jeudi, 17 mars 2016 08:47

La parole à nos lecteurs : Nelly Kanou et la charité bien ordonnée

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Edgar Petrocano

Le 10 septembre 2015, la consule honoraire de la Syrie au Canada et pharmacienne de métier, Nelly Kanou, s’est vue radiée pour un an de l’Ordre des pharmaciens du Québec pour avoir participé à l’exportation illégale de médicaments d’ordonnance vers d’autres pays, principalement la Syrie, entre 2008 et 2011. Tout en plaidant coupable aux accusations, Mme Kanou s’est toutefois défendue devant le syndic de l’Ordre d’avoir agi par vocation humanitaire. Outre un article paru dans La Presse le 10 septembre[i] et de sa traduction maladroite par un site Internet anti-Assad[ii] offensé par cette « contrebande de drogues » (sic), l’histoire s’est vite effacée sous le piétinement des réfugiés « syriens ».

Cui bono? Un profit de 5% sur des ventes de 1.5$M en médicaments sur quatre ans ne représente qu’une bagatelle pour la pharmacienne et sa sœur, une marge que leurs quatre pharmacies montréalaises arrivent à réaliser en quelques jours à peine. Serait-il possible qu’elle ait servi à défier efficacement l’embargo et à assurer le passage sécuritaire des médicaments jusqu’aux pharmacies des hôpitaux syriens, abjectement vides?

Troublante, cette persécution constante du « régime » syrien tandis que le « régime » canadien fait la guerre à la Syrie. En effet, en 2012 le Canada durcit son attitude déjà hostile envers le gouvernement syrien, le blâmant pour l’attaque au gaz sarin survenu à Damas et expulse du Canada tout diplomate syrien (à l’exception de Mme Kanou et un deuxième consul honoraire à Vancouver). En dépit du fait que l’équipe d’inspection onusienne n’avait révélé aucune implication du gouvernement syrien dans l’attaque, de la conclusion des universitaires américains de la réputée MIT que la trajectoire des missiles laissait croire qu’ils provenaient de territoires contrôlés par les rebelles et de la logique voulant que le gouvernement syrien n’avait aucun intérêt à lancer des attaques chimiques durant la visite d’inspecteurs des Nations Unies qu’il accueillait sur son sol, le gouvernement canadien s’est obstiné à blâmer le gouvernement syrien. L’absolution implicite des responsables de cet acte meurtrier, honteuse pour le Canada, s’est inscrite dans une diabolisation du « régime » syrien et en un soutien plus large aux terroristes, que le Canada n’a pas caché, notamment par son soutien aux rebelles « modérées »[iii]. L’illusion de l’existence de factions « modérées » a surtout été nourrie par les médias de masse et gouvernements occidentaux, tous confortables avec la notion ambigüe de milices armées « modérées ». Et pourtant, si l’on se fie au vice-président américain Joe Biden, ces formations « modérées » en Syrie n’ont jamais existé (« there was no moderate middle »).[iv]

L’abandon de la diplomatie, suivi par une prise de position belliqueuse par le gouvernement canadien envers le gouvernement syrien n’exposent rien de moins qu’un projet de coup d’état. Le chaos au Levant a aussi servi au gouvernement canadien de justification pour mener des frappes aériennes en Syrie, sous prétexte de cibler l’autoproclamé État Islamique du Levant. Il est scandaleux qu’avec les Nations Unies et toutes les lois internationales, sans parler d’un sens élémentaire de la moralité, qu’un gouvernement puisse bombarder un pays souverain sans en obtenir l’autorisation, sans avoir à se justifier aux populations dans la ligne de tir et sans avoir à payer des réparations pour les dommages causés. Les États-Unis, la Turquie, Israël, la France, la Jordanie et la Grande-Bretagne sont tous aussi criminels.

S’ajoute à ces crimes l’embargo économique infligé au peuple syrien. Quoiqu’il soit facile d’accepter l’interruption du commerce des armes en zone de guerre, isoler un pays par un embargo sur les médicaments et la nourriture requiert une profonde déficience d’empathie. Nous n’avons qu’à penser à la déclaration psychopathique de Madeleine Albright affirmant que les sanctions ayant causé le décès de plus d’un demi million d’enfants en Iraq « en valait la peine ».[v] Et pourtant, il y a quelques mois à peine, cet ancien secrétaire d’état a avoué que « l’Irak est le plus grand désastre dans l’histoire des États-Unis ».[vi] Triste repentir.

Aujourd’hui, nos regards sont tournés vers les réfugiés qui intègrent nos communautés, épuisés et portant leur douleur. Nous parlons peu des peuples contraints à rester chez eux par la pauvreté, la maladie, les blessures, la mort ou bien par choix. Pour que notre charité fasse preuve d’un respect authentique envers notre prochain, qu’elle soit mieux ordonnée, elle devrait commencer par lui offrir un meilleur chez-soi.



[iv]Vice President Biden to Deliver Remarks on Foreign Policy (Harvard Institute of Politics – 2 octobre 2014): http://forum.iop.harvard.edu/content/vice-president-biden-deliver-remarks-foreign-policy. Minute 52:45.

[v] Punishing Saddam (CBS – 60 Minutes – 12 mai 1996).

[vi]Madeleine Albright: ‘Iraq Is the Biggest Disaster in American History’: http://cnsnews.com/news/article/ali-meyer/madeleine-albright-iraq-biggest-disaster-american-history

Commentaires   

 
0 #1 Ray Y. Adamson 17-03-2016 16:52
Cher lecteur, merci pour votre contribution. La condamnation par le Syndic de l'Ordre des pharmaciens revêt donc un caractère politique!
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