19.06.2015 - Un Québec traduit de l’anglais

Une histoire nationale, écrite par deux Anglo-Québécois, qui sort des sentiers battus

Livre original, étonnant, Une histoire du Québec, de Peter Gossage et J. I. Little, bouleverse tout. Ses auteurs, anglophones nés au Québec et y ayant, soulignent-ils, « de profondes racines », font leur ce jugement lumineux d’un autre historien de langue anglaise, Allan Greer : les Français arrivèrent « non pas en envahisseurs conquérants, mais comme une nouvelle tribu qui se greffe sur le réseau sociopolitique autochtone de l’Amérique du Nord ».

Cette idée, surtout élaborée par Jacques Ferron au cours des années 1960 et en marge de l’historiographie universitaire, se trouve ainsi consacrée par la haute vulgarisation anglo-saxonne. D’abord publié en 2012 par Oxford University Press, l’ouvrage richement illustré de Gossage, de l’Université Concordia, et de Little, de l’Université Simon Fraser, près de Vancouver, est maintenant traduit en français et mis à jour.

Bien que le nom de Ferron, l’écrivain qui aimait embêter les dominants d’ascendance britannique, n’y apparaisse pas, les deux historiens maintiennent au fil des pages l’ouverture d’esprit qui leur permet de dépeindre, sans flatterie aussi bien que sans mesquinerie, la singularité québécoise. Ils signalent avec pertinence que, peu nombreux devant leurs rivaux anglo-saxons d’Amérique, les Canadiens, même après la Conquête de 1759-1760, ont rayonné grâce aux autochtones du continent.

 

Continent originel

Ils expliquent : « Les membres des élites d’avant la Conquête ont pour la plupart renoncé à retourner en France, contrairement à ce que prétend la thèse de la décapitation, et les marchands canadiens-français furent en mesure de profiter de leurs liens étroits avec les Amérindiens pour dominer le commerce des fourrures jusqu’à la fin des années 1770. » Cette profonde affinité avec le continent originel traverse en filigrane l’histoire du Québec.

Auteurs d’un récit vivant, Gossage et Little en ont une intuition qui, heureusement, dépasse un simple repère théorique. Par exemple, ils signalent qu’en 1885, sous le gouvernement fédéral conservateur de John A. Macdonald, l’exécution de Louis Riel, défenseur des Métis de l’Ouest canadien contre l’empiétement de leur territoire par l’Empire britannique, a suscité un regain du progressisme au Québec, après l’échec de l’insurrection de 1837-1838.

La victoire électorale au Québec des libéraux d’Honoré Mercier en 1886 et, à Ottawa, de ceux de Wilfrid Laurier en 1896 ne s’inscrit-elle pas dans cette résurgence ? Sans prendre parti, nos deux historiens accordent de l’importance aux idées avancées. Rappelant les déboires du Bloc en 2011 et du PQ en 2014, ils concluent qu’« il reste tout à fait possible » que ce soit seulement là « un chapitre de la longue marche d’une nation colonisée vers l’indépendance ».

Concevoir, dès le départ, les Québécois comme une tribu d’Amérique mène à toutes les audaces.

 

Source : Le Devoir

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