26.03.2016 - Ce petit milieu d’avocats d’affaires qui gagne des millions grâce aux traités de libre-échange

Notre plongée dans la guerre économique sans merci que les multinationales livrent aux États continue. Ce 3ème épisode vous emmène de Bruxelles à New York, en passant par Toronto (Canada), à la découverte du discret et très restreint milieu des avocats d’affaires qui arbitrent les conflits financiers entre grandes entreprises et États. Plusieurs de ces « arbitres » sont critiqués pour leur manque d’impartialité et leurs décisions très souvent favorables aux investisseurs privés, infligeant des amendes de plusieurs milliards de dollars à des États au budget limité. Les entreprises leur facturent leurs prestations plusieurs millions d’euros...

Épisode 3, suite de notre série sur les procédures d’arbitrages entre investisseurs et États (voir l’épisode précédent).

George Kahale III ne mâche pas ses mots. Son cabinet, Curtis, Mallet-Provost, Colt & Mosle, dont le siège est à New York, est le surprenant numéro un de l’un des classements annuels des premières firmes mondiales d’arbitrage, réalisé par le magazine American Lawyer. La firme est actuellement chargée de pas moins de 24 cas d’arbitrage – aussi bien des arbitrages liés à l’investissement que des arbitrages commerciaux traditionnels – portant sur des montants supérieurs à un milliard de dollars. Mais il y a une différence avec Gerard Meijer (voir l’épisode 1 : Plongez dans la guerre invisible que les multinationales livrent aux États) : cet avocat américain d’origine arabe et ses collègues ont pour principe de ne défendre que des États, qu’il s’agisse de républiques bananières ou non. Même le Venezuela.

Les deux cas pétroliers sont un exemple des dysfonctionnements du système, nous explique Kahale au cours d’un entretien. « Trop d’erreurs sont commises. Bien sûr, un juge amène toujours avec lui ses points de vue personnels dans son travail, mais, à cette échelle, cela devient un sérieux problème. Ce ne sont pas des affaires de quelques millions de dollars. Ce sont des affaires qui se chiffrent en milliards : un milliard, cinq milliards, voire davantage. Sur des sujets d’importance cruciale pour des pays dont le PIB est souvent modeste. Toute erreur a des conséquences incalculables. »

« La proximité des arbitres avec les milieux d’affaires est évidente »

Les erreurs sont presque impossibles à corriger. « On ne peut pas faire appel. » Dans certains cas, il est possible d’adresser par la suite une demande d’annulation à un juge dans le pays où a eu lieu l’arbitrage, mais ce juge ne pourra se pencher que sur l’équité de la procédure. Et pour les affaires portées devant le Centre international de règlement des différends liés à l’investissement (Cirdi), ce n’est même pas possible. Les verdicts ne peuvent être annulés que par un tribunal du Cirdi. Depuis 1987, cela n’est arrivé que quatre fois, de manière partielle. « Il n’y a presque pas de garde-fou, de sorte que les entreprises peuvent facilement se lancer dans des demandes absurdes. »

Il suffit de considérer les verdicts, souligne Kahale. « Dans le cas d’Exxon, le tribunal pense que ce que le Venezuela a fait [l’expropriation d’Exxon, ndlr] est parfaitement légal. Mais dans l’autre tribunal, qui juge le cas de Conoco, deux des trois juges ont une opinion différente. Donc quatre arbitres sur six pensent que le Venezuela avait raison. » Et pourtant le pays se verra infliger une amende de plusieurs milliards. « Comment est-ce possible ? Ce n’est pas un litige quelconque ! »

Pour Kahale, les opinions politiques des arbitres jouent un rôle très important. « D’un point de vue juridique, leurs décisions sont parfois intenables. Et pourtant, il y est fait référence dans d’autres affaires, de sorte qu’émergent de nouveaux principes juridiques. Ce n’est pas forcément anormal pour un champ juridique émergent. Mais d’où viennent en l’occurrence ces principes ? » Réponse : d’un petit groupe d’individus qui se connaissent et se choisissent les uns les autres, qui se rencontrent régulièrement dans d’autres affaires, parfois en tant qu’avocats, parfois en tant que juges. « Leur proximité avec les milieux d’affaires est évidente dans leurs décisions. À l’arrière-plan, il y a l’arbitrage commercial. Leur objectif n’est pas de créer des précédents juridiques, mais de permettre aux parties en présence de retourner à leurs affaires aussi vite que possible. »


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