21.02.2016 - La fin des «Flying Frenchmen»

Ce déracinement est le reflet de nos propres renoncements

Le 17 février 2016 demeurera une journée sombre dans l’histoire du Canadien de Montréal et sans doute dans notre histoire collective. Pour la toute première fois de sa glorieuse existence, le Canadien de Montréal a joué un match (à Denver au Colorado, et ce, en l’ironique présence de Patrick Roy debout derrière le banc de l’équipe adverse), sans qu’un seul joueur dont le français est la langue maternelle fasse partie de l’alignement. Rien, zéro, nada.

Où sont les équivalents contemporains des Georges Vézina, Aurèle Joliat, Newsy Lalonde, Didier Pitre, Maurice Richard, Bernard Geoffrion, Jean Béliveau, Yvan Cournoyer, Guy Lafleur, Serge Savard, Stéphane Richer, Vincent Damphousse, qui, au fil des décennies, ont permis à cette équipe légendaire de remporter 24 coupes Stanley et de dominer la Ligue nationale ? Aujourd’hui, que reste-t-il de cette tradition bâtie à coups « de bras meurtris » ? On nous dira que les temps ont changé (le changement a le dos large pour expliquer l’aveuglement et l’incompétence…), qu’il y a de moins en moins de joueurs québécois dans la LNH, etc. Mais s’il y a de moins de moins de joueurs du Québec, c’est peut-être justement parce que le CH ne joue plus son rôle de fer de lance d’autrefois pour les joueurs locaux.

Ainsi, à la toute fin de l’ère Gainey, le CH ne faisait pratiquement plus de dépistage au Québec. Difficile de faire éclore le talent local lorsqu’on lui ferme ainsi les yeux… On a aussi fait la vie dure à un tas de joueurs d’ici au cours des dernières années. Pensons seulement aux deux derniers qu’on a chassés de Montréal presque dans la disgrâce : Brière et Parenteau.

En fermant la porte au fait français, le CH a renié son identité profonde, ce lien unique entre une équipe sportive et une collectivité. Si la pierre d’assise de ce lien était la langue, elle se construisait aussi sur un style et une passion du jeu tout à fait singuliers. La fougue et la détermination d’un Maurice Richard, l’inventivité d’un Jacques Plante, la grâce d’un Jean Béliveau, la flamboyance d’un Guy Lafleur jusqu’à l’arrogance d’un Patrick Roy étaient le ferment de ce hockey sans égal qui, au fil des décennies, a valu au CH le surnom anglophone de « Flying Frenchmen ». Où diable est passé cet héritage inestimable ? Comme tant d’autres choses, on l’a cédé à des Américains, des Européens, des anglophones du ROC venus en mercenaires prendre un flambeau qui, plutôt que d’allumer leur flamme, leur brûle les doigts. Un peu comme l’épée d’Excalibur qui n’a de pouvoir que pour celui auquel elle est destinée…

À l’heure où nous vendons nos entreprises aux Américains et où le visage français de Montréal s’amenuise, il ne faut guère se surprendre que le CH ait perdu son âme. Ce déracinement d’une jadis légendaire équipe est le reflet de nos propres renoncements. Dirons-nous un jour que le 17 février 2016 aura marqué un point de non-retour pour le nationalisme québécois comme on dit aujourd’hui que la fameuse émeute du 17 mars 1955 au Forum de Montréal fut le prélude de son affirmation ?

 

Source : Le Devoir

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