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"Memo Secret" d'Ottawa: Le rôle du Canada dans le coup d'État d'Haïti de février 2004

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Traduction par Le Bonnet des Patriotes

Anthony Fenton et Dru Oja Jay

Global Research, 10 avril 2006

 

Partie I. Les fonctionnaires canadiens avaient prévu une intervention  militaire des semaines avant le coup d'état d'Haïti

Des mémos confidentiels obtenus par The Dominion grâce à la loi d’Accès à l’information soulèvent de nouvelles questions sur l'ampleur de la participation du Canada dans le coup d'Etat de 2004 contre le président démocratiquement élu Jean-Bertrand Aristide en Haïti.

Neuf jours avant le coup du 29 février qui a renversé Aristide et des milliers d'élus, l'ex-ministre Denis Coderre avait dit à la presse canadienne : « il est clair que nous ne voulons pas la tête d'Aristide; nous croyons qu'Aristide devrait rester ».

Dans le même article, le ministre des Affaires étrangères d'alors, Bill Graham, a affirmé que le Canada cherchait à faire pression sur Aristide pour qu'il adopte une série de mesures visant à donner à l'opposition plus de pouvoir au sein du gouvernement.

Neuf jours plus tôt, le 11 février, l'ambassadeur du Canada Kenneth Cook avait envoyé une note portant la mention « Confidentiel » au Bureau du Conseil privé ainsi qu’au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international intitulé « Rencontre avec l'Ambassadeur des États-Unis ». Son contenu suggère que le Canada planifiait l'élimination du gouvernement Aristide alors que des responsables avaient affirmé publiquement qu'ils tentaient de parvenir à un accord pacifique.

Cook avait écrit:

« La situation que nous vivons est non seulement celle d'une lutte pour le pouvoir, mais elle implique aussi une crise humanitaire et le potentiel de changer de façon permanente le cours de l'histoire haïtienne. Le président Aristide est clairement un facteur aggravant important dans la crise actuelle et à moins qu'il ne donne des preuves qu'il met en œuvre la feuille de route de la CARICOM, alors l'OEA, la CARICOM et peut-être les Nations Unies devront examiner les options, y compris s’il est viable de chercher à remplir le devoir de protection. »

Une grande partie de la note, qui traite des plans spécifiques pour une intervention militaire, est expurgée. Sur la période demandée, du 5 février au 15 mars 2004, la portion du 20 février au 15 mars a été omise sans explication.

Le « devoir de protection » est un autre terme désignant la controversée doctrine de la « responsabilité de protéger » (R2P), qui a été adoptée en tant que doctrine internationale sans vote par l'Assemblée générale de l'ONU lors du Sommet mondial de l'ONU en septembre 2005. Les pays comme Cuba et le Vénézuela se sont fermement opposés à la doctrine, en disant qu'elle donnait aux pays puissants la liberté d'intervenir quand ils décidaient qu'un état avait « échoué ».

Parmi les Canadiens connus impliqués dans l'élaboration de la doctrine R2P figurent Michael Ignatieff et Lloyd Axworthy. Dans ses écrits, l'ex-universitaire Ignatieff devenu politicien a fait l'éloge des États-Unis comme étant un « Empire Lite », et soutenu la guerre menée par les USA en Irak. Axworthy était ministre des Affaires étrangères du Canada en 2000 lorsque des sanctions économiques ont été imposées contre le gouvernement démocratiquement élu d'Haïti.

La doctrine R2P a élaboré un cadre pour des « critères de seuil d'intervention militaire », sous le couvert de « l'intervention humanitaire pour la protection des populations ». En vertu des principes fondamentaux élaborés dans cette doctrine, « le principe de non-intervention cède à de la responsabilité internationale de protéger ».

Deux « principes de précaution » de la R2P se démarquent. Tout d'abord, que « l'objectif principal de l'intervention... doit être de faire cesser ou de prévenir la souffrance humaine », et, deuxièmement, que l'intervention militaire ne doit être utilisée qu'en dernier recours. « L'intervention militaire ne peut être justifiée lorsque toutes les options non militaires... ont été explorées ».

Dans le cas d’Haïti, des preuves substantielles suggèrent que la crise utilisée par l'ambassadeur Cook pour invoquer la R2P a été elle-même initiée par le Département d'état étasunien et d'autres organismes étasuniens et canadiens. Les « organisations de la société civile » financées par les États-Unis, le Canada et l'Union européenne, bien qu'elles manquaient de soutien populaire, ont sans cesse exigé qu'Aristide démissionne et que  soient accordés à leurs représentants des postes clés au sein du gouvernement. Les diplomates étasuniens, canadiens et français ont insisté sur le soutien de l'opposition à tout accord de partage du pouvoir. Certains critiques affirment que les trois gouvernements savaient que l'opposition ne voulait pas accepter un accord autre que celui qui leur donnerait le contrôle.

Selon de nombreux rapports, l'intervention elle-même, justifiée dans des notes par la doctrine R2P, a eu pour effet de multiplier et d'aggraver la crise humanitaire. Un rapport d'avril 2004 sur les droits de l'Homme établi par la Guilde nationale des avocats (NLG) a constaté que « la force multinationale de 3,600 soldats ... n’agissait pas quand il s’agissait de protéger les partisans du président Aristide ou empêcher les meurtres, les enlèvements et incendies criminels visant ses partisans ».

La NLG a rencontré le Directeur de la Morgue d'état à Port-au-Prince, et a indiqué que « Le Directeur a reconnu que 800 corps ont été « jetés et enterrés » par la Morgue le dimanche 7 mars 2004, et 200 autres autre le dimanche 28 mars 2004. Le nombre « habituel  » est inférieur à 100 par mois.

Un rapport de la Harvard University Law School de mars 2005, « Keeping the Peace in Haïti ? », a soutenu que la force militaire de l'ONU, la MINUSTAH, « a effectivement fourni une couverture pour la police lui permettant de mener une campagne de terreur dans les bidonvilles de Port-au-Prince ». Après avoir vu des preuves d'une fosse commune, la délégation des droits de l'Homme a découvert que les responsables de la MINUSTAH étaient au courant, mais ne voulaient pas enquêter sur la « tombe clandestine ». Le commissaire canadien David Beer de la police des Nations Unies (UNPOL), a admis que ces sites étaient « un point de discorde », mais  a déclaré que la tombe trouvée « n'était pas été un cas sous enquête ».

Selon d'autres documents gouvernementaux acquis par The Dominion, Denis Paradis a organisé une réunion en janvier 2003 « dans l'esprit de la responsabilité de protéger ». La table ronde secrète de haut niveau a été surnommée l'Initiative d'Ottawa sur Haïti. Les détails de cette réunion ont été divulgués dans une édition du 15 mars 2003 de l'Actualité, par le journaliste Michel Vastel. Vastel a écrit alors que le thème  « Aristide doit partir », avec la possibilité d'une tutelle sur Haïti « à la Kosovo », a été examiné par les membres des gouvernements canadien, français et étasunien, ainsi que par des représentants de l'Organisation des états américains (OEA).

Dans un effort pour contrôler les dégâts de la fuite dans les médias, le gouvernement canadien a publié un communiqué niant que le changement de régime ou une tutelle aient été discutés lors de cette réunion.

 

Partie II. Le Canada avait des plans pour soutenir un autre coup d'Etat militaire en Haïti ?

Selon les mémos confidentiels obtenus par The Dominion  grâce à une demande d'accès à l'information, les fonctionnaires canadiens ont spéculé sur une collaboration avec l'ancien militaire redouté d'Haïti dans les semaines précédant le coup d'état qui a renversé le président élu Aristide et des milliers d'élus.

Dix-huit jours avant l'intervention militaire, l'ambassadeur du Canada en Haïti, Kenneth Cook, a décrit des groupes paramilitaires qui étaient entrés dans le pays quelques jours plus tôt depuis la République Dominicaine:

« Il y a clairement une main militaire dans la planification des événements insurrectionnels actuels contre le gouvernement, mais il est très difficile de déterminer le potentiel d’assembler une force importante à même les anciennes forces armées. À ce jour, cela n'est pas considéré comme probable, mais si quelqu'un comme le sénateur (ex-Major) Dany Toussaint avec le soutien du colonel Himmler Rebu devait intervenir, le scénario serait tout à fait différent. »

Les mémos fortement censurés acquis par The Dominion laissent un doute quant à l'intention de Cook. Cependant, dans d'autres commentaires de Cook critiquant Aristide au sujet de la crise, l'ambassadeur semble suggérer que l'armée précédente d'Haïti, dirigée par Dany Toussaint, pourrait être utilisée pour mettre fin à la crise. L'intégration ultérieure (post-coup) de la troupe et des officiers de l’ancienne armée dans la Police nationale haïtienne sous la supervision de la GRC accorde plus de crédibilité à cette interprétation.

Toussaint avait été accusé d'implication dans le trafic de drogue, d'avoir des liens avec la CIA et un rôle possible dans l'assassinat du journaliste Jean Dominique. Dans les années 1980, il a reçu une formation au Fort Benning, « l'École des Amériques » de l'État de Géorgie. En 2001, alors membre du Congrès républicain, Porter Goss a écrit au secrétaire d'État Colin Powell que Toussaint était « possiblement lié au trafic de stupéfiants en Haïti, selon un certain nombre d'agences gouvernementales US ».

Interrogé deux jours après le coup d'état contre Aristide, Toussaint a présenté le chef paramilitaire Guy Philippe comme « un brave homme qui a travaillé pour son pays ». Philippe est connu pour ses liens avec le trafic de stupéfiants, son implication présumée dans des meurtres et au moins deux des précédentes tentatives de coup d'Etat contre Aristide, ainsi que pour son affinité avec l'ancien président Ronald Reagan et le dictateur chilien Augusto Pinochet.

Philippe et Toussaint s'étaient présentés à l'élection de 2006, et on récolté quelques votes. Toussaint et Himmler Rebu faisaient de l'agitation pour la « Plate-forme démocratique » financée par les USA et l'UE, exigeant l'éviction d'Aristide.

L'ancien militaire auquel Cook se réfère est largement connu comme étant responsable de violations massives des droits de l'Homme, y compris des assassinats, de torture, de répression politique et de renversement d'un gouvernement démocratiquement élu. L'armée haïtienne a été créée lors de l'occupation militaire étasunienne d'Haïti lors de la Première Guerre mondiale, et dissoute par l'ex-président Aristide en 1994.

Encore une fois en invoquant la « responsabilité de protéger » (R2P), Cook décrit la situation dans le nord d'Haïti. Selon ses sources de renseignement, « le Cap-Haïtien est devenue la scène d'une grande violence, les magasins et les banques sont fermés, ainsi que les stations d'essence. La ville est à toutes fins pratiques isolée ... Une solution devra être trouvée pour éviter une crise humanitaire ». Plusieurs paragraphes sont ensuite censurés, suivis par: « Ceci est un facteur de complication pour tout examen d'options d’une présence policière de stabilisation ici ».

La censure extensive soulève autant de questions qu’il y en a de traitées par les documents. Vingt-cinq jours de documents demandés du 20 février au 15 mars ont simplement été omis sans explication.

Les références de Cook à l'utilisation de la force militaire pour éliminer Aristide, cependant, vont à l'encontre de l'histoire officielle. Neuf jours après la note de Cook, les ministres canadiens Graham et Coderre avaient dit à la presse que le Canada cherchait un règlement pacifique à la crise, qui a été largement initié par des groupes financés par le Canada, les USA et l'UE en Haïti. Ces pays ont soutenu le gouvernement non élu après qu'il ait été imposé, et ont évité de reconnaître les preuves de la répression politique et des atteintes généralisées aux droits humains.

La perspective historique limitée disponible deux ans après le coup d'état soulève également de sérieuses questions sur l'utilisation de la « responsabilité de protéger ». Plutôt que d'éviter une crise, l'intervention militaire étrangère en Haïti est devenue la toile de fond pour une escalade majeure des atrocités, des milliers de morts, des centaines de personnes emprisonnées pour leurs opinions politiques, et des milliers d'autres contraints de se cacher après le coup d'état.

Source : globalresearch.ca

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