25.11.2015 - Les grands vents de novembre

Souviens-toi de ma misère et de mon angoisse : c’est absinthe et fiel! Elle s’en souvient, elle s’en souvient, mon âme, et elle s’effondre en moi (Lm 3, 19-20).

Le 8 novembre dernier, un article de La Presse + consacré au « discours inspirant » que le cinéaste Bernard Émond a prononcé au Forum sur le patrimoine religieux nous rappelait cette statistique : depuis 12 ans, une église disparait du paysage québécois tous les dix jours. Notre peuple a donc bazardé ou démoli 432 églises depuis 2003.

Si, en tant que chrétien, vous avez comme priorité de maintenir debout l’optimisme, quitte à ce qu’il ne soit que de façade, vous vous composerez, chaque fois que l’exigeront les circonstances, une attitude alternativement grave et sereine, et direz, avec un air convaincu, en employant le langage fade et mièvre qui caractérise trop souvent le discours ecclésial, que la démolition ou récupération des églises est une réalité « attristante » pour le peuple de Dieu, mais « qu’il ne faut pas désespérer », car il surgit tout de même ici et là « pousses d’espérance ».

Si vous êtes plus soucieux de description objective, quitte à ce que la vérité s’échappe du tombeau où on l’enterre quotidiennement, quitte à ce qu’elle vous déchire les entrailles et assombrisse un moment le visage de votre interlocuteur, vous direz simplement: « C’est l’hécatombe! » Mais alors, soyez certain qu’on essaiera de tempérer votre jugement. Préparez-vous aussi à ce qu’on vous reproche votre vision « apocalyptique » de la situation et patientez pendant qu’on vous serine des lieux communs sur le retour du balancier et la supériorité de la qualité sur la quantité.

Le faux remède

Toutes ces formules censées garder vivant l’espoir ne sont pas nécessairement fausses (l’histoire le prouve), mais elles sont souvent mal venues. Elles tombent souvent mal à propos. On s’en sert pour couper court à toute déploration et pour camoufler une réalité moins jolie, presque tabou : le sourd désespoir de quantité de chrétiens anonymes, profondément affectés par la débâcle de l’Église, et qui ne trouvent personne pour dire leur désarroi et leur chagrin.

Il en résulte une sorte d’interdiction d’être triste. Comme si l’épanchement d’un cœur languissant était une obscénité, une indécence que le fidèle ne pouvait raisonnablement se permettre. Comme si le malheur d’être chrétien en ces « jours mauvais » (Ep 5, 16) ne pouvait pas se dire et s’écrire, voire se hurler. On se prend ici à rêver à la reconnaissance d’un nouveau droit canonique : le droit à la lamentation.

Lorsqu’il n’est pas permis de s’attrister de l’Église en Église, lorsque la mélancolie est systématiquement déboutée, que l’affliction devient persona non grata, il ne reste que le refuge du silence, qui occulte le désastre (pour un temps seulement) et nous rend plus oublieux de l’urgence d’agir ; ou le refuge du mensonge de l’optimisme convenu, qui, loin de masquer la laideur du monde, l’empire importunément.

 

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