lundi, 03 aout 2015 10:45

Le pouvoir fédéral de dépenser

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Juriste Curé

Les éditions Yvon Blais, propriété de Thomson Reuters et bien connues dans l’univers du droit, ont publié récemment un ouvrage sur le pouvoir fédéral de dépenser (une façon élégante de nommer l’empiétement du gouvernement fédéral sur les compétences provinciales).

L’auteur, Marc-André Turcotte, réutilise sa thèse qu’il avait présentée en 2012 à l’Université Laval. Nous ne sommes évidemment pas ici dans le divertissement, mais l’idée défendue est loin d’être monotone. Il se peut même que le sort du Canada, du Québec, de son indépendance, s’appuie un jour sur sa thèse… J’y reviens à la fin du texte. Pour l’instant, la revue du livre…

L’argumentaire de monsieur Turcotte commence effrontément par une citation de la commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels de 1956 :

« Le fédéralisme a pour idéal non l’unification, mais l’union, non pas l’assimilation, mais l’association, non pas l’uniformité, mais la variété, non pas la standardisation, mais la vitalité de tous les membres du corps social et politique. »

Autrement dit, le fédéralisme canadien n’a rien d’un fédéralisme, selon la définition même que les institutions canadiennes lui ont donnée.

L’auteur le dit lui-même : «Si les autorités locales sont subordonnées aux autorités centrales, on ne peut parler d’une véritable fédération.[…] En attachant les provinces à Ottawa, le pouvoir fédéral de dépenser menace sérieusement l’équilibre fédératif. ­­[…] Tant que cette question [le pouvoir fédéral de dépenser] ne sera pas réglée, la crise du fédéralisme perdurera

Au Québec, dit-il, une part de l’attachement au Canada provient, à tort ou à raison, d’une croyance au vrai fédéralisme qui laisse une part importante d’autonomie aux différents États qui le composent. Autonomie d’état qui, pour le Québec, sécurise quant à la survie de la culture francophone. Ce qui mène l’auteur à poser implicitement la question à savoir, si le Canada n’a plus rien d’une fédération, à quoi sert le Canada pour le Québec ? [I]

L’auteur nous rappelle que c’est avec les États-Unis d’Amérique qu’a commencé l’histoire moderne du fédéralisme. En effet, « à partir de 1787, [année de l’acceptation de la constitution américaine], le modèle fédéral n’a cessé de gagner du terrain et s’est progressivement diffusé à point tel qu’aujourd’hui, dans le monde, il représente une structure de gouvernance fort répandue. » Aujourd’hui, pratiquement toutes les fédérations piétinent les compétences des états provinciaux avec le pouvoir fédéral de dépenser… Les fédérations ne délèguent plus le pouvoir de dépenser, et pour cause, il en va parfois de la survie de l’unité du pays.

Au final, on comprend que le fédéralisme incarne la fondation du Canada et le pouvoir fédéral de dépenser, le ciment qui bouche les nombreux trous et imperfections dans la fondation, permettant au passage à la maison de ne pas s’effondrer.


Le pouvoir fédéral de dépenser serait-il anticonstitutionnel ?

L’auteur ne révèle jamais sa solution, mais celles des autres. Il explique ce qui se passerait dans l’éventualité de chaque solution. Par un processus d’élimination, il affirme que la seule possibilité de préserver des échanges entre les provinces et le gouvernement canadien (le fédéralisme), la seule possibilité de garder une pertinence aux pouvoirs législatifs des provinces, est d’encadrer le pouvoir fédéral de dépenser pour que les compétences provinciales soient respectées. Et la seule possibilité de l’encadrer est de passer par les tribunaux. L’auteur est conscient des faiblesses qu’implique cette possibilité, il ne l’utiliserait pas forcément, mais il s’agit de la seule façon de sortir de l’impasse dans laquelle « la fédération » est vautrée, affirme-t-il.

En constatant qu’il essayait visiblement d’éviter les zones dangereuses dans lesquelles son argumentaire aurait pu le mener s’il avait poursuivi le raisonnement jusqu’au bout – son statut professionnel ne lui permettait sans doute pas –, je me suis essayé à le terminer. De là, le titre « revue littéraire non autorisée ».  Pour moi – Marc-André Turcotte l’effleure aussi – le simple fait d’amener la question devant la Cour Suprême impliquerait de donner aux tribunaux le pouvoir de s’exprimer sur une question de nature politique…

Veut-on vraiment que ce soit les juges qui décident de l’avenir politique d’un pays ?[II]

Leur jugement serait-il davantage légitime ? Ne s’agit-il pas là d’une question qui ressort du domaine politique ? C’est-à-dire que celui qui a été désigné comme le chef d’État, de manière démocratique ou non, devrait avoir le droit de prendre les décisions qu’il veut pour ensuite en assumer les conséquences (manifestations, défaite à l’élection suivante, coup d’État, renversement, gloire, etc.) Le juge de la Cour suprême, lui, ne risque rien. Au pire, bien après sa décision, il peut se faire remplacer sur une décision du premier ministre. Mais c’est impossible pour un seul premier ministre de tous les remplacer…

Je n’aime pas le gouvernement fédéral, je n’aime pas la constitution canadienne et Dieu seul sait à quel point je déteste la Charte canadienne des droits et libertés. À ma connaissance, seule la Charte des Nations-Unies arrive à la devancer en termes de quantité de tromperies et d’impostures (les deux imposent l’excès de droit des minorités à la majorité). Mais je ne suis pas sûr de leur préférer des décisions politiques prises par les juges de la Cour Suprême.

Si je dis que le sort du Canada, du Québec et de son indépendance s’appuiera peut-être sur la thèse de Marc-André Turcotte, c’est que j’ai abandonné presque tout espoir de voir le Québec devenir indépendant via une réussite politique québécoise. Celle-ci est confinée au statu quo tant que la démocratie représentative l’organisera. Le peuple, contrairement à ce qu’invoquent les mensonges de la philosophie libérale, humaniste, issue des Lumières, maçonnique, rotarienne –quintuple pléonasme –, n’a jamais fait de révolution spontanément. À chaque fois, « on l’a agité avant de s’en servir », comme le rappelait Talleyrand. Je serais plutôt porté à penser que l’indépendance, si elle se réalise, se fera suite à un échec de l’État canadien. Pourquoi pas par une lente implosion de l’État canadien causé par le pouvoir juridique ? La question du pouvoir de dépenser amenée devant la Cour suprême, ne serait-ce que par une province appuyée par de riches et puissants conglomérats, n’est pas impossible. Il n’est pas impossible non plus que dans un contexte particulier, se référant à la constitution qui favorise un équilibre du partage des pouvoirs, les juges déclarent anticonstitutionnel le pouvoir fédéral de dépenser tel qu’il s’applique présentement. Enfin… Si je faisais partie de ceux qui désirent diviser l’État canadien, voire le démanteler, pour encore mieux le soumettre au Nouvel Ordre Mondial (processus d’ailleurs déjà très avancé), c’est par cette faille que je commencerais.

P.S. Mon idéal demeure toujours l’indépendance du Québec, mais dans le contexte actuel, ma raison, appuyée par des arguments de nature géopolitique et stratégique, doute de plus en plus de son bien-fondé.

N.B. La conclusion de cet écrit a été fortement inspirée des travaux de Pierre Hillard. D’un point de vue mondialiste, ce qui est bon pour l’Europe et le Moyen-Orient (voir les démonstrations d’Hillard) est bon aussi pour l’Amérique, comme le montre la carte des nations américaines ci-dessous (carte de Colin Woodard relayée par le Washington Post le 8 novembre 2013) :




 Le pouvoir fédéral de dépenser - Marc-André Turcotte - Editions Yvon Blais (2015)



[I] Tous les premiers ministres québécois depuis Maurice Duplessis ont pesté avec fermeté contre le pouvoir fédéral de dépenser. Même Pierre-Elliot Trudeau, ce monsieur Canada, à l’époque (1951) où il n’était pas encore politicien, mais bien enseignant de droit à l’Université de Montréal, donnait raison à son pire ennemi politique, Maurice Duplessis, quant à la dénonciation du pouvoir fédéral de dépenser dans le domaine de l’éducation, arguant que le pouvoir fédéral de dépenser était une « taxation without responsability », la responsabilité incombant évidemment aux provinces. Mais aucun gouvernement québécois n’a amené le cas devant les tribunaux, puisque les juges – tous nommés par le gouvernement fédéral – n’émettront jamais de jugement en défaveur du pays qu’ils servent. Le gouvernement canadien lui non plus n’a jamais mené ce combat devant les tribunaux, puisqu’il pourrait restreindre ne serait-ce que légèrement son pouvoir de dépenser, ou pire encore, le déclarer inconstitutionnel.

[II] La Cour suprême s’est toujours refusée à se prononcer directement sur la question de la constitutionnalité du pouvoir d’empiéter sur les juridictions provinciales (pouvoir fédéral de dépenser) prétextant bien souvent qu’il s’agissait d’une question fiscale donc législative (pouvoir traditionnellement accordé au parlement) et ne relevait donc pas d’une question constitutionnelle. Soit elle a évité de répondre, soit elle a rendu des jugements sommaires. Vu que le fédéral l’a pratiquement toujours fait, ça a créé une sorte de jurisprudence tacite en faveur du fédéral. Cette abstention ressemble à une peur d’y répondre, sachant très bien que l’unité canadienne serait mise à mal.

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