16.09.2014 - Un trafic légal de tissus humains

Implantée en Floride, la société RTI Biologics importe des “pièces détachées” prélevées en Ukraine sur des cadavres. Le but : approvisionner à bas coût les chirurgiens américains.

e 5 août 2004, Anatoli Kortchak, un ingénieur en retraite, meurt à Kiev. A 2 heures du matin, son corps est conduit à l’institut médico-légal de la capitale ukrainienne. La même nuit, sa fille, Lena Krat, reçoit un appel téléphonique la priant de se rendre dès le matin à l’institut, où on lui expliquera tout. C’est la première fois que Lena Krat est confrontée à la mort d’un proche. “J’étais dans un tel état que je ne pouvais penser correctement”, se souvient-elle. Lorsqu’elle arrive, le matin, un homme lui parle de greffes de peau. Il est employé par une entreprise ukrainienne qui travaille avec l’institut. “Laissez-moi tranquille, lui répond-elle. Je n’y comprends rien et je ne veux rien savoir.” 

L’homme ne lâche pas le morceau et lui colle un formulaire dans les mains : si elle donne son accord pour un prélèvement de peau, elle aidera de petits enfants brûlés qui ont besoin d’une greffe. Lena Krat, qui est mère de deux petites filles, signe. “J’étais comme sous hypnose”,raconte-t-elle. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que l’entreprise ukrainienne envoie en Allemagne les matériaux prélevés sur les cadavres, à la société Tutogen Medical GmbH, laquelle les expédie ensuite sur le marché américain. 

Ce ne sont pas seulement des bandes de peau qu’on prélève sur les cadavres, mais également des tendons, des os et des cartilages. “Ça me choque”, déclare aujourd’hui Lena Krat. “Si j’avais su qu’on prenait autant de choses, je n’aurais jamais donné mon accord.” Cet épisode fait partie du quotidien discret d’une branche très peu connue, quoique fort lucrative, de la médecine : la fabrication de “pièces détachées humaines” à partir de cadavres. Tout ce que le corps humain a à offrir y passe – ou presque : os, cartilages, tendons, fascias latas, peau, cornées, péricardes, valvules cardiaques. Ce que l’on appelle des “tissus”, dans le jargon spécialisé. 

Tutogen s’intéresse surtout aux os et aux tendons. Ils subissent un traitement complet : une fois prélevés, les os sont nettoyés, dégraissés, sciés ou alésés, stérilisés, emballés et vendus dans plus de quarante pays. Avec une ordonnance, on peut même commander ces produits auprès de pharmacies en ligne. 

A l’échelle d’un pays comme l’Allemagne, le marché est encore limité pour de tels produits. Prenons les os, par exemple : selon les experts, on ne pratique dans ce pays que 30 000 greffes osseuses par an, en grande partie pour reconstituer l’os lors d’opérations de la hanche et d’interventions sur la colonne vertébrale. 

La situation est bien différente aux Etats-Unis : selon l’Association américaine des chirurgiens orthopédistes, le pays pratique plus de 1 million de greffes osseuses par an. Nulle part ailleurs les pièces détachées humaines ne permettent de gagner autant d’argent. Une fois découpé en plusieurs éléments et traité, un corps peut rapporter jusqu’à 250 000 dollars. Un seul corps ! Selon la journaliste Martina Keller*, qui coécrit cet article, le secteur américain des tissus réalise 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires par an. 

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