08.12.2014 - La Russie vient de porter un coup dévastateur à l'avenir énergétique de l'Union Européenne

L’observation des réactions à l’annulation du projet South Stream a été jubilatoire, mais elle nécessite d’être expliquée très attentivement. Afin de comprendre ce qui est arrivé, il est d’abord utile de revenir sur la façon dont les relations russo-européennes se sont développées au cours des années 1990.

À l’époque, il ne faisait aucun doute que la Russie deviendrait le grand fournisseur d’énergie et de matières premières de l’Europe. C’était la période de la grande ruée vers le gaz, quand les Européens anticipaient des fournitures russes illimitées et infinies. L’accroissement du rôle du gaz russe dans le mélange énergétique européen a permis à l’Europe de se défaire de son industrie au charbon, de diminuer ainsi ses émissions de CO2 et par ailleurs d’intimider et donner des leçons au monde entier, pour qu’il fasse pareil.

Cependant, les Européens n’imaginaient pas que la Russie ne leur fournirait que de l’énergie. Ils croyaient fermement que cette énergie russe serait extraite pour eux, et par les sociétés énergétiques occidentales. Après tout, c’était la tendance générale dans la plupart des pays en cours de développement. L’Union européenne qualifie cette méthode de sécurité énergétique (un euphémisme pour justifier l’extraction énergétique dans d’autres pays, sous le contrôle de ses propres entreprises).

Mais cela ne s’est pas passé ainsi. Bien que l’industrie pétrolière russe ait été privatisée, elle est néanmoins restée principalement entre les mains de Russes. En 2000, peu après l’arrivée de Poutine au pouvoir, la tendance de privatiser l’industrie pétrolière s’est inversée. Une des principales raisons de la colère de l’Ouest a été l’arrestation de Khodorkovski, la fermeture de Ioukos, puis le transfert de ses actifs à la société pétrolière d’État Rosneft, marquant ainsi l’inversion de la politique de privatisation de l’industrie pétrolière.

Dans l’industrie gazière, le processus de privatisation n’a jamais vraiment démarré. Les exportations de gaz ont continué à être contrôlées par Gazprom, préservant sa position de monopole d’État dans l’exportation de gaz. Depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir, la position de Gazprom comme monopole d’État a été complètement sécurisée.

Une grande partie de la colère de l’Ouest à l’égard de Poutine s’explique par le ressentiment européen et occidental, de son refus, ainsi que de celui du gouvernement russe, d’éclater les monopoles énergétiques russes et d’ouvrir (c’est un euphémisme) l’industrie aux avantages des entreprises occidentales.

Un bon nombre d’allégations de corruption, portées régulièrement contre Poutine personnellement, ne sont destinées qu’à insinuer qu’il s’oppose à l’ouverture de l’industrie russe de l’énergie, ainsi qu’à l’éclatement et à la privatisation de Gazprom et de Rosneft, parce qu’il a un intérêt personnel investi en eux, et, dans le cas de Gazprom, qu’il en est en fait le propriétaire. Si l’on examine en détail les allégations spécifiques de corruption portées contre Poutine (comme je l’ai fait), cela devient évident.

L’ordre du jour visant à forcer la Russie à privatiser et à briser ses monopoles énergétiques n’a jamais disparu. C’est pourquoi Gazprom, malgré le service essentiel et fiable qu’elle assure à ses clients européens, est assujettie à tant de critiques. Quand les Européens se plaignent de la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie, ils expriment leur ressentiment d’avoir à acheter du gaz à une seule société d’État russe (Gazprom), et non pas aux sociétés occidentales opérant en Russie.

Ce ressentiment est lié à la conviction, très ancrée en Europe, que la Russie est, en quelque sorte, dépendante de l’Europe, aussi bien comme client énergétique, que comme fournisseur de finances et de technologie.

C’est cette combinaison de ressentiment et d’excès de confiance qui se cache derrière les tentatives européennes répétées de légiférer sur les questions énergétiques, afin de forcer la Russie à ouvrir son secteur de l’énergie.

La première tentative a été ladite Charte de l’énergie, que la Russie a signée, mais a finalement refusé de ratifier. La dernière tentative de l’Union européenne était ledit Troisième paquet énergie. Ce paquet a été présenté comme un développement de la loi anti-concurrence et anti-monopole de l’Union européenne. En réalité, comme chacun le sait, il s’adressait à Gazprom, qui est un monopole, mais bien évidemment pas européen.

Tel est l’arrière-plan du conflit sur South Stream. Les autorités de l’Union européenne ont insisté pour que South Stream se conforme au troisième paquet énergie [1], bien que celui-ci n’ait vu le jour qu’après que les accords-cadres ont été conclus.

Conformément au troisième paquet énergie, Gazprom devait fournir le gaz, mais n’aurait eu ni la propriété de celui-ci, ni le contrôle du gazoduc destiné à l’acheminement.

Si Gazprom avait accepté cela, il aurait reconnu de fait l’autorité de l’Union européenne sur ses opérations, ce qui aurait constitué, sans aucun doute, le précédent d’une série de futures exigences de changement de ses méthodes d’opération. En fin de compte, cela conduirait à des exigences de changement dans les structures de l’industrie de l’énergie, en Russie même.

Ce qui vient d’arriver est que les Russes ont dit non. Plutôt que de poursuivre le projet en se soumettant aux exigences européennes, comme s’y attendaient les Européens, les Russes, à l’étonnement de tout le monde, se sont retirés de l’ensemble du projet.

Cette décision était complètement inattendue. Alors que j’écris cet article, l’air est surchargé de plaintes colériques de la part des pays de l’Europe du Sud-est, qui n’ont pas été consultés, ni même informés à l’avance de cette décision. Plusieurs hommes politiques en Europe du Sud-Est (Bulgarie en particulier) s’accrochent désespérément à l’idée que l’annonce russe n’est qu’un bluff (ça ne l’est pas) et que le projet peut encore être sauvé. Du fait que les Européens s’agrippaient à l’idée d’être la seule alternative comme clients pour les Russes, ils ont été incapables de prévoir cette décision et ils sont maintenant incapables de l’expliquer.

Lire la suite sur vineyardsaker.fr

Ajouter un Commentaire

Veuillez noter que votre commentaire n'apparaîtra qu'après avoir été validé par un administrateur du site. Attention : Cet espace est réservé à la mise en perspective des articles et vidéos du site. Ne seront donc acceptés que les commentaires argumentés et constructifs rédigés dans un français correct. Aucune forme de haine ou de violence ne sera tolérée.


Code de sécurité
Rafraîchir