04.04.2015 - Au-delà de la fabrication du consentement

Des lecteurs et d’autres personnes me demandent encore parfois ce que je pense du texte de Edward S. Herman et Noam Chomsky paru en 1988, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media [La fabrication du consentement: de la propagande médiatique en démocratie*]. Ma réponse est toujours la même: c’est une étude indispensable, classique, et célèbre à juste titre, du rôle des médias de masse aux États-Unis en tant qu’organes de propagande pour l’établissement de cette nation impériale.

Pour nombre d’entre nous, à gauche, Manufacturing Consent a été un ouvrage révélateur, un de ceux qui ont considérablement modifié notre compréhension de comment et pourquoi les médias états-uniens traditionnels s’acquittent de cette fonction. Le livre a été particulièrement éclairant pour moi sur le rôle crucial joué par l’aile libérale de gauche (si peu) de ces médias – en particulier le New York Times – dans la définition des critères impériaux étroits définissant ce qui est acceptable en termes de débat politiquement correct pour les classes éduquées de la nation.

Au-delà des dernières nouvelles

Still, Herman et Chomsky n’avaient pas la prétention de donner quelque chose de plus aux lecteurs qu’une prise et une ouverture modeste sur les médias US dominants, y compris sur leur rôle au service du pouvoir. La brillante analyse du contenu et du modèle de propagande que Herman et Chomsky ont développée dans Manufacturing Consent se concentrait sur la manière dont les médias ont rapporté et commenté des sujets de politique étrangère états-unienne (l’Empire américain). Le même modèle de base et la même analyse peuvent et doivent être adaptés et appliqués à la politique intérieure et à la société des États-Unis (et en effet, cela a été fait dans de nombreux écrits depuis lors, y compris ceux de Herman et Chomsky). Les principales entreprises capitalistes de presse aux États-Unis ne sont évidemment pas moins déterminées à promouvoir les structures et les idéologies oppressives de la patrie qu’elles ne le sont pour diffuser les politiques et la propagandes impériales qui leur sont liées.

En même temps, Manufacturing Consent n’a pas étudié ce qui est probablement la plus grande contribution des médias industriels états-uniens à l’ingénierie du  consentement de masse. Cette fonction des médias, la transmission d’une idéologie et d’une propagande au service de ceux qui sont au sommet des hiérarchies interdépendantes de l’empire et de l’inégalité ne se limite pas aux informations. Aussi importants, sinon plus encore, dans l’accomplissement de cette mission, il y a les médias de divertissement. Loin de limiter la puissance de leur influence sur les cœurs et les esprits aux tâches à la Huxley (Aldous) de diversion, de distraction et d’infantilisation, les films états-uniens (tout comme les sit-coms, les séries et les jeux vidéo) sont porteurs d’un riche contenu politique et idéologique orwellien. Comme l’a expliqué Bennett C. Clark de la Cour d’appel, confirmant l’inculpation de dix scénaristes et réalisateurs de Hollywood qui avaient refusé de confesser leur appartenance présente ou passée au Parti communiste en 1949, les films américains jouent «un rôle crucial» en tant que «puissant moyen de diffusion de la propagande». On pourrait dire exactement la même chose six décennies plus tard de la télévision états-unienne, de ses sit-coms, de ses séries, de ses reality shows, de ses talk shows, et même des publicités, et de l’industrie du cinéma, sans parler des jeux vidéo et d’une grande partie des livres et des magazines.

La fabrique de l’idiotie et de la cruauté

Mais même cette extension de notre compréhension du rôle autoritaire des médias de masse états-uniens dans la (pas si) démocratique Amérique ne suffit pas. Vue dans son ensemble, son impact foisonnant et délivré sous de multiples facettes, la mission des médias est pire que la seule production du consentement de masse. Le véritable objectif est la construction de l’idiotie de masse – la fabrication d’idiots. Ici, j’utilise les mots idiotie et idiot dans le sens originel grec et athénien, un sens qui ne renvoie pas à la stupidité mais plutôt à un égoïsme infantile et à une indifférence délibérée pour les affaires et les préoccupations publiques.

 

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