01.11.2015 - Robert Redeker : le «gérontocide» sera-t-il le génocide du XXIe siècle ?

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la sortie de son dernier livre Bienheureuse vieillesse, Robert Redeker a accordé un grand entretien à FigaroVox. Pour le philosophe, il faut sauver la vieillesse de l'élimination : car sans elle, c'est notre civilisation qui risque de s'éteindre.

Votre dernier livre Bienheureuse vieillesse est un éloge de l'âge. Faut-il se réjouir de de vieillir?

La vieillesse nous libère de bien des fardeaux, dictés par la biologie et l'imaginaire, qui pèsent sur la jeunesse et l'âge mûr. Cicéron et Sénèque le savaient, notre société l'ignore: la vieillesse est libération. Elle débarrasse l'être humain de certains obstacles à sa liberté. La vieillesse est l'âge du bonheur, de la sagesse.

L'habitude n'existe pas de présenter la vieillesse comme une libération. Il est vrai qu'elle peut, à l'extrémité de la vie, enchaîner au corps, servitude qui peut rendre enviable l'euthanasie. Pourtant la vieillesse, ce que les Stoïciens avaient remarqué, libère les êtres humains des fardeaux liés aux désirs qui rendent intempérants, qui soulèvent des tempêtes de chair, en particulier les désirs sexuels. Ces désirs rendent esclaves, c'est un fait. Mais souvent aussi ils se transforment en passions dévastatrices empêchant toute forme de bonheur. Ils partent en guerre contre le bonheur, que souvent ils détruisent. Livré à eux-mêmes, les désirs de cette farine empêchent, contrairement à ce qu'ils veulent nous faire croire, un bonheur durable et serein (dont l'éternité en paradis, une éternité, j'insiste sur ce point, du corps et de l'âme, de la personne ressuscitée avec son corps, est la figure métaphorique) de s'installer. Cette idée-là de l'éternité laisse entendre la possibilité d'un corps non enchaîné aux désirs. La vieillesse rend plus facile l'exercice des aspirants à la sagesse et des mystiques, auquel la plupart des humains échouent quand ils veulent s'y essayer: le renoncement.

Libération, la vieillesse est surtout une chance. Celle de redécouvrir le temps et la consistance des choses.

Selon vous, la société contemporaine serait obsédée par la jeunesse. Pourquoi?

Alain Finkielkraut en a établi le constat bien avant moi, et l'a bien mieux dit. C'est parce qu'elle refuse le temps et sa caducité que notre société ontologise la jeunesse. Rappelons-nous de l'opposition entre Parménide, le philosophe de l’Être, et Héraclite, le philosophe du Devenir. Tout est, affirmait Parménide. Rien n'est, tout passe, on ne se rebaigne jamais dans le même fleuve, prétendait Héraclite. Ontologie est le nom du discours sur l’Être, celui de Parménide. Depuis les années 60, en lien avec le triomphe planétaire de la société de consommation, la jeunesse a été ontologisée. Elle a été figée en Être excluant le Devenir. De cette ontologisation découle l'impératif collectif de rester jeune jusqu'aux bords du tombeau. Pour nos contemporains, ne plus être jeune, c'est ne plus être. Nous avons refusé de voir dans la jeunesse un devenir sans retour, une transition, un passage, une étape sur le chemin de la vie, un moment dans son écoulement. Disciples de Parménide sans le savoir, nous avons figé la vie dans un seul de ses âges, la jeunesse, déclassant tous les autres, favorisant la honte de ne plus être jeune. Le Tartuffe contemporain, au temps où les corps s'exposent volontiers dans tous leurs charmes, dira plutôt: cachez votre vieillesse que nous ne saurions voir. Oui, nous avons arrêté la jeunesse dans une trompeuse éternité.

Vous abordez assez peu la question du jeunisme sous l'angle économique. Mais l'autre nom de cette idéologie n'est-il pas tout simplement le capitalisme?

Le fanatisme de la jeunesse est lié à la modernité bien plus largement qu'au seul capitalisme. Dans «Notre avant-guerre», lorsqu'il conte son périple dans l'Italie mussolinienne, Brasillach observe que «jeunesse» est «le mot de passe» du fascisme. En même temps, l'U.R.S.S. exaltait la jeunesse comme jamais. Sous toutes ses formes - fascistes, communistes ou consuméristes - le jeunisme est surtout anti-bourgeois, il est un anti-bourgeoisisme systématique.

 

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Commentaires   

 
0 #1 Mathieu Plourde Turcotte 01-11-2015 20:12
Tout à fait d'accord. Je note que Finkielkraut aurait un opinion en commun avec moi. ouf ! quel sensation étrange.
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