13.06.2016 - Russie-Qatar, un jeu du chat et de la souris ?

Le ballet des visites en Russie des dirigeants du Golfe et d’Israël n’en finit pas. Chacune de ses visites se termine par un communiqué laconique, car il faut bien dire quelque chose aux journalistes. La teneur de ces rencontres reste opaque. Cependant, quels que soient les sujets abordés, il en est forcément un qui n’a pas pu être laissé de côté. Israël, le Qatar et l’Arabie Saoudite ont en commun d’être dans le même camp dans la guerre en Syrie, face à la Russie qui se trouve dans le camp adverse. D’autre part, que ce soit pour le Qatar ou pour Israël, il est peu probable qu’une visite en Russie pour évoquer ce sujet se fasse sans l’aval des États-Unis. Il reste maintenant à savoir à quoi joue tout ce monde, et à quoi riment ces visites, en particulier pour le Qatar, qui n’a pas grand-chose du point de vue économique à offrir à la Russie. RI

Dernièrement, ne pas remarquer que les monarchies du Golfe Persique ont commencé à envoyer bien trop souvent leurs émissaires à Moscou et à Sotchi, a été impossible. Cette remarque est particulièrement vraie lorsqu’on observe de près les agissements de l’Arabie Saoudite et du Qatar, les deux uniques États wahhabites du monde qui prêchent une forme dénaturée de l’Islam datant du 17ème siècle. En net contraste avec les années antérieures, époque où la Russie connaissait le rôle joué par ces deux États frères dans l’entretien des conflits au Nord Caucase, et aussi dans les fameuses « révolutions colorées » au sein d’États arabes alors bien disposés à l’égard de Moscou, il semble à présent que, lors d’une tentative de recherche de coopération à différents niveaux avec ces États frères, la Russie a réussi à se faire duper, et cela même en dépit du fait que les quatre réunions organisées entre la Russie et le Conseil de Coopération du Golfe Arabique (GCC) n’ont conduit à la signature d’aucun accord réel.

En réalité, Moscou réalise que Riyad et Doha font tous les efforts possibles pour empêcher la Russie de parvenir à un règlement politique en Syrie. Ces États ne soutiennent pas simplement les groupes les plus radicaux en Syrie, ils sont profondément impliqués au Yémen, en Libye et en Irak. Et si l’on peut trouver une excuse aux réunions régulières entre autorités russes et saoudiennes, indispensables pour parvenir à un accord sur le prix de l’or noir, les contacts avec le Qatar sont d’une nature très différente.

Depuis maintenant plus de dix ans, le Qatar assume dans le monde arabe des politiques anti-russes agressives. En outre, le niveau des échanges économiques bilatéraux entretenu par la Russie avec ce minuscule État, qui n’est pour l’essentiel rien d’autre qu’un appendice d’ExxonMobil, est totalement négligeable. Le Qatar a promis plusieurs fois à Moscou des milliards de dollars d’investissements. D’abord en 2006, lorsque Vladimir Poutine a visité pour la première fois cet émirat, ensuite en 2010, quand l’Émir Hamad ben Khalifa Al Thani a fait un voyage en Russie. Aucune de ces promesses n’a été honorée jusqu’à présent.

Malgré tout, le 6 mai, le Président russe a soudainement décidé de tenir une réunion à Sotchi avec le patron du ministère des Affaires Étrangères du Qatar, bien que la majeure partie des alliés des Russes ayant à peu près réussi à développer des liens économiques bilatéraux, n’aient pas encore obtenu ce genre de faveur. Le prétexte officiel était que le ministre avait à passer un message important de l’émir du Qatar, même si c’était faux.

En fin de compte, selon le communiqué de presse publié après la réunion, le ministre qatari des Affaires étrangères a remercié le Président russe de l’avoir reçu et a annoncé qu’il apportait, de la part de l’émir du Qatar, un message verbal concernant la situation au Moyen-Orient. En langage diplomatique – parce qu’il laisse toujours place à un déni plausible, le messager pouvant dire qu’il n’a pas le bon message –un message verbal n’a pas le poids d’un message écrit. Il ne s’agissait donc de rien d’autre qu’une excuse pour tenir une réunion. De plus, comme pour tenter de justifier la réunion, Yuri Ouchakov, l’aide de Poutine, a annoncé la veille qu’un accord spécial avait été conclu avec l’émir du Qatar lors de l’entretien téléphonique qu’il avait eu avec le Président russe, car les chefs d’État rencontrent rarement des ministres étrangers. Selon Ouchakov, il avait été annoncé que le Qatar avait de nouvelles idées et suggestions concernant le règlement du conflit en Syrie. Il convient de noter que jusqu’à présent, le seul rôle joué par le Qatar dans le règlement syrien s’est borné à soutenir financièrement les groupes les plus radicaux, comme Jabhat al-Nusra, et à coopérer avec les services spéciaux turcs. Et maintenant Doha fait tout son possible pour perturber les pourparlers de Genève, qui ne peuvent guère être considérés comme une démarche agréable.

En plus de la Syrie, Poutine et Mohammed bin Hamad bin Khalifa Al Thani ont discuté de la situation au Yémen et en Libye. Et ce fait est passablement curieux quand on sait qui a initié le renversement de Mouammar Kadhafi et la démission du Président yéménite, Ali Abdullah Saleh. Ayant participé au bombardement de la Libye, le Qatar utilise à présent ses forces aériennes pour bombarder des civils dans les villes yéménites. Des médias ont signalé qu’en réponse au message de l’Émir, Poutine avait confirmé son intention d’organiser entre Russie et Qatar une coopération dans tous les domaines, y compris l’économique. Le Qatar annonce cette intention depuis plus de dix ans, mais rien n’est réellement sorti. Comme l’a noté Dmitry Peskov, le secrétaire de presse de Poutine, au cours des pourparlers, Poutine et Al Thani ont discuté de leurs vues sur le cours mondial du pétrole. Toutefois, il ne faut guère compter sur l’accord de geler le niveau de production, puisque les deux pays peuvent mettre au point une approche commune sur cette question.

 

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