06.08.2015 - 6 août 1945 : et si Hiroshima n'avait servi à rien ?

De nombreux historiens combattent l'idée selon laquelle l'emploi de la bombe atomique aurait provoqué la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Il est 8 h 15, le 6 août 1945, lorsque le bombardier Enola Gay largue Little Boy sur Hiroshima. Little Boy, "Petit garçon" : un nom charmant pour une bombe à uranium dotée d'une force destructrice équivalant à 16 kilotonnes de TNT. 43 secondes plus tard, elle explose en une boule de feu dégageant une température d'un million de degrés Celsius. La ville entière est ravagée, des centaines de corps carbonisés flottent dans les cours d'eau, on estime à 150 000 environ le nombre de tués. Trois jours plus tard, le feu nucléaire américain se déchaîne de nouveau, à Nagasaki : 74 000 morts de plus. Le 15 août, le Japon capitule. Sous l'effet conjugué des deux attaques, a-t-on coutume de dire. De nombreux spécialistes, pourtant, nuancent cette analyse.

Ward Wilson est de ceux-là. Directeur du projet "Repenser les armes nucléaires" pour le think tank British American Security Information Council (BASIC), il combat l'idée, pour partie appuyée sur le précédent Hiroshima, d'une efficacité sans égale de la dissuasion nucléaire. Dès 1965, rappelle-t-il dans un article publié par la revue Foreign Policy et traduit par Slate, l'historien américain Gal Alperowitz nuançait l'impact stratégique de la bombe, et assurait que les "dirigeants japonais avaient l'intention de capituler et l'auraient probablement fait avant la date de l'invasion prévue par les États-Unis, le 1er novembre 1945".

"La situation est de plus en plus urgente"

Aussi abominables qu'aient été ses conséquences, l'emploi de l'arme atomique à Hiroshima n'a pas eu l'effet de choc qu'on lui prête, affirme Ward Wilson. L'armée de l'air des États-Unis est alors "en train d'effectuer une des plus intenses campagnes de destruction de centres urbains de l'histoire mondiale. 68 villes japonaises sont bombardées, et toutes sont partiellement ou intégralement détruites." L'offensive fera au total plus d'un million de morts et de blessés – un tribut humain auquel le gouvernement japonais se disait prêt depuis plusieurs mois. Le général Anami Korechika, ministre de la Guerre, affirme même le 13 août que les bombes atomiques ne sont pas "pires" que les bombes incendiaires qui ravagent le pays depuis des semaines.

La réaction du Conseil suprême qui dirige alors le pays semble accréditer cette thèse. Ses six membres n'évoquent une reddition que le 9 août, quelques heures avant le bombardement de Nagasaki. Au lendemain d'Hiroshima, avance l'historien américain Tsuyoshi Hasegawa, l'heure était encore à la recherche d'une issue plus favorable aux Japonais que celle préparée le 27 juillet par l'ultimatum de Postdam, qui menaçait le pays d'une "destruction rapide et totale" s'il ne capitulait pas sans conditions. Depuis le mois de mai, les Japonais cherchent à convaincre Staline, avec qui ils ont conclu en 1941 un pacte de non-agression, d'obtenir pour eux des garanties – notamment sur le sort de l'empereur Hiro-Hito. C'est encore le cas, semble-t-il, lorsque le 7 août le ministre des Affaires étrangères, Togo Shigenori, envoie un télégramme urgent à l'ambassadeur en URSS, Naotake Sato. "La situation devient de plus en plus urgente, écrit-il. Nous devons tout de suite connaître la position des Soviétiques. Faites de votre mieux pour obtenir leur réponse immédiatement."

En fait de réponse, Sato se verra signifier le lendemain, 8 août, que l'URSS déclare à son tour la guerre au Japon. Le 9 au matin, l'Armée rouge envahit la Mandchourie, alors placée sous protectorat japonais. C'est cet événement, bien davantage que le cauchemar d'Hiroshima, qui décide Tokyo à capituler, affirment Tsuyoshi Hasegawa et Ward Wilson.

 

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