21.02.2017 - Manifeste pour un Islam de liberté et de citoyenneté

Le manifeste qui suit a été écrit au courant du mois de janvier 2017, avant l’attentat raciste qui a visé des musulmans – parce que musulmans – dans la ville de Québec le 29 janvier 2017, et qui a fait six morts, cinq blessés graves, et un nombre incalculable de victimes, blessées au plus profond d’elles-mêmes. Ces événements nous ont convaincu, plus que jamais, de la pertinence de notre démarche. Cet attentat à aussi ravivé la mémoire de beaucoup de citoyens originaires des pays qui ont vécu le terrorisme islamiste.
Nous présentons avant tout nos condoléances envers les familles des victimes et leur exprimons toute notre solidarité. Les pertes qu’elles ont subies sont irréparables. 
Les réactions massives qu’il y a eu, les dénonciations, les remises en question et les actes de solidarité démontrent bien que les accusations de racisme généralisé envers la société québécoise sont infondées et injustes. Il y a bien sûr du racisme au Québec comme ailleurs, mais il y a aussi de l’ouverture et de la solidarité. Les prises de positions de toutes les forces politiques sont allées bien au-delà du minimum nécessité par les relations publiques, et ont démontré une véritable volonté de vivre ensemble. 
Nous déplorons la récupération de la tragédie et son instrumentalisation par ceux qui veulent se faire du capital politique alors que le moment était au recueillement et au respect envers les familles endeuillées. 
Certains activistes en ont profité pour se faire passer pour « les » porte-parole d’une prétendue « communauté », alors qu’il y a des groupes nombreux et diversifiés qui se réclament de l’islam comme religion, bien sûr, mais comme culture aussi, avec un rapport extrêmement diversifié à la croyance et à la pratique religieuse. Et il y a aussi ceux et celles qui veulent avant tout être des citoyens et des citoyennes, et non pas membres d'une communauté religieuse. C’est à ce titre que nous signons ce manifeste.

Nous, les sousigné.e.s, étant de cultures musulmanes et ayant des rapports très diversifiés avec la foi et la pratique religieuse, déclarons ce qui suit. 
Nous nous considérons avant tout citoyens, et c’est en tant que citoyennes et citoyens que nous voulons occuper pleinement notre place dans la société québécoise. Notre démarche s’inscrit également dans le contexte des résistances à l’intérieur même des sociétés musulmanes face à l’islamisme et ses manifestations sociales. 
Les citoyens de cultures musulmanes du Québec sont originaires d’une trentaine de pays et sont de cultures et de traditions très diversifiées. Nul n’a le monopole de leur représentation. Nous déplorons le détournement de la foi musulmane par les courants de l’islam politique présents à l’échelle internationale, et nous contestons leur prétention de représenter les musulmans du Québec. Ces courants sont en partie responsables des impasses profondes auxquelles sont confrontées les sociétés musulmanes. Leurs stratégies identitaires et leurs interprétations rigides des obligations religieuses entraînent inévitablement un repli identitaire qui compromet l’épanouissement des musulmans dans les sociétés occidentales. 
Tout en étant conscients des injustices que génèrent les politiques des puissances occidentales au Proche-Orient et dans le reste du monde musulman, nous condamnons l’usage fait par les islamistes de ces injustices pour justifier des violences contre des innocents et pour promouvoir la préparation idéologique qui est faite en amont, et qui légitimise la violence djihadiste. 
Nous n’approuvons pas toutes les demandes d’accommodements religieux, surtout celles qui remettent en question la notion même de citoyenneté et les acquis du Québec en matière d’égalité et de neutralité de l’État et des institutions publiques. En général, ces mesures ne favorisent pas l’intégration des immigrants, mais ont plutôt l’effet inverse de fragiliser ou d’empêcher leur insertion professionnelle. Le caractère souple et accommodant qui a caractérisé l’islam durant des siècles signifie que les musulmans ont le droit et l’obligation d’adapter leurs pratiques religieuses aux conditions dans lesquelles ils vivent, de façon à faciliter l’harmonie et la bonne entente avec les sociétés d’accueil. Cette attitude, légitimée par l’histoire des sociétés musulmanes, est conforme aux valeurs universelles définies par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et elle est en opposition aux valeurs sectaires que défend l’islamisme. 
Le sensationnalisme des médias, qui accordent une place énorme à des comportements choquants mais marginaux, donne une fausse image des musulmans du Québec et il contribue à faire mousser l’hostilité qui s’exprime envers l’ensemble des citoyens de cultures musulmanes. Nous appelons les médias à assumer leur responsabilité sur cette question car c’est le climat social tout entier qui en est affecté. 
Les images sensationnalistes et stéréotypées de l’islam dans certains médias ont amplifié les insécurités identitaires dans la société québécoise. Les calculs électoraux fondés sur l’exploitation de ces insécurités sont à courte vue : ils valident dans la population québécoise une méfiance envers l’ensemble des citoyens de cultures musulmanes, et ils instaurent une dynamique du soupçon qui a des effets discriminatoires envers eux et des effets très néfastes sur le climat social en général.
Parallèlement, nous rejetons les tentatives de manipuler le concept d’islamophobie pour museler toute opposition aux courants islamistes, qui sont, en grande partie, responsables du climat d’hostilité envers l’ensemble des musulmans. Cette hostilité est fondée sur la confusion entre islam et islam politique. Elle valide le discours de victimisation des islamistes, qui est fondamental dans leur stratégie, ainsi que la prétention des islamistes et de leurs alliés d’être les défenseurs des musulmans « persécutés ». Cette confusion est dangereuse et contribue à vulnérabiliser l’ensemble de la société québécoise. 
Dans ce contexte, il faut reconnaître le caractère distinct de la société québécoise, déjà fragilisée par son statut minoritaire en Amérique du Nord et qui tente de maintenir ses spécificités. Il faut reconnaître que la grande majorité des citoyens de cultures musulmanes s’épanouissent dans cette société et souhaitent y vivre. Tout en étant conscients de certaines attitudes racistes qu’on y trouve mais qui restent marginales, ils voient aussi de nombreux signes d’ouverture envers eux dans le quotidien ainsi que dans des situations spéciales, telles que l’accueil fait aux réfugiés syriens. 
Les tendances non fondamentalistes très diversifiées de l’islam (rationnelles, laïques, libérales, soufies, etc.) sont désarmées face à l’islamisme. Elles ont besoin de soutien pour contrer les énormes moyens financiers, médiatiques et politiques mis à sa disposition par les monarchies pétrolières et par d’autres acteurs qui veulent l’instrumentaliser. Nous déplorons que certains courants dans la société civile, par crainte de nourrir l’islamophobie, prennent la défense des pratiques les plus fondamentalistes en s’opposant à la critique qui leur est adressée par les tendances les plus ouvertes de l’islam. L’islamisme est de plus en plus contesté dans l’espace même de l’islam, par des voix qui sont combattues et moins visibles. La lutte idéologique contre l’islamisme ne sera gagnée que de l’intérieur mais elle a besoin d’appuis. Cette lutte est aussi la nôtre.
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Signataires :

Hassan Jamali, professeur retraité et écrivain,
Mounia Ait Kabboura, philosophe de formation, chercheuse, Chaire UNESCO-UQAM (FPJD),
Noomane Raboudi, islamologue-politologue, université Ottawa
Nadia El Mabrouk, Professeure en informatique, université de Montréal
Salah Beddiari, écrivain, poète
Leila Lesbet, enseignante
Ali Daher, sociologue, chercheur indépendant
Khaled Sulaiman, écrivain
Mohamed Ourya, Politologue, université Sherbrooke
Nezar Hammoud, Chercheur
Ali Kaidi, Doctorat en philosophie
Oussama Abou Chakra, chercheur et écrivain
Nadia Ghalmi, gestionnaire et ancienne journaliste
Karima Bensouda, Ingénieur
Joulnar El Husseini, interprète
Hind Snaiki, coordinateur de projet
Khaled A.Baki, ingénieur 
Seba Alnabhan, éducatrice
Nezar Hammoud, biochimiste et nutritionniste clinicien
Farid Kettani, consultant retraité
Fatima Aboubakr, directrice de garderie
Samira Boualem, kinésithérapeute et orthothérapeute
Karim Lassel, Consultant en développement organisationnel
Salimata Ndoye Sall, Travailleuse sociale
Mohand Abdelli, ingénieur retraité
Nacer Irid: Ingénieur automatisation 
El Mostapha Aboulhamid, Professeur retraité, Informatique, Université de Montréal
Nassir Ath vraham, 
Ferid Chikhi, 
Imad Al-Zawahra, ingénieur

Source : Manifeste pour un Islam de liberté et de démocratie

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