jeudi, 27 decembre 2018 12:46

Pourquoi les enfants n'écoutent plus en classe ?

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Georges VanPelt

Il est de plus en plus difficile de conserver le calme dans les salles de classe. Un seul élève peut faire la différence entre une ambiance propice à la concentration et un insupportable capharnaüm. Alors que le phénomène prend de l’ampleur, les enseignants – les premiers décrocheurs de tout le système éducatif québécois -  peinent à trouver des solutions efficaces dans les conseils avisés des pédagocrates. Pourtant,  une petite sociologie des mœurs devrait  fournir une réponse rationnelle à la question des origines du phénomène.

L’intelligentsia universitaire serait-elle incapable de mettre le doigt sur la cause du problème? Les pédagogues attendront-ils que tous les enseignants soient partis en dépression nerveuse pour comprendre que le problème… ne vient peut-être pas d’eux? Ni les écoles privées, ni les écoles riches, ni les enseignants aguerris, ni les éducateurs n’en réchappent et, jusqu’ici, les sermons visant à faire culpabiliser les profs en soulignant leur manque de pédagogie, de diplomatie, de psychologie ou, pourquoi pas, de professionnalisme, n’a eu d’effet que de les pousser à la démission. Alors que le désengagement professionnel des enseignants va croissant au Québec [i] – on rappellera que 50% des nouveaux diplômés en enseignement changent de profession au bout de cinq ans de carrière dans l’éducation –, le gouvernement refuse obstinément d’entendre la critique globale, pourtant déjà suffisamment répétée, de tant d’intellectuels avertis. Pour guérir les symptômes, il faut remonter à la maladie et cette dernière se trouve au-delà des murs de l’école.    

De la subjectivation

L’école – la vraie -  a un objectif unique que l’on pourrait résumer dans le concept de «subjectivation». La subjectivation, c’est le processus qui consiste de faire de l’individu un sujet critique. Cette mission de subjectivation se décline elle-même en deux sous-objectifs : l’instruction et l’éducation civique. Pour le dire plus simplement : à l’école, on apprend à penser et à vivre avec les autres.

Le premier de ces deux objectifs, l’instruction, est compromise par tant de facteurs différents qu’il faudrait une bibliothèque entière pour l’expliquer en détail. Retenons seulement qu’à l’intellect et à la culture générale, le MEES préfère l’«éducation» - il faut voir laquelle - et la «formation» - davantage le développement d’aptitudes face au marché du travail-. S’en suit l’avènement d’une institution sous la coupe du marché [ii] et l’ingérence de toute une série d’idéologies politiques.

Le second retiendra plus notre attention dans cet article bien qu’il soit intimement lié au précédent. En effet, si l’école doit s’efforcer de développer l’intelligence de ses pensionnaires, c’est dans la perspective que ceux-ci mettent leur esprit au service de la communauté. L’école est le lieu par excellence de la vie en société : on y côtoie ses semblables, on tisse des liens d’amitié, on développe ses rapports sociaux. Petit à petit, on comprend que l’on n’est pas seul au monde et que l’on doit trouver sa place parmi les autres.

La société, la famille, l’école et l’enfant

Encore faut-il, pour que ce second projet aboutisse, que la société, la famille et l’école elle-même ne perdent pas de vue ces importants enjeux et qu’elles adhèrent ensemble au projet de société. On peut en douter.

La société postmoderne, construite autour de la philosophie libérale, exalte l’égoïsme comme si c’était une vertu. Un individu spirituel, critique et autonome ne sert à rien dans un monde articulé autour du profit. En revanche, des êtres isolés et esclaves de leurs affectes sont beaucoup plus rentables au grand marché du désir.

Sous couvert d’humanisme et par rejet d’une tradition désavouée, jugée trop dure, pas assez démocratique, toute la structure éducative s’est renversée. Autrefois, l’enfant se construisait autour de la famille ; aujourd’hui, c’est la famille qui se construit autour de l’enfant. L’enfant est l’objet de toutes les attentions. Il subit les injonctions permanentes de ses parents ou de ses tuteurs. Que se soit pour le féliciter ou le réprimander, il comprend vite qu’un petit cosmos d’adultes attentionnés gravite autour de lui. Bon ou mauvais, on le fait sentir unique.

L’école, produite par la société et pour la société, comme à son habitude, emboite le pas. Il ne faut plus, désormais, que l’enfant s’adapte à l’école, mais que l’école s’adapte à lui. Le bienêtre individuel de chaque élève est désormais cité comme une priorité dans les publications du MEES. Le bienêtre être individuel prime sur celui de la communauté. L’individu prime sur le groupe et plus aucune forme d’intérêt pour l’œuvre commune ne subsiste.

Société, famille et  école ont ensemble d’abord aplani puis inversé le rapport d’autorité, livrant l’enfant au narcissisme. Il n’est plus qu’un petit «être sensible et corporel», comme le dit si bien Charles Robin (Alias le Précepteur), sollicitant une attention permanente et incapable de se projeter dans la société. 

 

A partir de 2m52s

 

«Il cherche juste un peu d’attention!»

Pour les enfants en recherche constante d’attention, les pédagocrates ne préconisent  de leur accorder plus d’attention encore. La prise en charge des cas les plus problématiques par des éducateurs limite les effets, mais ne résout pas les causes : l’enfant reste constamment assisté et pris en charge tout spécialement, comme si tout était prévu pour le déconnecter toujours un peu plus. C’est comme un blanc seing pour l’ostracisme. Les élèves les plus perturbateurs, en général, se calment dès le moment où ils sont pris individuellement, c’est-à-dire dès qu’ils ont toute l’attention de l’adulte. 1-0… …pour l’enfant. À ceux-là, il faut opposer une discipline ferme et juste. Cette discipline légendaire que feu Kalthoum Sarraï incarnait dans Super Nanny (pas la nulle, hein… la vraie!).  


A partir de 24min30s

 

Pour sortir de l’impasse, nul besoin de changer toute la société, mais seulement de redonner un peu de pouvoir à l’école. Que l’école repense son fonctionnement autour de principes philosophiques qui ont fait leurs preuves. Qu’elle s’autonomise et qu’elle défende des principes moraux qui protègeront sa population de la société marchande et des vicissitudes du monde des adultes. Qu’elle se dresse fière, comme un contre-modèle éducatif face à une culture de masse dégénérée. Qu’elle remette le civisme et la culture au centre de ses priorités. Qu’elle redevienne, la «scholae», en somme.

Mais l’école libérale n’a pas d’autre solution aux problèmes causés par sa doctrine que …la même idéologie libérale! D’où la volonté récente de vouloir introduire les technologies numériques à l’école – véritable fiasco à la fois économique, pédagogique, sanitaire et écologique – sous prétexte qu’elles offriraient du répit aux enseignants en sous-traitant leurs tâches les plus pénibles et en automatisant l’enseignement.  Ces derniers, épuisés, sont très nombreux à les accueillir avec enthousiasme, sans voir ce qui, dans la machine, les rendra, aux yeux des enfants, de plus en plus illégitime et obsolète.



[ii] Lire Hirtt. Nico (2002). L'école prostituée : L'offensive des entreprises sur l'enseignement 

Commentaires   

 
0 #2 Louis-Philippe 30-01-2019 10:22
Il faut que l'on mette dans la tête des enfants, comme c'était le cas autrefois, que les enseignants ne sont pas des copains, mais qu'ils représentent une figure d'autorité. Le retour au vouvoiement dans certaines écoles est un premier pas, mais il faut aller plus loin. Sans tyranniser leurs élèves bien entendu, les professeurs ne doivent pas avoir peur d'exercer leur autorité et d'exiger le respect en conséquence.
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0 #1 Louis-Philippe 27-12-2018 14:52
Je trouve que les enseignants exercent leur profession dans des conditions infernales, que ce soit avec le relâchement de la disciple, le manque de respect envers l'autorité et les compressions budgétaires sans fin. Je pourrais aussi ajouter les multiples réformes qui contribuent à dégrader la qualité de l'enseignement. C'est un vrai nivellement par le bas et une tragédie pour tous ceux et celles qui travaillent dans le domaine de l'enseignement.

A force de vouloir vivre dans un monde sans Dieu nous en récoltons les effets de plus en plus désastreux et ce n'est qu'un début à moins que nous fassions marche arrière pour revenir aux valeurs catholiques.
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