samedi, 09 janvier 2016 12:33

La maudite tendance patriarcale de Victor-Lévy Beaulieu

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Juriste Curé

J’ai beaucoup lu Victor Lévy-Beaulieu. Grand auteur. Atypique. Bouillant polémiste. L’écriture romanesque de Victor Lévy-Beaulieu regorge de symbolique. Il n’est donc pas inintéressant de lire les études littéraires de son œuvre que sont « Les cahiers Victor-Lévy Beaulieu ». Bien que l’œuvre de VLB soit par moment très accessible, il est impossible à mon sens de tout saisir son œuvre du premier coup. Il doit y avoir au-delà de 80 ouvrages portant sa signature, certaines comptant plus de 1000 pages.

Ces cahiers regroupant différents articles scientifiques [i] d’universitaires québécois analysant son œuvre sont donc, logiquement, de véritables petits trésors pour quiconque veut approfondir sa compréhension d’un incontournable de la culture québécoise. À la manière des religions [ii], les interprétations s’avèrent souvent aussi importantes que l‘original des œuvres fondatrices pour y arriver.  

La partie éreintante vient de cette thérapie que les auteurs font subir à l’œuvre qui arrive presque à dénaturer sa beauté. Leur procédé n’est pas sans rappeler un homme qui porterait un diagnostic sur la beauté d’une femme à partir d’une analyse approfondie de son grain de beauté, sans jamais prendre une vue d’ensemble.  Mais passons, puisqu’il y a bien pire. Le 4ème cahier publié en 2014 aux éditions « Nota Bene » porte sur le sexe et le genre. Le thème du sexe oui, bien sûr, très pertinent, omniprésent dans son œuvre, mais le genre, qu’est-ce que ça mange en hiver ? Avait-on vraiment besoin d’une analyse approfondie de ce thème ?

La réponse va vous surprendre : oui, nous avions besoin de ce cahier. Du moins, j’avais besoin de ça… pour comprendre à quel niveau les études universitaires en littérature se situent. Celui qui est considéré comme le plus grand écrivain québécois par plus d’un devrait se voir attribuer les « experts » les plus talentueux en analyse littéraire. Selon toute logique, les universitaires ont dû se bousculer aux portes pour recevoir l’honneur d’analyser ce qui passera à l’Histoire – enfin, si cette dernière existe toujours dans quelques années. D’ailleurs, je remarque que l’Université de Graz en Autriche et de Varsovie en Pologne fournissent un membre du comité scientifique aidant la réalisation du livre. Je sais, ma naïveté est sans limites, mais mon point de vue traditionaliste, point de vue de celui qui garde un certain respect pour les institutions reconnues comme autorité en leur matière respective, me portait à entreprendre la lecture de ce cahier dans l’attente de l’excellence. 

Ayant peu lu sur les théories « queer » et autres genres, je vous avouerais y avoir porté un premier regard ressemblant à celui d’un gamin n’ayant jamais embrassé une fille qui serait, par mégarde, tombée sur un film porno hardcore. Traumatisme instantané. Rassurez-vous, je me suis ressaisi depuis.

Pourquoi en ai-je besoin ?, disais-je. Jeune, je n’arrivais pas à expliquer en mots ce que j’appréciais du style et même du propos de VLB. C’était instinctif voire viscéral plus qu’autre chose. VLB, n’étant pas le plus catholique des auteurs, mon incompréhension de mon appréciation s’est poursuivie jusqu’à la lecture de ce « cahier ». Merci de m’avoir démêlé. Oui, j’ai compris ce à quoi je m’identifiais. VLB fait partie de cette race en voie d’extinction qui incarne, par son écriture ferme, affirmée et sans complexe, ce que la quasi-totalité des jeunes veulent devenir : un patriarche dominant, un surhomme. Peu y arrive, mais, sans que personne ne leur mette la pression, tous veulent le devenir, comme le démontre la panoplie de super-héros adulés par les garçons dès le plus jeune âge. VLB patriarcal sans demi-mesure ! [iii] Dieu Thor de l’écriture ! Un peu d’exagération sarcastique dans cette dernière affirmation puisque ceux qui ont lu ces plus récentes parutions savent qu’il dénonce la haine de Moïse envers la reine mythique Isis et le judaïsme pour son absence de divinité femelle, répandant ainsi une religion d’un patriarcat forcené à travers la planète entière durant les siècles lui succédant. Il y a une explication mitoyenne. Bien que l’œuvre de VLB compte de nombreuses mises en abîme jouant au jeu des 7 erreurs et différences et suscitant ainsi le doute à savoir si les bottines suivent les babines (l’un des chercheur Sébastien Parent-Durant a raison de le mentionner[iv]), c’est plutôt difficile de classer son rapport au genre comme « traditionaliste » donc patriarcal. Il base simplement son écriture sur des phénomènes bien plus « terre-à-terre » que les théoriciens du genre. Mais patriarcal quand même conclut en cœur unanime le solfège des auteurs de ce cahier. Parmi ce cœur d’interprètes bienpensants, trois perles me sont apparues perlantes : 

 

1. Bien oui, le tabarouette de VLB, selon l’article de Sébastien Parent-Durand de l’UQAM, représente dans Bibi et Antiterre : « exclusivement des figures féminines dépourvues de voix souveraine, et qui n’occupent jamais de fonctions valorisées attribuables à la pensée ou à la réalisation autonome de projet. Rhino, Calixte Béyala, la mère de Bibi toutes sont relayés au rôle de victimes n’ayant comme recours contre l’égoïsme assumé de Bibi (alter égo de VLB) que l’hystérie vengeresse ou la passivité » (P84). Que l’homme qui n’a jamais rêvé de ce genre de femme me lance la première pierre ![v]

 

2. Dans « La grande Tribu » (tentative – ratée selon Louis Hamelin [vi]– de mythe fondateur québécoisde VLB), Myriam Vien de l’Université McGill souligne : « […] que la sexualité décrite par VLB est centrée principalement sur les gestes et les sensations de l’homme, que le plaisir de la femme n’est pas pris en compte…» (P154). Or, dans cette tentative de mythe fondateur, VLB utilisait, à la manière de la louve qui allaita Rémus et Romulus avant que ce dernier ne fonde Rome, l’image d’une baleine mère comme origine mythique du peuple québécois. La femme dont elle parle ici est en fait la baleine mère. On parle quand même d’une baleine mythique ! Vous sentez le besoin vous de prendre en compte le plaisir sexuel ressenti par une baleine mythique ?
 
 
3. L’un des articles, celui d’Isabelle Boisclair sur Steven le Hérault, « ose » poser la question à savoir si ce roman est féministe, plus largement si les œuvres « post révolution féministe » de VLB sont féministes, se gardant bien de révéler le moment précis de cette « révolution » et ses résultats, [« durant les années 70 » ne serait pas censé être une réponse satisfaisante au niveau universitaire]. Si ce révisionnisme historique frauduleux ne sent plus le besoin de s’expliquer, tient pour acquise une conclusion fort discutable qu’est celle de l’existence d’une révolution féministe et ne fait sourciller personne, un peu comme la pornographie de plus en plus violente n’étonne et ne choque plus personne, c’est bien signe que la pensée universitaire est dominée par cette idéologie (ce que VLB n’ignore pas, j’en suis sûr, ce qui pourrait expliquer ces moments d’ambidextrie idéologiques : flatte les féministes d’un côté, joue le solide patriarche de l’autre). Isabelle Boisclair répond à la question du féminisme de ce roman : « Ce serait probablement le cas si la sphère maternelle ne reconduisait pas, en son sein, la dissymétrie entre le masculin et le féminin. »

Voilà à quoi sert ce genre de recherche. Rien d’ambigu. Si vous attribuez des rôles différents à l’homme et à la femme, vous ne pouvez être féministe. En résumé, le féminisme des universités est celui de la neutralité des sexes… du seul sexe.

Bien que les auteurs de ces cahiers soient unanimement ! – qui a dit diversité et liberté d’expression dans les universités ? – des adeptes des théories du genre, prônant donc, que les distinctions entre les sexes ne proviennent plus de la génétique mais d’une « instrumentalisation de l’homme » et qu’ils voient d’un mauvais œil le « patriarcat » de VLB, aucun d’entre eux, malgré une mauvaise foi évidente [vii], n’arrivent à démontrer que VLB n’aime pas le genre féminin… Qui ne l’aime pas d’ailleurs ? Qui voudrait son anéantissement, au profit d’un sexe neutre ? Bien oui, les théoriciens du genre ! Vous me suivez ? Pour être féministe, il faut adhérer aux théories du genre. Les féministes détesteraient le genre féminin ? 

Au final, comment en vient-on à demander à des opposants idéologiques d’un auteur d’en faire l’interprétation ? Un peu comme quand Jean-François Nadeau écrit la bio de Rumilly et d’Adrien Arcand, alors qu’il les méprise. Je me suis amusé en lisant ces cahiers, mais on nous prend vraiment pour des épais !

Bref, je vais y penser à deux fois avant de faire un retour aux études en littérature comparée. Si j’en viens à une telle désespérance, l’opium [viii] semble une bien meilleure solution à bien meilleur marché.

 

__________________________________

[i] Comment ? la littérature, une matière scientifique ? vous demandez-vous. Pas tout fait. Les chercheurs utilisent une « rigueur » propre à la science et parfois même les différentes sciences elles-mêmes pour décrypter la littérature qui, elle, dieu soit loué, n’a rien de scientifique.

[ii] Éloignez-moi l’idée de suggérer que VLB forme sa religion, il s’agit simplement de dire que l’émanation de culture emprunte les mêmes schémas que la propagation des religions.

[iii] Petite pointe d’ironie qui préserverait tout de même un fond de vérité puisqu’un autre de mes auteurs préférés, Hubert Aquin, apprend-ton dans le cahier, faisait « se réaliser l’émancipation nationale par le meurtre de la femme, symbole du pouvoir colonial (meurtre d’une mcgillienne dans Trou de mémoire et d’une agente de la GRC dans Prochain épisode). P. 15». Tient donc, non seulement je m’identifie au patriarche surhomme qui traverse l’écriture beaulieusienne, mais en plus je m’identifierais à la misogynie…

[iv] « […] les injustices historiques et structurelles dont les femmes ont été victimes sont enfin nommées, reconnues et mêmes dénoncées par Beaulieu […], mais elles ne se traduisent nulle part dans le récit […] par une actualisation de l’égalité entre les hommes et les femmes. Le rapport du personnage principal, [alter ego de VLB], ne se pacifie [qu’en fonction] de sa bonne volonté, et dans le maintien strict d’une dualité historique dont on ne peut que souhaiter qu’elle parvienne un jour à la désuétude. P85

[v] Par l’utilisation du mot rêve, je renvoie à cet aveu lourd de sens de VLB : « […]trente ans, pourtant ! – à ne parler que pour lui, à ne blasphémer que pour lui, à ne chanter que pour lui, à ne danser que pour lui ! ce n’est pas ce pays-là qui s’est trompé, mais moi-même : je n’y étais pas chez moi, mes rêves étaient au-delà de ce pays-là […] » [p 389 Antiterre, VLB]

[vi] Même raté, ce qui pour moi n’est pas le cas, La grande tribu demeure objectivement de bien meilleure qualité qu’un roman réussi D’Hamelin.

[vii] « VLB animalise la femme noire p55, utilise de vulgaires remarques machistes témoignant d’une insensibilité et d’une incompréhension volontaire des phénomènes sociaux p 69, des jugements stéréotypés p 67 p 75 p83 p133 p177, méprisants et réducteurs p69,  généraux et flous p 42, des clichés p38, préjugés p41, p54, et caricature l’acte sexuel p183, etc. pour construire ses personnages »

[viii] Solution prônée par VLB dans son roman Antiterre dans lequel, découragé par la réalité, le personnage principal (son alter ego) tente d’en sortir en en absorbant une grande quantité


Commentaires   

 
0 #1 Juriste-curé 14-01-2016 15:08
Je me suis d'ailleurs souvenu que la trame du livre Steven le hérault, pour lequel l'une des auteurs se pose la question à savoir si ce livre est féministe, tourne autour de personnages véritablement masculins en déroute et d'un homme féminisé. La chute est dramatique. L'alterego de VLB, homme d'une certaine virilité, fabrique un mécanisme pour que l'homme féminisé le tue sans qu'il n'ait rien d'autre à faire que d'ouvrir la porte de l’hôtel dans lequel l'alterego de VLB se trouve. Et c'est ça que l'auteure appelle du "féminisme". Vaut mieux en rire.
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