02.11.2015 - « Une langue disparaît tous les quinze jours »

Une vieille dame de 94 ans est morte en 1987, à Pala, en Californie. Elle était la dernière à connaître le cupeño. Plus personne ne parle cette vieille langue nord-américaine. Fini, donc, le cupeño. Mais aussi le matipú, l'amapá, le sikiana... Terminés l'apiakà, le koiari, le yimas... Oubliés le yugh, le palaung, le bahnar... Les vieillards s'en vont, les langues aussi. La moitié des 5 000 langues actuelles auront disparu dans un siècle, emportées par la grande machine à communiquer.

Et après" Que nous importe, finalement, qu'on ne parle plus le pataxó ou le nakrehé" Le linguiste Claude Hagège publie cette semaine un extraordinaire panorama de la planète des langues, plaidoyer passionné pour leur survie (Halte à la mort des langues, chez Odile Jacob). Les langues, explique-t-il, sont un peu comme les espèces animales: elles vivent, meurent, cèdent aux assauts des prédateurs. Ce ne sont pas seulement des mots qui s'envolent avec chacune d'elles. C'est une histoire, une mémoire, une manière de penser. Un peu de notre humanité.

Vous êtes un chercheur éminent, plutôt connu pour votre réserve et votre affabilité, et voilà que vous vous emportez et criez à la disparition des langues dans le monde. C'est si grave que ça?

Il existe aujourd'hui, dans le monde, environ 5 000 langues parlées. Une langue disparaît tous les quinze jours! Vingt- cinq chaque année. Faites le compte: dans un siècle, si rien n'est fait, nous aurons perdu la moitié de notre patrimoine linguistique, et sans doute davantage à cause de l'accélération due aux prodigieux moyens de communication. Ce phénomène affecte les langues indonésiennes, néo-guinéennes et africaines (plus de la moitié des 860 langues de Papouasie-Nouvelle-Guinée sont en voie d'extinction, la moitié des 600 langues indonésiennes est moribonde), mais il concerne aussi les autres langues de la planète, menacées par l'anglo-américain. C'est un véritable cataclysme, qui se produit dans l'indifférence générale. 

Je comprends que cela chagrine le linguiste que vous êtes. Mais en quoi est-ce si important pour nous?

Une langue qui disparaît, ce ne sont pas seulement des textes qui se perdent. C'est un pan entier de nos cultures qui tombe. Avec la langue meurt une manière de comprendre la nature, de percevoir le monde, de le mettre en mots. Avec elle disparaît une poésie, une façon de raisonner, un mode de créativité. C'est donc d'un appauvrissement de l'intelligence humaine qu'il est question. Prenez les langues dites «à classes», comme les langues africaines, qui désignent les objets en les rangeant par catégories: longs, ronds, comestibles, non comestibles, etc. Eh bien, nous perdons ces précieuses classifications que l'esprit humain avait conçues pour ordonner l'Univers, ainsi que la connaissance d'espèces vivantes. 

Comment meurt une langue?

Elle est généralement la victime d'une autre langue dominante, propre à ceux qui possèdent le pouvoir et l'argent ou s'imposent par l'armée, les médias, l'école; cette autre langue dispose d'une hégémonie politique, économique, sociale, et, surtout, elle a du prestige. En Inde, en Afrique, nombre de langues qui ont pourtant résisté à la colonisation sont aujourd'hui menacées par les grandes langues indiennes ou africaines, comme le swahili, le peul (en Afrique centrale), le haoussa (au Niger et au Cameroun) ou le ouolof (au Sénégal), particulièrement dangereuses parce qu'elles ne sont pas suspectes d'être des langues de l'étranger et possèdent le prestige des grandes langues africaines.

 

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Commentaires   

 
0 #1 Ray Y. Adamson 02-11-2015 15:17
Toutes les langues du monde passent sous le rouleau-compres seur de l'anglo-américa in.
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