux qui étaient sur Maïdan disaient qu’on y sentait l’air de la liberté, qu’ils le respiraient. Les gens ont été pris d’un profond enthousiasme, dès les premières minutes.

N.P. : Laissez-moi rire.

R.R. : Pourquoi n’avez-vous pas été saisie par cet élan général ? Les gens disaient descendre dans la rue pour la justice, contre un pouvoir qui les opprimait.

N.P. : C’est vrai, ils ont prononcé ces mots d’ordre au départ. Mais je peux vous répondre par cette citation de Stolypine : « Vous, vous voulez de grands bouleversements, mais nous, nous voulons une grande Russie. »

 

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