dimanche, 24 aout 2014 04:07

Henri Bourassa - Vers les sources françaises

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Henri Bourassa (né Joseph Henry Napoléon le 1er septembre 1868 à Montréal, mort le 31 août 1952 à Montréal) est un journaliste et homme politique québécois qui a agi tant sur les scènes canadienne que provinciale.

Fondateur du quotidien Le Devoir en 1910, il est reconnu pour son désir d'émanciper le Canada de l'impérialisme britannique, ainsi que pour sa défense des droits des Canadiens français.

 

"..Le deuxième élément nécessaire à la conservation de la langue, c'est de l'alimenter sans cesse à la source d'où elle provient, à la seule source où elle puisse entretenir sa vitalité et sa pureté, c'est- à-dire en France.

Vous avez entendu à ce sujet des discours trop éloquents, des études trop bien faites, pour que je m'y attarde. Qu'on me permette simplement de toucher en passant à la question souvent agitée peut-être plus dans le milieu discret des maisons d'enseignement que dans le grand public- du danger que nous courons pour notre foi et notre moralité. à cause du dévergondage de la littérature française contemporaine. A cette crainte je ferai une première objection, qui n'est pas philosophique, je l'avoue, mais qui ne manque peut être pas d'un certain bon sens ; c'est que, si, par crainte du poison, on cesse de se nourrir, on meurt de faim, ce qui est une façon toute aussi sure que l'autre d'aller au cimetière. Si nous laissons dépérir la langue, faute de l'alimenter à sa véritable source, elle disparaitra ; et si la langue périt, l'âme nationale périra: et si l'Ame nationale périt, la foi périra également.

 

D'ailleurs, le danger de l'empoisonnement est-il si grand ? Si, dans la littérature française contemporaine, le poison n'est pas ménagé, est-il nécessaire d'ajouter que le contrepoison y surabonde? Au lieu de chercher à fermer la porte aux oeuvres littéraires françaises. afin d'empêcher les oeuvres mauvaises de passer, ouvrons-la plutôt toute grande à ce qu'il y a d'admirable, de généreux, d'idéaliste, de fort, de grand, dans cette production éternelle du génie français, dont il semble que Dieu ait voulu faire, dans l'ordre intellectuel, la continuation du génie grec, et dans l'ordre moral, le foyer principal de la pensée chrétienne et de tous les apostolats généreux.

 

Mais, dira-t-on, il peut y avoir danger au point de vue de l'unité nationale. Cette alimentation aux sources de la pensée française peut entretenir chez les Canadiens français des arrière-pensées, des sentiments de regret; les isoler de l'empire britannique et même de la Confédération canadienne. Ceux qui parlent ainsi prouvent qu'ils ignorent les premiers éléments de l'histoire d'Amérique, et qu'ils ignorent aussi le coeur humain.

 

Prétendre qu'en allant puiser à cette source de lumière intellectuelle qu'est la France, ou encore qu'en allant chercher l'alimentation nécessaire à sa langue, le Canadien français va devenir plus français, ou moins britannique et moins canadien., est à peu près aussi sensé que de croire que l'Américain cultivé a des arrière- pensées de retour à la Couronne d'Angleterre, parce qu'il continue à lire Shakespeare ou Thackeray, au lieu d'alimenter sa pensée clans la littérature des dime norels qui inondent les trains de chemins de fer aux Etats-Unis. L'Américain instruit est aujourd'hui plus anglais, intellectuellement, qu'il ne l'était il y a vingt-cinq ans.

 

Il a compris que s'il peut, a lui seul, produire des œuvres matérielles gigantesques, développer d'une manière vraiment étonnante son territoire, son industrie et son commerce : s'il peut stupéfier le monde par sa vitalité politique, industrielle et commerciale, il ne peut pas ignorer quinze siècles de civilisation britannique, d'où il a tiré le meilleur de son sang et de sa pensée. En est-il moins Américain, moins dévoué à sa magnifique patrie?

 

De même, le Canadien français comprend que si sa langue ne doit pas devenir pour lui une langue morte ou un patois, comme on la classe dans les boutiques de parisian french de Toronto, elle doit continuer à s'alimenter dans la patrie où elle s'est formée..."

Source : Henri Bourassa - La langue française et l'avenir de notre race

 

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