vendredi, 26 janvier 2018 23:42

Critique – Hochelaga: terre des âmes, de François Girard

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Critique – Hochelaga: terre des âmes, de François Girard

L’avant-première d’Hochelaga: terre des âmes s’est déroulée en grande pompe lors des célébrations du 375ème anniversaire de la ville de Montréal, l’an dernier. Le film semblait de prime abord promis à un fort bel accueil (il a notamment été retenu comme représentant du Canada dans la pré-sélection des nommés pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère). Sa sortie en salles vendredi dernier a toutefois donné lieu à des réactions plus timorées. Certes, tout le monde s’est entendu pour louer le talent de plasticien de François Girard et la superbe facture visuelle du film, mais en même temps nombre de critiques ont parlé d’un film froid, où l’on peine à s’attacher réellement aux personnages.

Comme nous ne sommes pas ici pour simplement répéter ce que d’autres ont dit, demandons-nous d’abord quel est le véritable projet derrière Hochelaga: terre des âmes. Le film, vaste fresque historique se déroulant à cinq époques différentes, du XIIIème siècle à nos jours, se propose de cerner le fil conducteur de l’épopée montréalaise, sa part d’éternité, ou pour le dire plus simplement, son âme. C’est du moins ce que laisse croire le montage entrelacé, qui alterne le présent et le passé. Le présent, c’est l’histoire d’un jeune archéologue mohawk qui, suite à l’affaissement d’un stade de football durant un match des Redmen, met progressivement à jour l’emplacement historique de l’antique village d’Hochelaga, qui était situé sur l’île de Montréal lors de l’arrivée de Jacques Cartier. Le passé, c’est quatre morceaux choisis de l’histoire du lieu: avant l’arrivée des Français, les premiers contacts, les débuts de la colonisation et un épisode durant la rébellion des patriotes. On ne remettra donc pas en question l’ambition (rafraîchissante, à certains égards) du scénario, surtout pour un film qui ne dure qu’une heure quarante. Pour revenir à l’idée de fil conducteur, celle-ci est renforcée par le fait que Girard rythme son film de diverses scènes oniriques qui créent des ponts entre les différentes époques (les Redmen qui courent dans la forêt, les spectres de différents personnages du passé qui hantent les gradins du stade, etc.) On pense spontanément à la phrase de l’écrivain William Faulkner, selon laquelle « le passé n’est pas mort, il n’est même pas passé ».

Mais mort ou pas, le passé peut quand même être instrumentalisé à des fins idéologiques. C’est là qu’il nous faut juger sévèrement l’entreprise d’Hochelaga: terre des âmes. Premièrement, parler de l’histoire montréalaise en ne faisant qu’effleurer de façon aussi superficielle les conflits entre les peuples qui l’ont sculptée (Premières nations qu’on semble amalgamer entre elles, Français puis Canadiens-français, Anglais puis Canadiens-anglais) nous apparaît absurde. Si l’histoire ne s’évanouit pas, ainsi que la mise en scène semble le suggérer à de multiples reprises, comment les conflits qui en forment le corps peuvent-ils eux disparaître comme par enchantement? La violence est bel et bien présente à l’écran, mais on la dépeint comme une simple malédiction, matière à lamentations de sorcier mohawk, voire comme un rite de passage appelé à se dissoudre au fur et à mesure que la modernité s’installe. Toute question politique est évacuée. La scène finale, où défilent les membres des Redmen et où chacun d’eux porte le nom d’un personnage du passé, semble dédiée à effacer naïvement, d’un coup de baguette magique, les anciennes oppositions historiques. Maladresse ou propagande? Il est difficile de juger. Deuxièmement, et ce qui est encore plus grave, Hochelaga: terre des âmes contribue à asseoir un mensonge qu’on ressasse de plus en plus souvent dans les sphères politiques et intellectuelles du Québec, à savoir que l’île de Montréal serait un territoire ancestral mohawk, ce qui n’est appuyé sur aucune source tangible (précisons à l’attention des lecteurs non-férus d’histoire que le village d’Hochelaga avait disparu au moment de la fondation de Montréal et qu’on ignore toujours l’identité de ses habitants). Défendre la chose en arguant qu’il s’agit d’une œuvre de fiction serait malavisé, et ce, justement en raison du fait déjà étayé que le film a pour projet de mettre à jour un fil conducteur dans notre histoire, et qu’à ce titre il n’a absolument pas le droit de mentir de la sorte. Là réside le véritable problème du film, et non dans une quelconque « froideur ».

Bien des choses resteraient encore à dire, sur tel ou tel point historique, sur tel ou tel choix narratif ou esthétique, car dans tous les cas le film en présente des bons et moins bons. Cela nécessiterait toutefois un long travail et d’âpres discussions, c’est pourquoi nous nous limiterons à cette critique de la structure globale. Néanmoins, espérons que ce billet servira de point de départ à un débat plus général autour des faits qu’on nous y présente. Car pour un peuple, la mémoire est sacrée, et on ne doit pas la prendre à la légère.

Source : Kinephanos

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