samedi, 07 mars 2015 06:18

Michel Clouscard - Les trois moments constitutifs du marché du désir

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Michel Clouscard, né en 1928 à Montpinier et mort le 21 février 2009 à Gaillac, est un sociologue et philosophe français. Proche du Parti communiste français, il est notamment connu pour sa critique du libéralisme libertaire en tant que stade actuel du capitalisme.

 

"...La prostituée est la marchandise idéale du marché du désir. Elle ne coûte rien, au marchand, à l'entremetteur, au souteneur, au taulier. La matière première - la chair — est inépuisable, toujours renouvelée, toujours disponible. Il suffit de la mettre en valeur, en plus value. Elle ne nécessite aucun investissement en main d'oeuvre ou équipement. Mais cette marchandise qui ne coûte rien peut rapporter beaucoup.

La prostitution est une bien mauvaise affaire pour la femme : si nous avons, en termes de méthodologie, renvoyé dos à dos le plus vieux et le dernier métier, c'est pour mieux préciser le genre d'aliénation dont la femme est victime. C'est une réification, une aliénation, une servitude.

Le marché du désir est l'envers de l'économie politique. Il révèle ce qui doit être exclu pour constituer l'économie politique licite et normative. C'est le marché qui décide de l'interdit. C'est qu'il doit exclure la marchandise prostitutionnelle. Alors, il peut se déployer dans l'espace du sérieux, de la production, du besoin : l'économie politique des économistes anglais et... de Marx.

Mais la marchandise prostitutionnelle n'est pas pour autant rejetée et anéantie, abolie ou dépassée. Tout au contraire : elle se fait clandestine, une autre économie, souterraine, celle qui se constitue par l'engendrement réciproque de l'incivisme et du consumérisme. Elle constitue 1'inconscient : ce qu'il ne faut pas savoir, qui doit même être nié, pour que la production matérielle puisse se développer. Alors se constituent deux univers parallèles qui doivent s'ignorer. Celui du marché licite, de l'économie domestique, qui commence aux Pénates, se développe sous la direction de la matrone et de la ménagère de moins de cinquante ans et qui s'achève par l'accession aux biens d'équipement des ménages qui peuvent même atteindre le confort. En dessous, le marché de la consommation mondaine, ludique, libidinale, marginale.

Celui que vous avez défini dans « Le Capitalisme de la Séduction » ?

En effet, « Le Capitalisme de la Séduction » est l'analyse du développement du libéralisme libertaire. Et de cette caractéristique nouvelle : le libéralisme libertaire accède à deux systèmes de profit. C'est une opération dialectique qui révèle et accomplit l'essence du capitalisme.

Première opération : exclusion, contradiction. C'est la mise en place de la dualité des deux économies politiques, comme contradiction de la prostituée et de la femme honnête. C'est la constitution du « marché du vice » et du marché de la vie domestique. Deux univers juxtaposés, la double vie de la marchandise.

Deuxième opération : l'inclusion, la réintroduction de ce qui a été « refoulé », rejeté. C'est l'ordre social lui-même qui se fait le vecteur de cette opération. Ce n'est plus la contradiction du vice et de la vertu ; ce sera l'engendrement réciproque du narcissisme et de l'économie de marché.

Ces deux opérations constituent la légalité, la légitimité, le normatif: le prostitutionnel n'est-il pas écarté, la marchandise prostitutionnelle exclue ? L'hypocrisie se fait mauvaise foi — sartrienne - et économie de marché. Ainsi se constituent la conscience et le marché. La religion et la morale seront les traductions idéologiques de cette constitution originelle de la marchandise. Mais l'économie politique, en donnant un prix à chaque chose crée aussi la chose sans prix, donc hors marché. Il y aura la femme qui a son prix et « l'honnête femme » qui prend la valeur de ce qui n'a pas de prix.

C'est dans cet univers que Narcisse doit vivre le mimétisme concurrentiel : sa consommation libidinale, ludique, marginale doit s'accomplir selon la transgression constitutive du marché du désir..."

 

Source : Michel Clouscard - Refondation progressiste face à la contre-révolution

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