jeudi, 29 septembre 2011 13:36

Supra Négritude

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Ray Y. Adamson

Kemi Seba n’accepte pas que les Noirs soient méprisés ou vus avec pitié par le reste de l’Humanité

[i]. Dans son essai SUPRA-NÉGRITUDE, il livre son parcours et explique sa vision de l’attitude à adopter pour que les Noirs puissent se relever comme peuple. Si la négritude des années 1930 prônait un sursaut de virilité visant à unifier les Noirs du monde entier en proclamant leur unité culturelle[ii], la supra-négritude la transcende dans la mesure où elle prône l’indépendance, et l’applique[iii]. Cette tendance intellectuelle se base sur la connaissance de son peuple et de son histoire et la volonté de prendre contrôle de son destin.

 

Il n’est pas question ici d’opposer la fierté d’être Nègre à la négrophobie. Au contraire! c’est justement en cessant de se plaindre que les Noirs comprendront qu’ils sont les premiers responsables de leur situation. En s’améliorant, l’auteur croit que le sentiment malsain de victimisation ancré dans sa communauté disparaîtra[iv].

L’antivictimisation est un thème principal, et les mots sous le titre du livre en page couverture sont « autodétermination, antivictimisation, virilité du peuple ». Le lien entre ces trois concepts est expliqué dans la deuxième partie de l’essai. En effet, ce développement est crucial, car la supra-négritude ne demande rien de moins que le séparatisme total et réel par rapport à l’Occident, d’un point de vue politique, économique, culturel, spirituel et psychologique[v]. L’auteur demande aux Noirs de sortir de leur cloisonnement économique et suggère que si d’autres communautés s’entraident et se donnent les moyens de prospérer, ce n’est pas parce qu’ils sont plus capables ou intelligents mais car ils ont fait le choix de soutenir les leurs. D’ailleurs, les moyens dont il veut doter la communauté pour arriver à cet objectif  sont assez drastiques et vont au-delà du soutien volontaire[vi].

Alors que la deuxième partie de l’essai donne la vision du projet, la première partie (et de loin la plus longue), autobiographique, est à toutes fins pratiques une description du cheminement de l’activiste. Ça commence très fort avec sa souffrance depuis l’âge de quatre ans et la carapace d’insolence et d’esprit bagarreur qu’il a su former[vii]. Cette capacité à encaisser les coups et les rendre le suivra tout au long de sa jeune vie[viii]. Il décrit souvent ses tribulations comme des tentatives de le noyer mais à travers lesquelles il apprenait à faire de l’apnée.

Le récit visite les différentes étapes de son militantisme – depuis sa soif de connaitre l’histoire de son peuple dès l’âge de quatorze ans[ix], sa résurrection grâce à la Nation of Islam[x] – et sa quasi-excommunication, sa période afrocentriste et la création du Parti Kemite, sa reconstruction d’une religion morte nommée le kemitisme atonien[xi], la Tribu Ka, la prison et son retour à l’islam, le Mouvement des Damnés de l’Impérialisme qui réunissait militants nationalistes français, panafricains et dissidents maghrébins[xii], ses procès, la création de l’Institut Shabazz, son intégration au Nouveau Parti des Panthères Noires et retour à la Nation of Islam et finalement son départ pour le Sénégal pour pratiquer ce qu’il prêchait aux autres depuis longtemps : le développement de l’Afrique. Il continue aujourd’hui à appeler les afrodescendants à investir pour la reconstruction de leur terre[xiii] à travers sa radio web Afro-Insolent.

Certains passages pourraient bénéficier de plus ample développement. Par exemple, suite au rejet des différents systèmes politiques (marxisme, socialisme, démocratie) qui ne sont pas applicables aux Noirs car ceux-ci n’étant pas ontologiquement Occidentaux, Kemi Seba propose une organisation avec Dieu à sa tête, car le Seigneur serait la seule autorité que le peuple noir approuve naturellement[xiv], sans expliquer concrètement comment Dieu remplace un président, conseil des ministres ou fonctionnaires d’état. Ensuite, le lecteur n’ayant pas de formation en anthropologie ne peut pas apprécier la citation appréciable des travaux de Roger Atangana[xv] qui parle du peuple premier (noir, évidemment). Autre chose qui dérange : l’affirmation que tous les Noirs d’aujourd’hui de par le monde font un seul peuple. Similairement, comment parler d’un seul peuple de Blancs, ou d’Arabes…

Cela dit, le lecteur dissident antimondialiste opposé au brassage ethnico-culturel globalisé imposé par les élites peut se régaler d’une grande richesse d’informations et surtout d’une attitude qui commande le respect. Il est intéressant pour ceux qui ne connaissent pas le panafricanisme de découvrir un mouvement islamique noir et francophone. Celui-ci prétend que l’islam est d’abord la religion naturelle des Noirs et la tradition originelle des peuples premiers[xvi] et ce, malgré son caractère universel. Cela peut changer la vision (chez les musulmans francophones, souvent maghrébins) que l’islam est mieux maitrisé par les arabes que par les autres communautés[xvii]. De plus, il est rafraichissant de trouver un discours d’indépendance, d’exaltation et de fierté d’un peuple qui ne sombre pas dans la suprématie raciale. Cela peut rassurer des gens d’autres communautés qui sentent leurs identités menacées, qu’une voix panafricaine dissidente prône la reconnaissance de la diversité humaine.

C’est toutefois un équilibre délicat de se faire aimer et respecter par les autres, tout en voulant rejeter l’intégration à la société caucasienne car elle résulterait inéluctablement à la perte de l’identité « afro »[xviii]. L’harmonie se trouve dans la virilité du peuple, qui, dans sa capacité à s’assumer et à s’autosuffire trouvera sa dignité et donc le respect des autres. La supra-négritude s’adresse aux Noirs, mais pourrait s’appliquer à tous les peuples de la terre – voilà la pertinence de cet ouvrage, qui mérite d’être partagé.

 

[i] Supra-Négritude, Éditions, Fiat Lux, édition avril 2013, page 225

[ii] Page 187

[iii] Page 189

[iv] Page 222

[v] Pages 189-190

[vi] Page 221

[vii] Page 22

[viii] Kemi Seba est né le 9 décembre 1981

[ix] Page 30

[x] Selon le site web officiel de la Nation de l’Islam du Canada, http://www.noic.ca/ - « la Nation de l’Islam a débuté le 4 juillet 1930, aux États-Unis avec la venue d’Allah (Dieu) en la Personne de Maître Fard Muhammad. Maître Fard Muhammad est “le Messie” des chrétiens et le “Mahdi” des Musulmans tant attendus. Il est venu pour accomplir les écritures de la Bible et du Saint Coran, trouver et racheter les membres Perdus et retrouvés de la nation noire originelle de la terre aussi connu comme la Brebis égarée dans la Bible. »

[xi] Page 69

[xii] Page 134

[xiii] Page 167

[xiv] Page 216

[xv] Pages 196 à 211

[xvi] Page 126

[xvii] Page 137

[xviii] Page 144

Commentaires   

 
0 #1 Etienne 31-08-2014 22:31
Kemi Seba a dit lors d'une conférence avec Dieudonné que, contrairement à lui, il n'était pas universaliste : il a, en fait, tout d'un raciste ; mais un racisme humaniste qui place l'intérêt des siens avant celui des autres. L'idée que «tous les Noirs d’aujourd’hui de par le monde font un seul peuple» est parfaitement logique dans l''un point de vue raciste et s'harmonise très bien avec sa version blanche.

Kemi Seba prône un retour de tous les Noirs du monde en terre africaine natale. Un raciste blanc conséquent devrait faire de même au lieu de se tourner vers la haine stérile de l'immigrant. Il affirme que les Noirs ne sont pas des occidentaux et qu'ils n'ont donc rien à y faire, que leur vraie place avec en Afrique. Les racistes blancs auraient beaucoup à apprendre de cet homme.

L'arrêt de la victimisation des Noirs passe aussi par l'arrêt de la culpabilisation des Blancs. Nous ne sommes pas en guerre : le racisme devient alors une idéologie de paix.
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