13.05.2016 - Le jeu d’échecs énergétique de Poutine face à Netanyahu

Par F. William Engdahl

Le 21 avril, le Premier Ministre israélien Benyamin Nétanyahu s’est rendu à Moscou pour des pourparlers à huis clos avec le Président russe Vladimir Poutine. Les médias ont rapporté que ces pourparlers concernaient la situation en Syrie, un thème au sujet duquel Moscou s’est assuré qu’une ligne de dialogue d’urgence soit constamment maintenue afin d’éviter tout accrochage militaire potentiel.

Il semble pourtant, que les deux homologues aient discuté d’un tout autre sujet: la potentielle implication russe dans le développement du champ de gaz géant Léviathan d’Israël situé en mer Méditerranée orientale. Si les deux devaient parvenir à un accord, les implications géopolitiques pourraient être énormes pour Poutine et pour le rôle stratégique de la Russie au Moyen-Orient, de même que pour le futur de l’influence américaine dans la région.

La presse israélienne a rapporté les pourparlers Netanyahu–Poutine comme relatifs à la « coordination entre les forces évoluant dans les cieux d’un pays déchiré par la guerre, [et] au sujet du statut du plateau du Golan… »[1]

D’après les rapports des médias d’État russes, pourtant, Netanyahu et Poutine auraient en plus discuté du rôle potentiel de la compagnie possédée par l’État russe Gazprom, plus grand producteur et distributeur de gaz naturel au monde, en tant que possibles parties prenantes dans le gisement de gaz naturel d’Israël appelé Léviathan. L’implication russe dans le développement israélien du gaz connaissant en ce moment quelques difficultés, réduirait le risque financier pour les opérations israéliennes d’extraction du gaz au large des côtes, et accroîtrait la sécurité de ces champs gaziers, car les alliés russes comme le Hezbollah au Liban ou bien l’Iran n’oseraient pas prendre pour cible une coentreprise impliquant la Russie[2].

Si ces rapports russes s’avèrent vrais, ils pourrait impliquer un nouveau pas majeur dans la géopolitique énergétique de Poutine au Moyen-Orient, qui signifierait aussi une défaite majeure pour Washington, au gré de ses manoeuvres de plus en plus ineptes afin de contrôler l’épicentre mondial du pétrole et du gaz.

L’intérêt de la Russie

De nombreux observateurs extérieurs pourraient être surpris que Poutine soit engagé dans un tel dialogue avec Netanyahu, Israël étant un allié de longue date des États-Unis. Il y a pourtant plusieurs facteurs derrière tout cela. L’un est la capacité de levier du Président de la Russie, dans la mesure où plus d’un million de Russes ethniques résident en Israël, incluant l’un des membres du Cabinet formé par le Gouvernement Netanyahu[3]. Plus important, depuis que l’Administration Obama s’est engagée dans des pourparlers afin de signer un accord avec l’Iran sur le nucléaire en 2015, au mépris des véhémentes protestations de Netanyahu, les relations entre Washington et Tel-Aviv ont connu un froid, pour le dire de façon pudique.

Il se trouve que la situation est en train d’être exploitée avec une grande adresse par Poutine et la Russie.

Washington veut forcer une réconciliation politique entre Netanyahu et la Turquie d’Erdogan, incluant un accord dans lequel la Turquie deviendrait un acheteur majeur du gaz provenant des côtes israéliennes, en contractant des accords d’achat majeurs pour Léviathan. Pour Washington, ceci réduirait la dépendance de la Turquie vis-à-vis des importations de gaz russe, qui est aujourd’hui de 60 %. En retour, Israël accepterait de vendre à la Turquie des équipements militaires israéliens avancés avec l’approbation de Washington.

Pourtant, les pourparlers bilatéraux entre la Turquie et Israël sont rapportés comme étant vacillants, face à de nombreuses différences de vue. Ceci ouvre une porte par laquelle la Russie peut entrer[4].

Poutine a donc invité le Président israélien, Reuven Rivlin, à Moscou le 16 mars pour des pourparlers suivant la décision surprise de la Russie quant au retrait de certaines de ses forces de la Syrie. De façon significative, la visite a été sanctionnée par Netanyahu, qui se trouve souvent en désaccord personnel avec son Président [israélien]. L’un des buts [de cette visite du Président israélien] était clairement de préparer le terrain pour cette dernière visite de Netanyahu à Moscou.[5]

Le Golan, Léviathan, la Turquie…

Ce qui émerge, c’est une realpolitik complexe faite de négociations entre Poutine et Netanyahu, qui est de la plus haute importance géopolitique pour le Moyen-Orient tout entier et au-delà.

En effet, les éléments qui apparaissent à présent incluent un partenariat possible de Gazprom, et des investissements dans le développement et la commercialisation du gaz naturel du champ de gaz géant « Léviathan », localisé au large des côtes israéliennes. Ceci inclut un certain degré d’arrangement entre la Russie et Israël afin de garantir la sécurité d’Israël, face à des attaques venant du Hezbollah soutenu par Téhéran, ou par des forces situées sur les hauteurs du Golan syrien. Et cela inclut un accord par lequel Israël s’éloignerait des désirs de Washington concernant le gaz et les ventes d’armes à la Turquie de Erdogan, un accord qui affaiblirait Gazprom et tout moyen de pression russe sur la Turquie.

Le Léviathan d’Israël

Premièrement, Léviathan. À la fin 2010, Israël a annoncé la découverte d’un champ de gaz massif, « supergéant », dans ce qu’elle déclare constituer sa Zone Economique Exclusive [ZEE].

Il est localisé dans ce que les géologues appellent le bassin du Levant (ou le bassin Levantin). Le champ en lui-même est situé à quelques 135 km à l’ouest du port d’Haïfa, et à près de 5 kms de profondeur. Il a été nommé d’après le monstre marin biblique. Trois compagnies israéliennes de l’énergie, menées par Delek Energy, en coopération avec la firme basée à Houston, Texas, Noble Energy, ont annoncé une estimation initiale selon laquelle ce champ de gaz pourrait contenir plus de 450 000 milliards[6] de mètres cubes de gaz, en faisant ainsi le plus grand gisement de gaz en eaux profondes du monde découvert depuis des décennies[7]. Pour la première fois depuis la création de l’État d’Israël en 1948, le pays pourrait ainsi devenir autosuffisant en énergie, et même se trouver en position de devenir un exportateur majeur de gaz naturel.

 

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