26.08.2016 - Nanoparticules dans le lait maternisé : des scientifiques s'inquiètent

Les Amis de la Terre révèlent la présence de nanomatériaux en forme d'aiguille dans des produits en poudre commercialisés aux Etats-Unis... mais aussi en France. Le débat sur leur potentielle toxicité bat son plein.

Les nanomatériaux manufacturés se glissent décidément partout, même dans l’alimentation des nourrissons ! C’est ce que vient de révéler un rapport de l’ONG internationale les Amis de la Terre. L’organisation, basée en Californie, a fait analyser par un laboratoire indépendant six échantillons de laits maternisés commercialisés dans la baie de San Francisco. Leur découverte est pour le moins troublante : de minuscules particules au nom barbare, des nanohydroxyapatites, un minéral dur et peu soluble, ont été identifiées dans les laits en poudre Gerber Good Start Gentle (Nestlé), Enfamil (Mead Johnson) – des gammes qui sont également vendues en France – et Well Beginnings Advantage (Walgreens). Certaines de ces nanoparticules (80 000 fois plus fines qu’un cheveu) ont la forme d’aiguilles. En outre, des traces de nanodioxyde de titane et de nanosilice ont également été détectées dans d’autres marques de lait maternisé, sans toutefois donner de résultats concluants. Comment de telles substances peuvent-elles se retrouver dans l’alimentation des tout-petits, à l’organisme si vulnérable ? Sont-elles sciemment intégrées par les fabricants et dans quel but ?

«Ces nanoparticules ne sont pas manufacturées par les fabricants, répond Robin Applebaum, le directeur de la communication du Conseil américain de nutrition infantile. Elles sont naturellement présentes dans l’environnement et on peut en trouver dans de nombreux produits alimentaires car elles se forment par agrégation, pendant le processus de fabrication des composants nutritionnels, comme le calcium. Ils sont réduits en très petites particules, pour une meilleure digestion. Mais ces particules ne sont pas produites intentionnellement.»

«Apport en calcium»

Andrew Maynard, directeur du laboratoire Risk Innovation de l’université Arizona State qui a procédé aux analyses, fait cependant observer que «la structure uniforme des nanohydroxyapatites trouvées dans les laits testés est similaire aux substances synthétisées disponibles dans le commerce». On trouve, en effet, des compléments alimentaires à base d’hydroxyapatites, synthétiques ou animales (extraits d’os de vache ou d’écailles de poisson) très riches en calcium, ce fameux minéral indispensable à la solidité des os et des dents. Ian Illuminato, l’un des auteurs du rapport, est convaincu que les substances découvertes ont été «délibérément conçues pour ces laits maternisés», sans doute «pour servir d’apport en calcium», précisément.

Mais y a-t-il danger pour bébé à les ingérer ? Du fait de leur taille atomique, les nanomatériaux manufacturés acquièrent des propriétés différentes des particules de plus grande taille. Ces nano-aiguilles pourraient par exemple se dissoudre plus facilement, pour faciliter l’assimilation. «Elles sont probablement sans danger, estime Andrew Maynard. Nos premières études montrent qu’elles sont vite dissoutes dans l’estomac. Cependant, certaines d’entre elles pourraient atteindre l’intestin intactes, perturber sa flore, circuler dans le sang jusqu’aux organes et aux cellules.» On ne sait encore rien sur les conséquences.

En tout état de cause, les nanoshydoxyapatites manufacturées en forme d’aiguilles viennent d’être jugées potentiellement toxiques par le Comité scientifique européen pour la sécurité des consommateurs, qui recommande de les bannir des produits d’hygiène dentaire comme les dentifrices. Des spécialistes s’inquiètent aussi des risques d’irritation ou d’inflammation dus à l’inhalation de ces poudres volatiles.

Aucun étiquetage

Comme d’habitude, le consommateur est laissé dans la plus grande incertitude sur l’innocuité des substances utilisées à son insu : aucun étiquetage ne lui permet de faire un choix éclairé. Certains produits comme la silice et le dioxyde de titane, mentionnés dans le rapport, sont souvent utilisés dans l’alimentation sous la forme nano ou non. L’Autorité européenne de sécurité des aliments procède à la réévaluation de la silice (E551) et du dioxyde de titane (E171), qui a déjà été classé «cancérogène possible si inhalé» par le Centre international de recherche sur le cancer. Mais elle tarde à rendre son avis. Un comble alors que l’on sait les enfants particulièrement exposés à ces produits utilisés pour fluidifier les poudres, blanchir les crèmes glacées, faire briller les bonbons dragéifiés ou le glaçage des gâteaux.

L’organisation les Amis de la Terre s’inquiète aussi de l’utilisation du nanotitane dans les protections solaires, même bio, et du traitement antibactérien des biberons, tétines et couvertures au nano-argent, susceptible d’avoir un impact sur la santé et l’environnement. Avec ce rapport, l’ONG lance donc un pavé dans la mare opaque de l’industrie, qui cherche à tirer parti des nanotechnologies émergentes et elle exhorte la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, à un meilleur encadrement réglementaire.

 

Source : Libération

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