lundi, 23 avril 2018 12:28

Neutres et impartiaux ? Pourquoi des ‘think tanks’ poussent à la guerre en Syrie

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Quand le président des USA Donald Trump a envoyé un tir de barrage de missiles Tomahawks contre des cibles du gouvernement syrien la semaine dernière, cela a au moins signé une bonne journée pour les entreprises de la défense.

Dans le sillage des frappes, dont Trump avait affirmé qu’elles constituaient des représailles après une attaque chimique alléguée du gouvernement syrien, les actions du fabricant des missiles Tomahawk, Raytheon, ont bondi. Les actions de Raytheon ont grimpé de plus de 18% en 2018, jusqu’ici. En fait, les actions des compagnies de défense ont grimpé en général depuis que Trump a pris ses fonctions en promettant des augmentations « historiques » des dépenses militaires.

Il y a presque un an jour pour jour, Trump a offert une autre hausse aux compagnies du complexe militaro-industriel en attaquant les positions du gouvernement syrien pour la première fois – également en réponse à une attaque chimique alléguée dont la preuve n’a toujours pas été établie.

Après cette frappe, Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman et General Dynamics ont également grimpé, gagnant presque 5 milliards de dollars en valeur marchande à l’ouverture du trading le jour suivant.

Plus tard, quand Trump a appointé le militariste notoire John Bolton au poste de Conseiller en sécurité nationale en mars, devinez ce qui s’est passé ? Les parts des compagnies d’énergie et de défense ont grimpé encore une fois. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre : la guerre est rentable. Plus Trump lance de missiles, plus ces compagnies empochent d’argent.

Mais quel est le rôle des think tanks dans ce schéma ?

Il y a un mythe selon lequel les ‘think tanks’ de Washington DC sont des acteurs neutres et impartiaux des débats de la politique étrangère. Mais d’où ces centres de discussion de la politique étrangère tirent-ils leur argent ? Vous l’aurez deviné : des compagnies du complexe militaro-industriel.

Une poignée de think tanks dominent les débats américains sur la politique étrangère. Ils comprennent le Center For European Policy Analysis (Centre pour l’analyse de la politique étrangère européenne, acronyme anglais CEPA), l’Atlantic Council, le German Marshall Fund (GMF), l’Institut Brookings et la Heritage Foundation. Toutes les cinq reçoivent des donations généreuses de la part de Lockheed Martin et Raytheon. Trois d’entre elles reçoivent aussi des financements de Boeing.
Il y en a des dizaines d’autres d’importance inégale, notamment le célèbre Council on Foreign Relations ou, au Royaume-Uni l’International Institute for Strategic Studies (lié à Lockheed Martin). A droite de l’échiquier politique, ils sont étiquetés « néocon ». A gauche, ils sont dits « interventionnistes libéraux ». Mais quel que soit leur bord, ils travaillent à la maximisation des profits du même complexe militaro-industriel et énergétique.

Des corporations comme Exxon Mobil, Northrop Grumman, BAE Systems et Bell Helicopter sont également de gros donateurs de think tanks. Bell Helicopter est un des donateurs du CEPA, Exxon donne à Brookings, au GMF et à l’Atlantic Council. BAE Systems est un des donateurs du CEPA, et Northrop Grumman de l’Atlantic Council. Sans même parler de l’argent qu’ils obtiennent directement des départements du gouvernement des USA et de l’OTAN, qui explique leurs analyses systématiquement anti-russes.
Un des principaux exemples de think tank directement financé par différentes branches du gouvernement des USA est la RAND Corporation, qui s’est illustrée par ses analyses paranoïaques et sa bellicosité tout au long de la Guerre froide, dont elle était l’un des principaux fers de lance en Occident. Pour la petite histoire, la RAND Corporation a notamment employé un mathématicien expert en théorie des jeux de l’université Princeton, John Nash, un homme dangereusement déséquilibré qui, inexplicablement, a été salué par Hollywood avec un film à sa gloire (et parfaitement mensonger), Un Homme d’exception (A Beautiful Mind, 2001). Pour les anglophones, la vérité sur la paranoïa, la froideur et la cruauté de John Nash – et au passage sur l’imposture intellectuelle de la théorie des jeux – a été brillamment exposée par le réalisateur de la BBC Adam Curtis dans son documentaire The Trap, malheureusement non encore sous-titré en français.

Quoi qu’il en soit, ces think tanks jouissent d’une réputation imméritée d’indépendance. Les experts qui travaillent pour ces instituts financés par des entreprises du secteur de la « défense » sont souvent cités par les médias grand public et invités par les chaînes de télé mainstream, où ils sont présentés comme des avis indépendants. Mais ces voix indépendantes se portent toujours, comme par hasard, sur des solutions qui bénéficient aux fabricants d’armes, aux profiteurs de guerre dont les coffres se remplissent à mesure des ‘analyses’ qui poussent à des actions militaires et gonflent démesurément les menaces posées à l’Amérique du Nord par des pays comme la Russie, par exemple.

Un coup d’œil sur le fil Twitter de la CEPA révèle une fixation quasi-obsessionnelle sur la soi-disant « menace russe ». En 2016, ce think tank financé par Lockheed and BAE Systems a suggéré, dans un rapport sur la guerre de l’information, que les gens « victimes de la propagande du Kremlin » devaient être « déradicalisés » par des programmes spéciaux.

L’Atlantic Council financé en partie par l’OTAN a fait un lobbying insistant en faveur d’un changement de régime en Syrie. Dans les jours précédant les actions miliaires de Trump contre la Syrie de la semaine dernière, l’Atlantic Council a publié de multiples analyses et interviews avec un seul angle : que par manque de volonté, Trump n’irait pas assez loin avec une nuit de frappes. Auparavant, quand l’attaque chimique alléguée avait eu lieu, le think tank avait avancé un argument selon lequel le président syrien Bachar el-Assad s’était « adonné à une addiction » et appelait les USA à recourir à une nouvelle action militaire contre lui. Pour une raison ou pour une autre, la diplomatie ne figure pas en tête de listes des méthodes préconisées par l’Atlantic Council.

Il semble que plus les compagnies du complexe militaro-industriel donnent d’argent aux think tanks, plus ces think tanks offrent d’arguments en faveur des politiques militaristes les plus rentables pour ces compagnies. C’est un cercle vicieux, mais aucun besoin d’analyses de type think tank pour en comprendre le fonctionnement.
Plus de détails sur le processus : ces think tanks financés par les compagnies du complexe militaro-industriel emploient des équipes d’experts qui publient régulièrement des analyses, rapports, enquêtes, communiqués, etc, à destination du Congrès et de l’exécutif des USA. Comme dit plus haut par l’auteur, ces think tanks préconisent systématiquement des politiques bellicistes profitables à leurs donateurs, notamment en inventant toute une série de « menaces » à la sécurité nationale des USA. De plus, ils demandent régulièrement des augmentations de budget pour le Pentagone au Congrès. Les membres du Congrès, qui bénéficient également des largesses des compagnies du secteur de la défense à travers des donations à leurs campagnes électorales, votent lesdits budgets. Le Pentagone distribue ensuite l’argent aux compagnies privées du secteur militaire, soit en allouant des contrats de programmes de recherche militaire et de développement d’armement, soit pour le maintien et les équipements des 800 bases militaires des USA installées à travers le monde, soit encore directement dans des achats d’armes pour ses guerres prévues ou en cours. Autrement dit, le fleuron de l’industrie privée capitaliste américaine, la défense, vit sous perfusion de l’État, et la guerre permanente est son modèle économique.

Que les compagnies du complexe militaro-industriel américain soient privées n’est pas un détail : c’est ce point qui les soumet à la logique capitaliste du profit et de la croissance, donc à fomenter des guerres toujours plus nombreuses, longues et gourmandes en armes. Dans ce cadre, le « Prix Nobel de la paix » Barack Obama en est arrivé à bombarder sept pays en l’espace de deux mandats (l’Irak, l’Afghanistan où la guerre dure depuis dix-sept ans, le Pakistan, la Somalie, le Yémen, la Libye et la Syrie), et Donald Trump est parti pour améliorer sa performance : pour son budget de 2018, le Pentagone s’est vu accorder la somme pharaonique de 716 milliards de dollars, un record historique.

Le plus triste pour les lobbyistes des think tanks est que l’argent qu’ils gagnent avec leurs appels à des guerres n’est rien en comparaison des sommes colossales qu’engrangent Lockheed Martin, Raytheon, Boeing et les autres. Peut-être devraient-ils demander une augmentation.

Source : entelekheia.fr

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