27.10.2015 - « Je n’avais plus le droit de parler avec mes collègues, ensuite ils m’ont supprimé ma pause pipi »

Faire ses courses en ligne, pour une livraison rapide, c’est bien pratique. Sauf que, dans les rayons des entrepôts, une autre course se déroule, pour préparer au plus vite les produits achetés. Découvrez les coulisses des hypermarchés connectés, grâce aux témoignages étonnants de deux employés de l’enseigne Chronodrive de l’agglomération toulousaine, une chaîne de cybermarchés lancée en 2004 par le groupe Auchan. Rebecca et Julien, 20 ans, étudiants en médecine à Toulouse, en quête d’un revenu pour payer leurs études, y racontent leur marathon permanent au service du client sous la pression des managers.

Cet article a initialement été publié dans la Revue Z (voir ci-dessous).

Rebecca  : On avait besoin d’un peu d’argent, on ne trouvait pas de boulot ailleurs. Chez Chronodrive, c’était facile. J’ai postulé par Internet. À l’entretien d’embauche, ils nous ont dit qu’il fallait être disponible le samedi, avoir de l’énergie, le sens du relationnel. On te propose un CDI d’office et tu choisis le nombre d’heures que tu veux. J’ai pris dix heures par semaine. Les employés sont tous très jeunes, il y a beaucoup d’étudiants.

Le premier jour, les responsables de secteur étaient sympathiques, c’était très « On forme une grande famille ». Ils se présentent par leur prénom, on se tutoie tous. Ils te rassurent : « On sait que vous n’allez pas être rapide, ne vous inquiétez pas, faites à votre rythme. »

J’ai découvert mon lieu de travail, un grand hangar avec des alignements d’étagères numérotées et des niveaux, numérotés également. Une sorte de supermarché sans clients. Moi, je travaillais au frais, à trois degrés. Ils nous ont donné un bonnet et des gants. Il faisait froid, j’étais un peu surprise. Après je me suis mieux habillée.

 

« La montre-écran au poignet, ça leur permet de t’identifier »

Le matin, tu mets ta montre-écran à ton poignet, une sorte de petit ordinateur. Tu fais ton code. Ça leur permet de t’identifier, c’est comme si tu pointais. Là, la première commande s’affiche, avec le nombre d’articles. Tu ne connais pas la nature des articles que tu vas chercher. Juste un chiffre qui correspond à un emplacement. Tu as un numéro pour le rayon, un autre pour l’étagère, un autre pour le niveau. Tu mets trois ou quatre articles par sac dans une caisse en plastique puis dans un chariot roulant. Ça peut être très lourd.

L’objectif, c’est d’aller le plus vite possible, pour que le client ait ses courses dans son coffre rapidement. Le lendemain, tu as ton classement sur un grand tableau : ton nom, ton prénom et ton score. Les trois premiers classés sont surlignés d’une couleur, les trois derniers d’une autre couleur. C’est un score de productivité, calculé selon le nombre d’articles scannés en une minute et le nombre de commandes par jour.

Au début ils te disent : « Tu fais les commandes comme tu peux. » Ensuite tu comprends qu’il faut courir si tu ne veux pas te faire engueuler. Dès que tu ne cours pas, le chef te voit. Il est à un angle de mur derrière une vitre, dans un bureau, et il crie dans son micro : « Rebecca je te vois, tu cours pas, là. Dépêche-toi ! » Il n’y a pas d’horloge, et j’ai même eu droit à des remarques uniquement parce que je regardais ma montre ! Les ordres t’arrivent par un haut-parleur dans le frigo géant. Tous les autres l’entendent.

 

J’ai commencé à me faire punir.

On ne m’avait pas dit que ce serait aussi physique. Même après plusieurs jours, je suis restée dans les dernières. J’ai commencé à me faire punir. Je n’avais plus le droit de parler avec mes collègues. Et puis ensuite ils m’ont supprimé ma pause pipi. Et pour moi c’est difficile de ne pas aller aux toilettes pendant trois heures ! Ma punition c’était aussi la mise en rayons. Il fallait mettre des cartons remplis de boîtes de conserve sur les étagères. On était quatre à le faire avec un seul escabeau. À la fin je ne faisais que ça. Physiquement c’était très dur. Quand on n’est pas bon, on n’a pas le choix. Mais entre nuls on s’entraide, parfois des collègues me filaient un coup de main.

 

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Commentaires   

 
0 #2 LaRage 27-10-2015 15:07
À voir « La loi du marché » avec le catholique Vincent Lindon, fils de Benichou

Superbe film cela dit.
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0 #1 Mike Deschamps 27-10-2015 11:40
La violence du monde marchand est sans limite. On tue, on humilie, on asservit pour lui afin de lui faire gagner toujours plus de "faux" argents.
J'ai déjà vu ce genre de chose dans des entrepots où j'ai pu travailler. Les employés d'entrepot sont beaucoup moins bien considérés que les employés de bureau. Ces derniers ne peuvent pas parler, même pour dire "bonjour". On les fait bosser quelquefois en temps supplémentaire pendant les employés de bureau passe une partie de leurs temps à raconter ce qu'ils ont de leurs fins de semaine. Les employés de bureau perdent un temps fou à parler de leurs trucs perso pendant que les autres sont obligés de travailler dans des conditions indignes.
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