Gilles Verrier
La fédération des Canadiens-Français remet en question le néo-nationalisme québécois et son analyse. Elle envoie un message à Robin Philpot, Mathieu Bock-Coté, aux animateurs Benoît Roy et Martin Joseph Lamontagne, de même qu'à toutes les personnes intéressées.
Après les avoir invités à venir statuer sur notre destin, ceux-là mêmes qui s'étaient bâtis à nos dépens des places fortes comme l'Université McGill, le chef du camp du oui leur concéda tout de suite la victoire. Et il n'en démordra pas. Malgré toutes les alertes au "vol référendaire", connues le soir même du 30 octobre et précisément documentées par d'autres révélations depuis, il maintiendra jusqu'à la fin que "les résultats étaient là...", c'est-à-dire valides. Il ne fallait pas "chipoter", dira-t-il ! Le camp du oui, qu'on le veuille ou pas, était dès lors désuni quant à la signification des résultats. L'hypocrisie du camp souverainiste à cet égard s'emploie depuis à conserver une unité de façade.
On peut avoir du mal à voir un grand homme dans le mauvais stratège qui abandonna ses troupes au beau milieu de ce qui n'était pas encore un "champ de ruines", expression qu'il utilisera pour décrire le PQ d'après. Mais ne labourait-il pas déjà inconsciemment le champ de ruines ? Le mauvais général de Sun Tsu(1), est celui qui, ayant perdu une bataille, se conduira comme s'il avait perdu la guerre. Manquait-il de relève ? Manquait-il de réserves ? En tout cas, faute de combattants, le combat cessa immédiatement. Ni le chef, ni son successeur, ni l'état major, ni les ministres, ni les députés, personne n'était plus là pour sonner le rassemblement, réagir avec force contre les irrégularités connues et fortifier nos positions. Mais laissons-là une stratégie déplorable qui fait écran à une doctrine politique, comme le ver est dans la pomme.
Sur le fond, le référendum était un enfant de la "québécitude" : la promotion d'une nation fictive, qui voulait mettre en accord "les deux solitudes" du Québec. Elle arrivait après des tentatives infructueuses pour appliquer la même recette au sein d'un grand Canada. Selon cette aliénation, les tensions nationales, omni présentes depuis la Conquête, devaient désormais s'estomper sur l'autel d'une nouvelle identité commune ordonnée par le haut, l'État du Québec se proposant comme chargé de projet.
Cela pourra surprendre, mais les Pères de la Confédération canadiens-français n'entretenaient pas de telles illusions. Ils ne croyaient pas que notre identité politique devait devenir commune avec celle des Anglais, ni au sein du Québec ni au sein du Canada de 1867. Leur ambition, tout au moins leur espoir, tel que le rapporte A. I. Silver dans son fameux livre jamais traduit (3), était de se séparer graduellement des Anglais pour aboutir à la formation d'un État canadien-français au Québec. La séparation législative avec l'Ontario que réalisait la Confédération en était la première étape.
Le néo-nationalisme québécois a rejeté complètement cette ambition. Il a voulu croire qu'une nation nouvelle, réunissant les deux solitudes au Québec, n'était pas le moyen le plus sûr d'assurer la prépondérance perpétuelle des anglophones. Ne sont-ils pas les conquérants historiques, plus nombreux, plus puissants et dominants depuis toujours ? Nous sommes à même aujourd'hui de constater les résultats de l'utopie. Prenons seulement les avantages matériels et les fonds publics que l'on s'apprête à consentir à l'université McGill et au collège Dawson ! Le sentiment des pères francophones de la Confédération était donc justifié. Nous le voyons encore avec l'anglicisation de Montréal. Tous ces phénomènes, qui s'apparentent à un déclin, prennent racine dans un néo-nationalisme qui n'a pas su faire fructifier le capital national construit par les générations passées, avant la formation du Parti québécois de René Lévesque. Une conjoncture favorable qui promettait une percée a été gaspillée par la déstabilisation de notre identité et de notre cohésion nationales.
Le phénomène du progrès de la prépondérance anglo-saxonne, sous couvert d'une identité québécoise commune, n'a fait que s'amplifier au fil des années. L'action d'un gouvernement du Québec, en pratique bi-national, garant d'un déséquilibre persistant, a renforcé avec la loi 99 (2000), un statu quo qui favorise les anglophones en leur reconnaissant des «droits consacrés». Dans le cadre du préambule de la même loi, la contre partie canadienne-française était, elle, souverainement ignorée, refoulée au rang d'une "majorité francophone".
On ne s'est dit NON qu'en tournant le dos à notre identité nationale
Aveuglé par la québécitude, le chef du camp du oui ne pouvait concevoir que nous pouvions tirer quelque parti de la défaite très apparente, mais nullement fatale du 30 octobre 1995. Piégé par la québécitude, il lui était impossible de rebondir. Impensable pour lui de réclamer sur le champ des négociations constitutionnelles, en tonnant que 61 % des Canadiens-Français avaient voté oui. Une nouvelle démonstration de la fracture du Canada ne venait-elle pas d'éclater à la face des journalistes du monde entier ?
Mais au lieu d'une relance appropriée, on eut droit à un discours décevant pas sa hauteur politique et, surtout, dépourvu de perspective. Quel amer congédiement pour les partisans qui avaient été mobilisés et amenés jusque là ! Comme si la bataille référendaire était la mère de toutes les batailles ! Après quelques semaines de vaines agitations, nous étions repartis sur la route du déclin. Car les nations qui refusent de défendre leur existence reculent. Mais l'univers politique et mental des Canadiens-Français apparaît tellement bouché, qu'il aura fallu vingt-cinq ans pour en arriver à réunir des idées qui se réclament de plus de cohérence et de moins de complaisance.
Ne réagissez pas émotivement. Il ne s'agit pas tant de faire porter tout le blâme sur le chef du camp du oui, mais, plus gravement, sur la doctrine bancale qu'il incarnait. Avec l'échec de toutes les promesses de la québécitude, la mesure du renoncement à notre identité historique ressort aujourd'hui comme une deuxième défaite des plaines d'Abraham, à la différence que, cette fois-ci, elle est auto-infligée. Un nouveau chapitre, inédit, sur l'aliénation coloniale restera à écrire pour les générations futures.
Les perspectives d'avenir, que sont notamment notre mise en minorité démographique, ne pourront s'embellir sans que la nation historique reprenne son cours dans l'histoire.
Il faut exiger dès maintenant la reconnaissance de la nation canadienne-française par l'État du Québec !
* Ce texte reprend et développe les thèmes d'un article déjà paru le 28 octobre dernier
1- L'art de la guerre, Sun Tzu, une oeuvre apparemment inconnue au bataillon
2- Note sur l'illustration : L'affiche peut avoir besoin d'une explication. C'est une publicité de l'armée canadienne pour recruter les Canadiens-Français dans la guerre 1914-18, alors que ces derniers s'opposaient à la conscription. L'article de Wikipédia - émeutes de Québec de 1918 - retrace toute l'importance des événements. Mais ressortir cette affiche aujourd'hui prend un tout autre sens. Elle a été choisie pour rappeler à la mémoire de nos compatriotes que :
Or cette existence nationale a été noyée dans la québécitude, qui nous a fait perdre la capacité de parler pour nous-mêmes avec toute la légitimité voulue. Cette affiche est donc une pièce de notre argumentaire. Elle est reprise pour justifier nos revendications politiques et constitutionnelles enracinées dans l'histoire, ce que ne saurait faire l'identité québécoise pluri nationale, qui d'ailleurs s'en empêche. Il est vrai que le sens de l'affiche peut être incompris, mais c'est là que loge toute la question d'un redresement national qui doit se faire avant que nous devenions minoritaires, dans quelques deux décennies. Canadiens-Français, nous pourrons toujours défendre notre existence, même minoritaires, mais "Québécois francophones" achèvera notre dénationalisation.