mercredi, 04 mars 2020 14:07

Montréal : Plus qu´une boutique de souvenir à ciel ouvert (le mythe du fondateur conquérant)

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Réjean DeGaules

Il n'est pas rare d'entendre commenter l'histoire de l'Amérique française comme le fruit de squatteurs, de vilains hommes opérant un grand remplacement des autochtones. Rien de plus faux. Du moins, en ce qui concerne les pionniers. La majorité du temps, nos commentateurs, chroniqueurs, admettent des crimes, parfois même, de véritables conspirations visant à assujettir les Premières Nations dont ils n'ont pas vérifié l'existence pour ensuite nier la responsabilité des contemporains pour les crimes des ancêtres. Il est vrai que l'histoire de toutes les nations n'est pas propre comme si elle venait de sortir du lavage, mais encore faudrait-il qu'ils aient existé ces crimes dont on n’est pas responsable. Parfois, les gens voient seulement ce qu'ils veulent voir. En ce contexte d'autoflagellation permanente, une relecture de l'histoire des fondateurs de Montréal n'est pas superflue.

L'absence de visées mercantiles

D'emblée, l'on peut noter une particularité étonnante de la fondation de la Métropole. Ville-Marie n'a pas été fondé par un représentant du roi de France, un ordre religieux, un groupe de marchands en quête d'enrichissement, mais bien par de simples citoyens dévoués à la religion catholique. Le terme laïc ici ne signifie pas que Maisonneuve, Bourgeoys, Mance, LeBer, LeMoyne, Closse, de Ladauversière, etc. n'adhéraient à aucune religion, mais bien qu'ils ne faisaient pas partie du clergé. Voilà une signification de l'expression « laïc » qui revient souvent lorsque les historiens ainsi que les catholiques d'une autre époque racontent l'histoire. Les biographes des pionniers ont tendance à nous les représenter comme des gens qui répondaient à l'appel de Dieu. Ce n'est donc pas une institution nationale, militaire, religieuse, commerciale qui les mène à prendre le large pour fonder la Jérusalem-Nouvelle, comme ce fut le cas pour la compagnie hollandaise des Indes occidentales qui eut fondé La Nouvelle-Amsterdam quelques années avant.

On ne le dira jamais assez, mais la dépravation (maladie, alcoolisme, refus d'assumer certaines responsabilités propres à leur communauté) des Premières Nations ne se fit pas au contact des Européens, mais bien au contact de l'esprit mercantile transporté par une partie des Européens. La création des réserves aura été instiguée (parfois avec de bonnes intentions) en ne sachant pas comment réagir aux difficultés des Premières Nations à se conformer à l'esprit mercantile. Il est bien question ici d'une « partie » des Européens qui apportait le mercantilisme avec eux, car percevoir un jésuite ou un franciscain comme un mercantile est tout simplement ridicule. Pour ce qui est des pionniers, c'est plus ambigu, mais l'on ne décèle pas d'appétit pour le profit dans leur façon de vivre.

Iroquois, Hurons, Algonquins, Français, Anglais ont le point commun d'être dans l'impossibilité de se faire à la fois traditionaliste et mercantile. La minute qu'un groupe devient mercantile, l'on sait qu'il n'arrivera pas à respecter ses traditions.

Le but des pionniers : métissage et conversion ?

Qu'est-ce que j'entends par métissage et conversion ? La conversion passait par le mariage ou le baptême. Le mariage est un accord entre deux familles supervisées par les instances assignées à cet effet. Le métissage c'est l'acte qui met au monde un être entre des humains de deux ethnies ou deux races différentes. Bref, le métissage sans conversion c'est du sexe sans protection, sans accord, sans protection du notaire ou de la bienveillante église. Le sexe peut être consenti, mais rien ne le certifie.

Officiellement, les pionniers qui fondèrent Ville-Marie se sont engagés auprès de la société de Notre-Dame (branche de la compagnie du Saint-Sacrement) et avaient pour but de convertir les sauvages afin de fonder un peuple qui réunirait les « sauvages » et les « catholiques ». En considérant que l'autre manière d'établir des colonies dans l'Amérique du temps a été la submersion migratoire (sans conversion, sans métissage) des anglo-protestants, l'on peut relativiser fortement l'aspect conquérant et colonisateur souvent véhiculé pour discréditer les fondateurs. Surtout qu'au final, il y a eu métissage, mais sans conversion. À moins d'avoir à faire à d'affreux violeurs qui forniquent sans que le chef de tribu s'en rende compte, l'on est loin d'un esprit de conquête. Bien au contraire. Les Français sont passés au-delà des différends culturels pour s'accoupler. Chercher l'aspect conquérant là-dedans relève d'une recherche méticuleuse de poux sur un crâne rasé. Ne jamais oublier cette parole de Louis Riel qui disait que le Québec était plus métissé que le peuple métisse lui-même. Peuple métisse dont Riel était le chef légitime.

Les génétiques se sont mélangées, mais les Premières Nations ne sont pas devenues Européens, Français. Le seul lien qui les attache à l'Europe est la conversion de certains au catholicisme, mais on peut dire sans gêne qu'elle ne fut pas intégrale, cette conversion. Les Hurons sont devenus catholiques pour pouvoir commercer, mais une bonne part de leur cœur est attachée à leurs mythes et traditions ancestrales.

La conversion : prétexte pour quitter la France ?

Arrêtons-nous aussi quelques instants sur les véritables intentions de convertir et de métisser que firent part les pionniers auprès des Premières Nations. Essayons de contourner les intentions officielles. Les conversions furent rares à Ville-Marie. Les conversions furent si rares qu'il est à se demander si nos pionniers n'avaient pas en tête un autre but que celui de la conversion ainsi qu'ultimement celui du métissage. Robert Rumilly décrit le Montréal des années qui suivirent la fondation de Ville-Marie (1642-1654) comme d'un « monastère assiégé ». Les pionniers n'ignoraient pas qu'en se rendant à l'île qui allait devenir Ville-Marie, ils s'isolaient. S'ils avaient vraiment voulu métisser et convertir, le succès aurait été bien plus probable en rejoignant les villages hurons du territoire ontarien d'aujourd'hui qui, eux, contrairement aux Iroquois, avaient déjà montré une relative, je dis bien une relative volonté de se convertir. S'enfermer sur l'île de Montréal en ayant, auparavant, fait vœu de chasteté comme Jeanne Mance ne relève pas d'une grande volonté de se métisser ni de convertir les Iroquois. Le but a donc pu être, pour certains du moins et pendant un temps, de fuir une France sclérosée dans l'espoir de s'isoler et de se recueillir pour l'éternité. Un brin romantique est l'interprétation nous amenant à croire au but de se recueillir éternellement, mais cela montre bien qu'il n'y avait pas de volonté bien déterminée de conquérir. L'on peut dissimuler ses intentions au regard de l'histoire, mais pas au point de passer de conquérant à moine cloîtré. D'autre part, il y a plusieurs nuances de catholicisme à ne pas jeter aux vidanges de l'histoire. La croyance religieuse des catholiques de cette époque n'est pas monolithique, unidimensionnelle. Quand on sait que Lamothe Cadillac (fondateur de Détroit), voyaient les premières nations comme faisant partie des dix tribus perdues d'Israël, il y a de quoi se poser des questions sur l'uniformité des intentions des fondateurs. Bref, les raisons de partir pouvaient être diverses et plusieurs ont apporté la vraie raison de leur départ dans leur tombe, sans se confesser. Mêmes s'ils étaient catholiques.

La conversion vue d'aujourd'hui

Nos pionniers n'ont pas été très efficaces dans leur tentative de convertir. En termes de conversion, les ordres religieux furent plus efficaces. Et nul ne doute que leur tournure d'esprit quelque peu différente de celle des « dévots laïcs » n'est pas étrangère à cette relative efficacité. Bien sûr, ce prosélytisme est aujourd'hui conspué par nos penseurs modernes. Ce prosélytisme est-il si dommageable ? La réponse serait trop longue. Mais venant de gens qui n'avaient pas l'intention de mettre au monde des enfants qui auraient éventuellement pris la place des Premières Nations, l'on peut douter que l'esprit de conquête de l'univers temporelle fasse partie de leurs intentions.

Pour comprendre les relations (très variable en fonction de la provenance et des croyances) entretenues avec les Premières Nations, il faut comprendre la différence entre le catholicisme et le protestantisme. À l'intérieur du catholicisme, il faut aussi comprendre la différence de but entre un membre d'ordre religieux, un prêtre et un laïc catholique. Si les historiens d'autrefois connaissaient très bien la différence, les historiens d'aujourd'hui peuvent se permettre quelques écarts puisque le lecteur n'y connaît rien et est souvent assez peu curieux.   Philippe Plamondon et Sébastien de Crèvecoeur ont bien fait le boulot d'expliquer la différence en protestantisme et le catholicisme. Nul besoin de rajouter quoi que ce soit. En comprenant la différence entre protestantisme et catholicisme, vous comprenez les principes sur lesquelles sont fondés le Canada français, le Canada anglais et les États-Unis. Il ne reste plus qu'à connaître les différentes structures du catholicisme, le but de chacune d'elles au moment de mettre pied en Amérique (qui ont par ailleurs changé à de nombreuses reprises au cours de l'histoire) et l'histoire de notre pays n'aura plus de secret pour vous.

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